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M. Falkener, qui n'avait point d'escorte sûre, ou plutôt qui se défiait de ses guides, ait été condamné à ne point tenter cette exploration. La voûte est coupée par un canal qui communique d'un côté avec le port de la ville, de l'autre peut-être avec le lac qui était au milieu du forum. L'eau est pure et presque tiède. Spon et Wheler ont cru voir des aqueducs1; Pococke a reconnu des canaux propres à conduire des eaux 2. M. Falkener en conclut que ces souterrains et ces réservoirs étaient en rapport intime avec les constructions élevées à la surface du sol, que c'est une preuve certaine de l'existence d'un gymnase avec ses bains. Ses assertions auraient plus de force, s'il avait pu étudier les ruines par lui-même, au lieu de tirer ses conclusions de témoignages divers.

Le gymnase du stade est adossé aux murs de la ville, et la plus grande partie de ses fondations est artificielle, afin de l'élever au niveau des autres parties de la cité. Cependant le plan de cet édifice présente de si notables différences avec le plan des autres gymnases, qu'on hésite à accepter les idées de M. Falkener. C'est là qu'apparaît le danger d'un système un peu absolu. Les monuments d'époque romaine, quand ils atteignent un certain degré de ruine, trompent facilement les yeux les plus attentifs sur leur destination. Quand on n'aperçoit plus que des piliers, des murs de substruction, des bases ou des tronçons de colonnes, des arrachements de voûtes, comment rétablir avec clarté l'ordonnance de l'architecture et l'intention de l'architecte? L'Afrique est couverte de ruines romaines, et je confesse en toute humilité que j'en ai vu un certain nombre devant lesquelles j'étais fort embarrassé de retrouver une destination vraisemblable, tant le temps et la destruction avaient compliqué le problème. Des fouilles auraient pu seules résoudre une telle difficulté.

Le gymnase du théâtre ne donne pas lieu aux mêmes objections. Il ressemble beaucoup, pour le plan, au gymnase d'Opistho-Lépré; il a de plus, auprès de l'entrée supposée, une grande salle que M. Falkener restitue d'après des indices trop peu nombreux pour nous communiquer la certitude, sur ce point du moins.

Le théâtre d'Ephèse était immense. M. Cockerell, au témoignage du colonel Leake3, lui reconnaît un diamètre de 660 pieds anglais, c'està-dire 40 pieds de plus que le grand axe, l'axe longitudinal du Colysée de Rome : ce qui laisse supposer que les siéges pouvaient contenir près de 50,000 spectateurs, le théâtre n'étant que la moitié d'un amphithéâtre. Le proscénium a disparu entièrement, pas un siége n'est en place; il y

'Voyage d'Italie, p. 333.- Descript, of the East, p. 32. Journal, p. 328

en avait encore au temps de Pococke. Chandler signale le portique qui conduisait du théâtre au forum1. Plusieurs des gradins se retrouvent encastrés dans les murs du château d'Aiaslik; ils portent encore des lettres grecques ou des inscriptions qui servaient à distinguer les cunéi et les rangs.

Le stade n'est pas moins ruiné que le théâtre, mais les portes et les corridors de l'extrémité occidentale sont assez bien conservés pour permettre de déterminer la distance des vomitoires. Un fait curieux, c'est qu'il y avait beaucoup plus de places d'un côté que de l'autre, afin que la vue de la plaine ne fût point cachée, et que le portique qui couronnait le plus long côté offrît plus de charmes aux spectateurs. Cette disposition se retrouve dans plusieurs stades de l'Asie Mineure, à Cibyrrha et à Priène notamment. Le stade de Laodicée offrait le même nombre de siéges, mais il n'y avait de portique que sur un seul côté.

En face du stade est un monument que M. Falkener a cru pouvoir appeler un Sérapéum, à cause de sa ressemblance avec le Sérapéum de Pouzzoles. Comme à Pouzzoles, on voit au centre une construction circulaire soutenue par vingt colonnes au lieu de seize, et exhaussée sur quatre degrés. Une cour carrée l'entoure, bordée des quatre côtés par un portique, derrière lequel sont de petites cellules, ainsi qu'à Pouzzoles. Je ne conteste pas trop le rapprochement établi de la sorte par M. Falkener, et d'après lequel il constitue sa restauration. Toutefois, je suis un peu effrayé lorsque je remarque qu'une seule colonne brisée s'élève encore au-dessus du sol, tandis que toutes les autres ne sont marquées que par l'absence d'herbe, à la place qu'elles doivent occuper. Quelques coups de pioche auraient donné à M. Falkener une certitude. De même, les cellules derrière les portiques ne sont désignées sur le plan que par une teinte grise, ce qui veut dire qu'elles sont supposées par l'auteur. Une seule séparation est teintée en noir, ce qui annonce qu'elle est visible sur les lieux; or elle est à peine la soixantième partie de l'ensemble que reconstitue M. Falkener. Une telle hardiesse, qui ne déplaît pas aux Anglais, excitera la défiance des savants des autres pays. C'est pourquoi j'avertissais le lecteur en commençant ce compte rendu; je ne lui cachais point que l'imagination avait une grande part dans l'œuvre de M. Falkener en faisant toutes les réserves qu'exige la prudence archéologique, il est charmant de voyager ainsi avec un guide ingénieux dans le monde des rêves.

M. Falkener finit par sentir lui-même que son système l'entraîne trop

! Travels, I, p. 149.

loin. Au lieu d'essayer de justifier ses restitutions, il prend le parti de les faire sentir par un dessin d'ensemble, et d'énumérer simplement les temples mentionnés par les auteurs le temple de Jupiter, situé entre le grand sanctuaire de Diane et la porte Magnésienne; le temple de Minerve, celui d'Apollon qu'Athénée place sur le port sacré, et qui contenait une statue colossale du dicu; le temple de Vénus courtisane, celui de Cérès, ceux de César et de Claude; le temple de Neptune.

Quant aux murs de la ville, ils appartiennent à deux époques, selon M. Falkener; une partie daterait du siècle de Cyrus, l'autre du siècle de Lysimaque. Après la défaite de Crésus, les Éphésiens, auxquels Cyrus avait en vain offert son alliance contre le roi de Lydie, se hâtèrent de se fortifier; ils occupaient alors la plaine qui entoure le temple de Diane. Mais, vers l'an 300 avant l'ère chrétienne, Lysimaque les contraignit de se reporter sur les collines; de nouvelles fortifications durent alors être élevées sur le mont Pion et le Coressus. Enfin l'auteur n'oublie ni les aqueducs, ni les tombeaux, ni les inscriptions; il décrit même la moderne Aiaslik, ancien faubourg d'Ephèse, seul habité aujourd'hui, et qui peut-être ne fut pas occupé avant l'ère chrétienne. De jolis dessins font connaître la mosquée et les principaux monuments d'Aiaslik. Mais, comme l'antiquité est le but principal des explorations de M. Falkener, nous avons hâte d'arriver au temple de Diane, qui remplit toute la seconde partie de l'ouvrage et qui sera l'objet de notre second article.

BEULÉ.

(La fin à un prochain cahier.)

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

Dans sa séance du 23 avril, l'Académie française a élu M. de Carné à la place vacante par le décès de M. Biot, et M. Dufaure à la place vacante par le décès de M. le duc Pasquier.

ACADÉMIE DES SCIENCES.

M. Bravais, membre de l'Académie des sciences, est mort à Versailles, le 31 mars 1863.

M. Moquin-Tandon, membre de l'Académie des sciences, est mort à Paris, le 15 avril 1863.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Phidias, drame antique, par M. Beulé, membre de l'Institut, secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts. Paris, imprimerie de Lahure, librairie de Hachette,

1863, in-8° de 326 pages. Montrer dans Phidias l'art grec se dégageant des entraves de la tradition archaïque et cherchant à s'élever vers un idéal plus pur et plus complet, tel semble être d'abord le but unique de cet ouvrage; mais, si les questions d'art remplissent l'introduction sous le titre de La jeunesse de Phidias, le drame, qui constitue la partie principale de l'œuvre nouvelle de M. Beulé, fait revivre à nos yeux Athènes tout entière à trois époques différentes de la longue paix qui précéda la guerre du Péloponèse. Périclès paraît au premier rang après Phidias parmi les acteurs de cette trilogie; Socrate, Aspasie, Cléon, les élèves du grand artiste, y figurent auprès d'eux, et, au milieu de cette société polie, le savant et ingénieux écrivain, par la bouche de ces personnages illustres dont il se fait pour nous l'heureux interprète, soulève et discute les questions les plus élevées d'esthétique, de politique et de morale. M. Beulé a puisé cette composition charmante aux sources les plus pures de l'art et de la littérature antiques; on y sent partout l'inspiration des grands écrivains de la Grèce.

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Etudes grecques. Le Cyclope, d'après Euripide, par Joseph Autran. Paris, imprimerie de Claye, librairie de Michel-Lévy, in-8° de 105 pages. Le drame satyrique des Grecs, ainsi appelé du nom des satyres qui y jouaient un rôle indispensable, ne nous est connu que par le Cyclope d'Euripide. M. Autran a voulu mettre dans tout leur jour les beautés de cette pièce en les transportant librement dans. notre langue. Il a fait passer dans ses vers l'esprit comme la forme de l'œuvre athé nienne, et tous ceux qui liront l'imitation sobre et élégante qu'il en a faite trouveront sans doute que cette belle étude reproduit avec talent et fidélité le modèle.

J. F. Boissonade. Critique littéraire sous le premier empire, publiée par F. Colincamp, professeur à la faculté des lettres de Douai, précédée d'une notice historique sur M. Boissonade, par M. Naudet, de l'Institut. Paris, imprimorie de Bonaventure et Ducessois, librairie de Didier, 1863, deux volumes in-8° de c-507 et 648 pages. Tous les amis des lettres anciennes accueilleront avec empressement ce recueil, où sont réunis les principaux articles publiés dans le Journal des Débats, au temps du premier empire, par M. Boissonade. Cette reproduction servira certainement la renommée du savant écrivain, et le lecteur y trouvera l'occasion de juger les procédés, un peu oubliés, de la critique littéraire pendant les quinze premières années de ce siècle. L'éditeur a placé dans le premier volume les morceaux relatifs aux auteurs grecs et latins et diverses notices biographiques sur des hellénistes et des philologues. Le tome second contient des articles variés de littérature étrangère et de littérature française. Un professeur distingué de la faculté des lettres de Douai, M. Colincamp, a donné ses soins à cette publication. Il en annonce une autre qui comprendrait les traductions inédites des Phéniciennes d'Euripide, du Prométhée d'Eschyle, de l'Antigone de Sophocle, et des plus belles odes de Pindare, et qui ferait suite à la collection des poëtes grecs de M. Boissonade. La savante et intéressante notice de M. Naudet sur la vie et les travaux de M. Boissonade est celle qui avait été lue à l'Académie des inscriptions, dans sa séance du 12 novembre 1858; elle paraît dans ce volume avec des additions importantes et des pièces justificatives. Madame Swelchine, journal de sa conversion, méditations et prieres, publiées par M. le comte de Falloux, de l'Académie française. Paris, 1863, Didier et C, in-8°. VII-425 pages. — M. de Falloux vient d'ajouter un nouveau volume à ceux qu'il nous a déjà donnés de M Swetchine. Celui-ci est d'un intérêt tout particulier, puisqu'il nous montre par quels chemins elle a passé pour quitter la foi grecque et se donner, après le plus savant et le plus délicat examen, à l'église catholique. Dans les méditations sur le christianisme et dans les prieres, éclatent toutes les ar

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