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plaine, au pied de la montagne, qu'ils étaient tellement rapprochés les uns des autres, qu'il n'y avait guère de place pour les constructions privées de sorte que l'ensemble et la suite de ces monuments ajoutaient à la grandeur et à l'éclat de la ville. Les maisons des particuliers, au contraire, étaient bâties sur les flancs du mont Pion et du Coressus; elles y avaient plus de fraîcheur, une vue étendue, la brise bienfaisante qui soufflait de la mer. Le Caystre a été chanté par les poētes latins; ils ont moins parlé du fleuve Sélinus, qui arrosait également la plaine; quant au Styx et au Marnas, ils ne sont connus que par un témoignage d'Achille Tatius et par une monnaie1. Ephèse était à quelque distance du rivage; mais une série de lacs, reliés entre eux par le Caystre et le Sélinus, fournissait à ses galères de magnifiques abris : c'étaient les avantages réunis du lac de Tunes, ce port naturel des Carthaginois, et d'Ostie, cette clef du Tibre qui défendait Rome.

Il est difficile d'espérer que les ruines d'Ephèse présentent un caractère purement grec. Ephèse a eu une prospérité trop prolongée, à diverses époques, pour que les monuments n'aient pas été renouvelés plus d'une fois et pour que l'architecture ne se soit pas transformée. Les tremblements de terre, qui ont renversé tant de villes de l'Asie Mineure, ont hâté aussi les reconstructions. Il en résulte que les ruines qui couvrent aujourd'hui le sol sont d'une époque romaine assez avancée et même du temps de l'empire byzantin. Cependant il est vraisemblable que les dispositions générales et les plans furent conformes aux plans primitifs. Le forum, par exemple, les théâtres, le stade, les gymnases, les bassins, n'ont point dû changer de place. On reconnaît que les Ioniens appliquaient à toutes leurs cités le système d'Hippodamus avec ses larges et régulières divisions.

Il y avait deux ports à Éphèse, le port sacré et le port civil. Le port civil est marqué aujourd'hui par un marais que M. de Laborde a dessiné dans son Voyage en Orient : une jetée qui l'entourait est indiquée par des fragments de colonnes que Le Brun a signalées 2. En 1820, M. Donaldson, l'éminent architecte, visitait Ephèse et dressait de ces ruines un plan qui malheureusement a été perdu. Mais M. Donaldson avait pu très-nettement déterminer la forme du port principal, qui était un rectangle allongé dont les angles étaient coupés. Cette forme octogonale, que M. Falkener a adoptée à son tour dans sa restauration, n'a rien de contraire au goût antique, surtout à l'époque de la domination romaine: Ostie et Balbeck en donnent la preuve. Lorsque Lysandre,

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général des Lacédémoniens, arriva à Ephèse, il fortifia la place, cons truisit des chantiers, des arsenaux, des magasins, appela les marchands et les étrangers, de sorte que les ports devinrent pour les habitants une source de richesse merveilleuse. Par conséquent, les deux ports existaient déjà au moment de la guerre du Péloponèse. Le port de la ville est représenté aujourd'hui par le marais qui est à l'ouest d'Ephèse; les alluvions avaient commencé à l'ensabler dès le temps d'Attale, et de vaient le combler un jour. Le port sacré, ainsi nommé parce qu'il s'étendait devant le temple de Diane, s'appelait aussi Panormos; il était plus près de la mer et communiquait directement avec le Caystre, Beaucoup plus grand que le port de la ville, il recevait des bâtiments qui ne pouvaient pénétrer plus loin, à travers le canal qui unissait les deux ports. Rempli par les alluvions aujourd'hui, il n'est plus reconnaissable que par un coude prononcé que forme le lit du fleuve; jadis ce coude était une magnifique et profonde étendue d'eau, suivant l'opi nion de M. Falkener. Des portiques, des constructions de toute sorte entouraient ces bassins artificiels, ou du moins agrandis singulièrement. par la main des hommes. Il semble que les villes de l'lonie aient appris des Phéniciens, leurs voisins, l'art de creuser des ports et de forcer la nature. Ce que les Phéniciens avaient entrepris à Tyr et à Carthage, les Grecs l'entreprirent à Éphèse et peut-être à Halicarnasse. Il est vrai cette violence faite à la conformation du sol ne dure qu'autant que les peuples sont assez riches pour entretenir une telle lutte; dès que leur vigilance se ralentit ou que les bras manquent, la terre reprend ses droits, et les ports sont promptement comblés.

que

L'agora, où se réunissaient les citoyens pour délibérer sur les affaires publiques, offrait une disposition rare, qui prouve combien les eaux étaient abondantes dans la plaine d'Ephèse: au milieu de la place était un lac, orné comme un vaste bassin, entouré de colonnades, ré pandant la fraîcheur pendant les journées d'été, et causant aux habitants ces jouissances dont les Orientaux sont encore si épris de notre temps. Du reste, les Éphésiens n'avaient fait que développer une coutume grecque : à Pellène, une source jaillissait au milieu de l'agora; à Élis, une source placée de même était protégée contre les rayons du soleil par un toit que supportaient des colonnes. Parfois un putéal, dé coré de reliefs, entourait l'orifice ou l'eau se montrait. Ephese ne fit que changer les proportions: la fontaine devint un lac. A Apambe, la ri viere Catarractes traversait l'agora: à Sardes, c'était le Pactole!, Ln

Herodote. VII. xxv, et V, a.

temple avait été élevé à Diane, sur cette agora, par les premiers colons ioniens. On y voyait le tombeau de Héropythus, qui avait affranchi la ville du joug des Perses, le tombeau de Denys le rhéteur: quoiqu'il fût de Milet, les Éphésiens l'avaient fait ensevelir aux frais du trésor, sur la place publique que son éloquence avait fait retentir. Il est probable que c'était dans l'agora que se trouvaient les statues élevées à Lysandre, à Étéonicus, à Pharax et à d'autres généraux lacédémoniens, de même que les statues élevées à Conon et à Timothée, chefs athéniens, quand les Éphésiens se furent ligués avec

Athènes.

Les lois ioniennes, gravées sans doute sur des tables de marbre, étaient exposées à tous les regards dans l'agora. Qui sait, par conséquent, si ces précieux monuments ne sont point enfouis sous le sol, et si quelque jour une fouille heureuse ne les en fera point sortir? M. Falkener a visité et étudié avec soin les lieux, tels qu'ils sont aujourd'hui. Il n'a point entrepris de fouilles, et, loin de décourager les savants qui voudraient en entreprendre, il les y exhorte son livre est un secours et un argument de plus. Il signale les rangs de colonnes qui formaient un double portique sur le côté oriental, et en détermine l'exacte position, sans pouvoir relever un plan général.

L'agora des marchands, au contraire, a été mesurée par l'habile explorateur. En examinant attentivement sa planche septième, on appréciera les spacieuses et élégantes dispositions de ce marché. Au milieu, le puits, comme dans nos villes du moyen âge : un portique encadre la place rectangulaire; derrière le portique sont les boutiques, et en arrière des boutiques les magasins. Une longue avenue, bordée de boutiques également, mène à cette agora. M. Falkener a retrouvé et dessiné l'entablement qui couronnait le portique rectangulaire, et la frise dont les rinceaux surmontaient le putéal. Non loin, un autre mar ché plus petit offrait des dispositions semblables. Je n'ai pas besoin d'ajouter que le style de ces ruines annonce l'époque romaine.

M. Falkener a étudié avec soin les gymnases d'Ephèse, en leur comparant les autres gymnases qu'il a vus en Asie Mineure; Vitruve à la main, il en retrouve et les dispositions et les proportions; il n'est pas jusqu'aux noms des diverses parties de l'édifice dont il ne cherche l'étymologie. En même temps, comme il y avait plusieurs gymnases dans la ville, il est bon de connaître la cause d'une telle répétition. D'abord ces gymnases étaient situés auprès de chacun des principaux monuments; il y en avait un auprès des théâtres, un autre auprès du stade, un autre auprès de l'agora, un plus grand auprès du port,

un cinquième dans le quartier d'Opistho-Lépré. Quand l'empire de Constantinople fut fondé, on sait combien la mollesse, la licence, un luxe efféminé, se propagèrent, effaçant jusqu'au souvenir des anciennes vertus romaines. Les plaisirs du théâtre, les bains, les festins, occupaient toutes les journées des citoyens dégénérés; ils aimaient surtout ces bains énervants qui sont restés chers aux Orientaux, et que leur offraient les gymnases de l'Asie Mineure. M. Falkener suppose donc avec vraisemblance que les gymnases avaient été construits à dessein auprès du forum, du marché, de la curie, du port, du théâtre, afin qu'il n'y eût point de temps perdu et qu'aussitôt les affaires expédiées on rentrât sans délai dans les gymnases. J'ajouterai que ce voisinage avait été concerté prudemment, moins pour flatter les passions des Éphésiens que pour les contraindre à s'occuper des affaires. Du gymnase, on les tirait pour délibérer sur les intérêts publics; on les avait, en quelque sorte,

sous la main.

Dans le principe, les exercices des Grecs avaient lieu à ciel ouvert et en dehors de la ville. L'espace ne manquait point pour préparer de vastes cours, des portiques, des stades, des xystes et tout ce que demandait un gymnase parfait. Quand les gymnases furent plus tard construits dans l'intérieur des villes, leurs dispositions durent se modifier, se rétrécir. On ne s'étonnera donc pas s'ils diffèrent par leurs plans, et si les uns manquent d'un élément ou d'un accessoire que les autres possèdent. Le gymnase qui se trouvait dans le quartier d'Opistho-Lépré est un des plus complets, parce qu'il a été construit plus tard; la brique qui est mêlée aux constructions en pierre, le caractère général des ruines, prouvent qu'il est d'un style avancé. On y distingue l'emplacement du stade, bordé de terrasses, le diaulus qui régnait sur trois côtés, l'éphébium, derrière le portique de la façade, et enfin toutes les parties si bien connues des thermes de l'époque romaine, l'apodytérion, le calidarium, le propnigéum, le tépidarium, l'éléæothésium, le frigidarium, le laconicum, le conistérium, etc. etc. Comme le plan de cet édifice avait été relevé par les voyageurs les plus anciens, M. Falkener s'est cru tenu à plus de soin encore dans ses dessins. Du temps d'Arundell, on observait, dans un des hémicycles, quelques traces de décoration peinte, et Arundell se figura que les peintures appartenaient à une église chrétienne, celle de Saint-Luc, par exemple. Chandler mentionne des fragments de grandes statues, avec des draperies remarquables, sur la façade de ce gymnase. Les remarques ingénieuses de M. Falkener, les rapprochements qu'il établit avec le texte de Vitruve ne peuvent être analysés comme il convient, et je renvoie à son ouvrage ceux qui désirent

s'instruire sur d'intéressantes particularités et sur des détails qui justifient sa restauration.

Le grand gymnase s'ouvrait à la fois sur le forum ou l'agora et sur le port de la ville; il dépassait les autres constructions du même genre en étendue. La plupart des voyageurs ont supposé que ses ruines étaient les ruines du célèbre temple de Diane. Guhl y a vu le temple de Neptune'; Dallaway, l'église dédiée par Justinien à saint Jean 2; Arundell, l'église métropolitaine 3. M. Falkener est d'une opinion contraire, et le plan qu'il a relevé, et qu'il complète, semblerait justifier son opinion. Au centre sont les fragments renversés de quatre colonnes de granit, qui ont près de quatre pieds de diamètre; quatre autres colonnes ont été transportées dans la mosquée d'Aiaslik, qui est voisine; Hamilton et d'autres explorateurs en ont signalé quatre autres qui ont été employées par les architectes de Sainte-Sophie à Constantinople, et que l'on disait avoir été enlevées d'Ephèse; enfin, dans la cathédrale de Pise, deux colonnes semblables viennent d'Ephèse également. Celles qui restent auraient été prises depuis longtemps, si elles n'avaient été brisées. Le Brun remarqua des chapiteaux qui avaient dix pieds de hauteur, plus de huit pieds en largeur, à côté de chapiteaux plus petits, de frises et de piédestaux. Le monument était donc richement décoré, et l'architecture n'avait rien ménagé pour ajouter à la beauté d'un édifice dont la situation, entre l'agora et le port, était déjà merveilleuse. Une description ne peut rendre compte d'un plan que la vue d'un dessin explique avec tant de simplicité. Saus me ranger à l'opinion de M. Falkener, puisqu'il est difficile de juger des lieux et des ruines que l'on n'a point vus, je dois avouer que ses démonstrations graphiques sont propres à persuader les savants.

La partie la plus surprenante de l'édifice, ce sont les souterrains, ou plutôt les constructions souterraines. Le Brun les avait visitées avec un flambeau et un fil qu'il avait attaché, comme Thésée, à l'entrée du labyrinthe; il était descendu à une assez grande profondeur. Dans ces vastes caves ou corridors, il avait vu un certain nombre de chambres, la plupart à demi comblées par la terre et les ruines. Les éboulements l'avaient empêché de s'avancer trop loin; mais les gens du pays prétendaient qu'on allait ainsi jusqu'à Smyrne, fable ridicule, puisque Smyrne est à deux jours de marche. Tavernier 5 avait été à une assez grande distance pour trouver des voûtes en parfaite conservation. Il est regrettable que

2

1 Ephesiaca, p. 178. — Constan. p. 220. — Researches, II, 82. — ' Voyage au Levant, p. 25 et suivantes. — ' Six voy. I, 81.

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