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sentent au microscope, après avoir été traités par l'acide acétique et d'autres réactifs, réactifs dont l'effet est de les rendre plus distincts'.

Le style de M. Balbiani a partout cette lucidité, cette limpidité, et, si je puis ainsi dire, cette transparence, qui laissent voir, comme à travers, tout ce qu'il a fallu de sagacité, de patience, de ressources ingénieuses, pour amener à bonne fin un travail aussi délicat.

Je passe, sans transition, du travail de M. Balbiani sur la génération des infusoires, au travail de M. Naudin sur l'hybridité dans les végétaux. Les deux sujets ont beaucoup plus d'analogie entre eux qu'au premier aspect il ne semble.

Le plus grand fait de l'histoire naturelle est celui de la fixité des espèces. Si l'espèce changeait, l'hybridation serait assurément le moyen le plus direct et le plus efficace d'opérer ce changement. Point du tout. L'hybridation est le moyen qui met le plus complétement dans son jour la fixité de l'espèce.

De tous les travaux qui out été faits sur l'hybridation des végétaux, aucun n'a jamais été fait avec plus de soin, et surtout avec plus de persévérance, que celui de M. Naudin; et, comme on va le voir, la persévérance devait jouer ici un grand rôle. M. Naudin, aide-naturaliste au Muséum d'histoire naturelle, étudie les hybrides des végétaux depuis huit ans. Il suit, depuis huit ans, les générations successives de ceux des hybrides qui sont fertiles. Cette continuité d'observation lui a permis de voir ce que nul autre observateur n'avait complétement vu avant lui: le retour naturel et spontané, après un certain nombre de générations, des hybrides au type primitif de l'une ou de l'autre des deux espèces productrices. Si les hybrides se perpétuaient indéfiniment, les hybrides formeraient des espèces, autant d'espèces nouvelles qu'il se produirait d'hybrides.

Il n'en est rien: « A partir de la seconde génération, dit M. Naudin, la physionomie des hybrides se modifie de la manière la plus remar«<quable. Dans bien des cas, à l'uniformité si parfaite de la première (( génération succède une bigarrure de formes, les unes se rapprochant << du type spécifique du père, les autres de celui de la mère, quelques<< uns rentrant subitement et entièrement dans l'un ou dans l'autre. « D'autres fois cet acheminement vers les types producteurs se fait par « degrés et lentement, et quelquefois on voit toute la collection des <«< hybrides incliner du même côté. C'est qu'effectivement c'est à la se

1

Les infusoires représentés ici sont le paramecium aurelia, le stylonychia mytilus, le spirostomum teres, etc.

«< conde génération que, dans la grande majorité des cas (et peut-être « dans tous), commence cette dissolution de formes hybrides, entre« vue déjà par beaucoup d'observateurs, mise en doute par d'autres, et qui me paraît aujourd'hui hors de toute contestation 1. >>

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M. Naudin continue: « Le retour des hybrides aux formes des espèces << parentes n'est pas toujours aussi brusque que celui que nous avons « observé dans les primevères, les petunias, le linaria purpureo-vulgaris, etc. <«<Souvent il se fait par gradations insensibles, et exige, pour être com«< plet, une série peut-être assez longue de générations 2. >>

་་

Mais enfin, quelques hybrides font-ils exception à la loi commune du retour aux formes de leurs ascendants, se fixent-ils et donnent-ils lieu à des espèces nouvelles?

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« Ce que je puis affirmer, dit M. Naudin, c'est qu'aucun des hybrides << que j'ai obtenus n'a manifesté la moindre tendance à faire souche d'espèce..... Ce qui est démontré ici, c'est qu'au moins dans les 3°, 4° et «< 5° générations, les formes des hybrides n'ont rien de fixe et qu'elles se « modifient d'une génération à l'autre, dans le sens des types spécifiques « qui les ont produits 3. »

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Koelreuter, le premier qui, en portant le pollen d'une espèce sur le pistil d'une autre espèce, ait produit artificiellement des hybrides dans les végétaux, et qui, pár là, ait mis hors de doute la grande découverte des sexes des plantes et tout ce qui s'ensuit, leur fécondation, leur ovulation, etc. Koelreuter partageait en deux classes tous les hybrides : les uns d'une stérilité absolue, les autres d'une stérilité partielle; les uns stériles tout à la fois par les étamines totalement dénuées de pollen, et par l'ovaire, puisqu'ils ne peuvent être fécondés par le pollen de leurs ascendants, les autres stériles seulement par le pollen ou seulement par l'ovaire. Ces deux classes d'hybrides proposées par Kolrcuter sont aujourd'hui pleinement établies et confirmées.

:

Mais, ce que Koelreuter n'avait pas vu, et ce que démontre complé tement le beau travail de M. Naudin, c'est que, s'il y a des hybrides absolument ou imparfaitement stériles, il y en a aussi, et peut-être en plus grand nombre, qui sont fertiles. On peut les diviser encore en deux classes les uns qui le sont par l'ovaire seulement, les autres qui le sont à la fois par l'ovaire et par le pollen; les uns qui sont fertiles par euxmêmes, les autres qui ne le sont que par le pollen de leurs ascendants. Au reste, la fertilité des hybrides par le pollen est de tous les degrés. On trouve des hybrides, depuis le cas extrême où l'hybride n'est fertile

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que par l'ovaire, jusqu'à celui où tout son pollen est aussi parfait que celui des espèces les mieux établies.

Je ne puis suivre ici M. Naudin dans les détails, et je le regrette, car ici chaque détail a sa signification propre. Cela nous mènerait trop loin. Jamais expériences ne furent mieux conduites, jamais relation d'expériences n'a été présentée avec plus d'ordre, plus de méthode, plus de vraie philosophie, jamais surtout on n'a fait mieux sentir cette grande vérité qu'une plante hybride est un individu où se trouvent réunies, par un mélange artificiel, deux natures, « qui se contrarient mutuel<«<lement et sont sans cesse en lutte pour se dégager l'une de l'autre1. »

Et maintenant, que résulte-t-il de tout cela par rapport à l'espèce? Que l'espèce est essentielle, qu'elle est fixe, et que les hybrides eux-mêmes, mélange imparfait de deux natures diverses, tendent sans cesse à se démêler et à revenir, par un retour forcé, à une nature propre et exclusive. Des lois secrètes, primitives, fatales, conservent donc les espèces, en empêchent la multiplication, et les maintiennent éternellement dis

tinctes.

Cette distinction éternelle des espèces est, à la fois, la plus grande merveille et le plus grand mystère de la nature.

Chaque espèce a sa finalité, comme dit M. Naudin.

C'est encore un beau et considérable travail que celui dont il me reste à rendre compte. Je le rattache à la grande question de la fixité des espèces. C'est là ce qui en fait la portée.

Puisque l'espèce résiste à toutes les causes extérieures de variation, puisqu'elle résiste à la cause si active et si profonde de l'hybridation, il ne reste plus qu'à chercher en elle-même, dans sa nature propre, dans son fonds propre, les causes qu'elle peut avoir de variation ou de changement.

Or ces causes intrinsèques de variation sont ce qu'on nomme communément les monstruosités.

On se rappelle la discussion fameuse qui eut lieu, dans le dernier siècle, à l'Académie des sciences, sur l'origine des monstres. Les deux adversaires étaient Lémery et Winslow. Louis Lémery était le fils de ce Nicolas Lémery que Mairan appelle le Descartes de la chimie, à cause de la double clarté de son langage et de son génie. Louis Lémery raisonnait, Winslow observait. L'un multipliait les arguments, l'autre multipliait les faits. Fontenelle dit que, à chaque nouvel argument que produisait Lémery, Winslow lui lâchait un nouveau monstre. Le débat dura

1 Mémoire manuscrit, p. 190.

la

longtemps. Il s'agissait des monstres doubles. Lémery soutenait que réunion des monstres doubles n'était due qu'à des causes accidentelles et consécutives, Winslow soutenait qu'elle était due à des causes primitives et essentielles.

Selon Lémery, les monstres doubles avaient commencé par être séparés; mais, se trouvant pressés l'un contre l'autre, les parties en contact s'étaient d'abord comprimées, atrophiées, puis résorbées; les deux germes s'étaient soudés, et les deux êtres avaient fini par ne plus former qu'un seul être, composé de deux êtres plus ou moins incomplets. Cette explication des monstres doubles dominait encore dans la science, il y a une vingtaine d'années. On avait à peu près abandonné Winslow pour Lémery. On revient aujourd'hui à Winslow :

Multa renascentur quæ jam cecidere, cadentque
Quæ nunc sunt in honore.....

M. Lereboullet, doyen de la Faculté des sciences de Strasbourg, a envoyé un mémoire à l'Académie où les faits abondent. Tous ces faits prouvent que l'origine des monstres doubles est primitive, est de formation première.

Depuis dix années, M. Lereboullet étudie l'œuf du brochet. Il a fait chaque année plusieurs fécondations artificielles, et l'on peut dire aujourd'hui que plusieurs centaines de milliers d'œufs ont passé sous ses

yeux.

M. Lereboullet réduit à peu près à rien l'influence des causes extérieures sur la formation des monstres. La première conclusion qu'il tire de ces expériences, c'est qu'il se produit des monstres de tout genre parmi les œufs de brochet, que ces œufs soient soumis ou non à diverses

causes extérieures.

La seconde conclusion, c'est qu'il n'est nullement prouvé que les monstruosités doubles soient l'effet d'un mécanisme semblable à celui qu'avait imaginé Lémery.

Telle est l'opinion de M. Lereboullet celle de M. Coste, le maître aujourd'hui des études ovologiques en France, est encore plus explicite. Selon M. Coste, le fait de la monstruosité est un fait absolument primitif et initial.

M. Coste s'exprime ainsi : « La monstruosité double ne résulte pas, <«< comme on l'avait supposé, de la coalescence graduelle de deux em<«<bryons primitivement distincts. et qui se réuniraient en se déve«<loppant. C'est la coexistence originelle de deux germes, fondus en

<< un même corps, et où est réglé d'avance le degré de solidarité des << futurs organismes. Le développement subséquent ne change rien à <«<l'état initial. Nulle coalescence. Ce qu'il y a de commun dans les deux « organismes l'est par défaut de formation de ce qui, dans ces deux or«ganismes, n'a pas trouvé place pour se produire 1. »

Les monstruosités, d'ailleurs, ne se maintiennent pas, ou ne se maintiennent que pendant quelques générations. Le mélange des espèces ou le retour naturel aux types primitifs les ont bientôt fait disparaître. Les monstruosités ne font pas lignée.

Quelle est donc la cause de ces modifications limitées et déterminées des espèces, qu'on nomme les races.

L'espèce, qui ne varie pas, varie pourtant assez pour produire des races. Comment cela?

« Une expérience, plus que vingt fois séculaire, dit M. Naudin, a établi <«< ce fait d'une extrême importance, que les végétaux assujettis à la cul«<ture se modifient de diverses manières et donnent naissance à des << formes nouvelles, qui acquièrent, à la longue, soit par sélection artifi<«<cielle, soit naturellement, une certaine stabilité, et se reproduisent <«< même assez souvent avec la même fidélité que les types spécifiques originels 2.

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« Il ne saurait donc y avoir de doute, dit encore M. Naudin, sur la « propriété inhérente aux espèces naturelles de se subdiviser en formes << secondaires, lesquelles acquièrent avec le temps, lorsqu'elles sont pré« servées de tout croisement avec les autres espèces, toute la stabilité de << caractères des espèces les plus anciennes3. »

D'accord, mais c'est ici que commence la difficulté. Entre ces races, dont la stabilité de caractères est aussi ferme que celle des espèces les plus anciennes, il y en a pourtant une qui a été la première, et dont toutes les autres ne sont que des variations, que des races: comment la reconnaître ? «Je regarde, dit M. Naudin, toutes ces faibles espèces énumé«rées sous le nom de races et de variétés comme des formes dérivées « d'un premier type spécifique, et ayant, par conséquent, une origine «< commune. Je vais plus loin : les espèces elles-mêmes les mieux carac«<térisées sont, pour moi, autant de formes secondaires relativement à «un type plus ancien qui les contenait toutes virtuellement, comme <<< elles-mêmes contiennent toutes les variétés auxquelles elles donnent <«< naissance sous nos yeux, lorsque nous les soumettons à la culture*. »

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1

1 Comptes rendus de l'Académie des sciences. (Séances du 16 avril 1858 et suiv.)

2 Manuscrit, p. 216.

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