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Богдана Хмельницкій

Сочиненіе Николая Костомарова.

BOGDAN CHMIELNICKI, par M. Nicolas Kosiomarof.
Saint-Pétersbourg, 1859.

CINQUIÈME ARTICLE1.

Pendant plusieurs jours l'armée polonaise suivit à la piste les fuyards du camp de Beresteczko. Les Cosaques, et surtout les cavaliers, s'étaient mis assez promptement hors d'atteinte, mais ceux des malheureux paysans qui étaient parvenus à passer les marais erraient dans les bois mourant de faim et ne sachant où chercher un asile. La partie de la Podolie qu'ils avaient à traverser pour regagner l'Ukraine avait été complétement dévastée par les Tartares dans leur marche et dans leur retraite. Il n'y avait plus un village, plus une chaumière qui pût offrir un abri. On ne rencontrait que des ruines et des cendres. Les routes et la lisière des forêts étaient jonchées de cadavres décharnés, quelquesuns ayant à la bouche de l'herbe ou des racines. De temps en temps les trompettes polonaises ou le piétinement des chevaux faisaient lever des buissons quelques figures humaines, semblables à des spectres, qui essayaient de s'enfuir et retombaient aussitôt épuisées. Le roi donnait du pain à ces misérables, mais Wiszniowiecki faisait tuer tous ceux qui s'offraient à lui; c'était, disait-il, une race incorrigible, qu'il fallait exterminer. Après quelques jours de poursuite, les vainqueurs eux-mêmes commencèrent à souffrir cruellement de la disette et de la maladie épidémique que les Cosaques avaient apportée. On n'avait pas encore passé la frontière ukrainienne que déjà les milices de l'arrière-ban voulurent retourner dans leurs foyers, prétendant que la guerre était finie. Potocki essaya de les retenir par les prières et les menaces, mais il faillit exciter une dangereuse sédition en voulant punir, selon les lois militaires, des gentilshommes de la Pospolite Ruszenie qui se préparaient

1Voir, pour le premier article, le cahier de janvier 1863, p. 5; pour le deuxième, le cahier de février, p. 77; pour le troisième, le cahier de mars, p. 133; pour le quatrième, le cahier de mai, p. 277.

à quitter le camp sans son congé. Force lui fut de consentir à ce qu'il ne pouvait empêcher, et en peu de jours l'armée royale se trouva réduite aux troupes soldées et à quelques régiments de volontaires entraînés par Wiszniowiecki. Le roi lui-même, qui d'abord avait montré l'intention de pousser jusqu'à Kiew, dégoûté maintenant du spectacle de tant de misères, reprit brusquement le chemin de Varsovie, et chercha dans les plaisirs à oublier les fatigues de la campagne et les soucis du gouvernement. L'hetman de la couronne, avec une trentaine de mille hommes, Allemands pour la plupart, pénétra sur le territoire des Cosaques. Les premiers villages se firent saccager en essayant de résister sans chefs et sans munitions. On vit des femmes, armées de faux, se battre avec fureur à côté de leurs maris et de leurs enfants. Étonnés de leur courage, les officiers disaient à leurs soldats que c'étaient des hommes déguisés, et les excitaient à tout tuer indistinctement. Ils n'étaient que trop obéis, et l'armée royale ne laissait pas un être vivant sur son passage. De leur côté, les Cosaques et les paysans exaspérés se vengeaient sur les traînards qu'ils pouvaient surprendre, et les faisaient mourir avec d'horribles raffinements de cruauté. Voltigeant sans cesse autour des colonnes polonaises, ils les fatiguaient, leurs faisaient éprouver quelques pertes, mais ne parvenaient pas à les arrêter. L'épidémie et la famine étaient d'ailleurs bien plus redoutables à l'armée victorieuse que les bandes désordonnées qui la harcelaient. Wiszniowiecki marchant toujours à l'avant-garde, et partageant, selon son habitude, les fatigues et les privations de ses soldats, fut atteint de la maladie qui les décimait, et, au bout de trois jours, le 9 août, il expirait, pleuré par toute l'armée, qui l'admirait comme le champion de la République et le modèle des preux. Les soldats, qu'il avait si souvent conduits à la victoire dans les affaires les plus périlleuses, ne voulaient pas croire qu'un capitaine si brave, si fort, si habile, pût mourir de maladie; ils publièrent qu'il avait été empoisonné, et la haine entre les Polonais et les Russiens s'en accrut encore.

Tandis que Jean Casimir s'apprêtait à détruire devant Beresteczko la principale armée des Cosaques, la République s'était trouvée menacée, au midi et au nord, par des insurrections soudaines qui révélaient l'étendue des plans de Chmielnicki et le nombre de ses partisans. Dans la Russie Rouge, un gentilhomme nommé Napirski avait soulevé les paysans, brûlé des châteaux, pris quelques villes, et menaçait Cracovie, lorsque sa bande fut défaite par les troupes que l'évêque de cette ville avait levées et dirigées contre lui. Napirski, abandonné par le prince de Transilvanie qui devait le soutenir, fut fait prisonnier, et expia sa trahison sur le pal

à Varsovie. Au nord, les paysans de la Posnanie, province jusqu'alors exempte de troubles, s'étaient insurgés au premier bruit de la marche des Cosaques; mais la noblesse et les milices du pays eurent facilement raison de ce rassemblement de serfs mal armés. Enfin, en Lithuanie, les généraux de la République avaient obtenu de nouveaux succès. Le prince Janus Radziwill, hetman du grand-duché, avait complétement battu les rebelles, malgré le secours qu'ils avaient reçu de plusieurs régiments envoyés de l'Ukraine. Il les avait poursuivis au delà de ses frontières, et, après avoir défait et tué le colonel Niebaba devant Kiew, il était entré en vainqueur dans cette grande ville, qui était comme la capitale religieuse de toutes les provinces russiennes. C'était également vers Kiew que se dirigeait l'armée de la couronne commandée par Potocki.

A la fin du mois de juillet 1651, on ignorait encore en Ukraine les résultats de la bataille de Beresteczko; seulement de vagues rumeurs circulaient sur la disparition de Chmielnicki. On le croyait en Crimée; les uns disaient qu'il était allé solliciter de nouveaux secours auprès du kan, d'autres qu'il était son prisonnier. Les habitants du bourg de Pawloczi, rassemblés sur la place, s'entretenaient avec inquiétude des nouvelles qui annonçaient la marche d'un corps polonais, lorsqu'ils virent paraître l'Ataman à cheval, accompagné de Wygowski et d'un petit nombre de Cosaques. Surpris de le voir en pauvre équipage et sans son escorte ordinaire, les habitants se pressèrent autour de lui et lui demandèrent des nouvelles. Chmielnicki répondit que tout allait bien; qu'il avait laissé à Beresteczko douze régiments dans un bon tabor, avec des vivres et de la poudre pour trois mois; qu'au reste il allait leur conduire des renforts. Là-dessus il descendit de cheval, se mit à table et s'enivra si bien, que pendant deux jours il fut incapable de s'occuper d'affaires. Chmielnicki venait de quitter l'armée des Tartares. D'abord traité par le kan comme un traître, gardé à vue et souvent menacé de mort, il était enfin parvenu à obtenir sa liberté, en promettant une forte rançon, que Wygowski était allé chercher à Czehrin. Telle est au moins la version la plus accréditée et la plus vraisemblable. Selon quelques chroniqueurs, cette rançon aurait été de 800,000 écus; mais on se demande où Chmielnicki aurait pu trouver une somme si considérable 1. Peu après arrivèrent à Pawloczi Djedjałyk et plusieurs autres colonels échappés de la déroute de Beresteczko, quelques-uns blessés, tous

Sa cassette, qui fut trouvée par les Polonais dans le camp de Beresteczko, ne contenait que 30,000 ducats.

accablés de fatigue, l'un suivi d'une cinquantaine de cavaliers, l'autre d'une vingtaine; le mieux accompagné était le colonel de Poltava, qui amenait 600 hommes. En apprenant qu'il n'avait plus d'armée, l'Ataman s'arracha les cheveux, versa des larmes, se maudit lui-même et toute la terre avec lui, et, dans son désespoir, annonça la résolution d'aller chercher un asile dans la sietche des Zaporogues, pour y finir ses jours dans l'oubli. Quelques heures après cependant, il courait à Czehrin dans l'espoir d'y trouver encore des soldats et de l'argent; mais les habitants lui fermèrent leurs portes en l'accusant d'avoir trahi l'armée et la patrie. L'anarchie était complète; les colonels et les Anciens n'étaient pas mieux obéis que leur général. Déterminés à défendre leur pays jusqu'à la dernière goutte de leur sang, les paysans et même la plupart des Cosaques avaient perdu toute confiance dans leurs chefs, qu'ils accusaient de les avoir livrés aux panes, leurs ennemis. Partout se levaient des bandes qui s'appelaient compagnies noires, de la couleur de leurs vêtements; sans vouloir se concerter, souvent sans élire un chef, ces bandes s'agitaient au hasard et ruinaient le pays au lieu de le défendre. En même temps, à la faveur de la confusion générale, plusieurs corps de Tartares échappés de Beresteczko pillaient les villages et enlevaient les femmes et les enfants. Glukh, colonel du régiment d'Uman, tombant à l'improviste sur ces alliés perfides, en fit un grand carnage.

Au bout de quelques jours, Chmielnicki avait retrouvé son ancienne énergie et était redevenu lui-même. Il se mit à parcourir le pays, haranguant les paysans et les déserteurs, prodigue de promesses et de menaces, et, après des efforts inouïs, il parvint à rallier quelques-unes des compagnies noires au petit nombre de soldats fidèles qui lui restaient. Il écrivait sans cesse au Divan, et même à Islam Ghereï, pour demander des secours, et, à force de prières, il en obtint 4 ou 5,000 cavaliers. Bien que son état-major se montrât toujours obéissant et même dévoué, il était divisé, comme le pays, en plusieurs factions. L'auditeur Wygowski et d'autres officiers, Polonais et gentilshommes comme lui, depuis longtemps affiliés aux Cosaques, prêchaient la soumission, et quelques-uns même négociaient en secret avec l'hetman de la couronne, tandis que les vieux Zaporogues voulaient se jeter dans les bras du tsar de Moscovie, en lui offrant la suzeraineté de l'Ukraine. D'autres proposaient de s'expatrier, et déjà les chefs de plusieurs villages, sans attendre une délibération du cercle, avaient passé la frontière et demandé au tsar la permission de s'établir dans des steppes incultes. Tout un régiment de Cosaques volhyniens, abandonnant pour toujours sa patrie, obtint de la cour de Moscou un territoire et le privilége d'y

conserver les institutions zaporogues. Le nombre des émigrants devint si considérable, qu'ils formèrent en peu de temps de grands villages et même des régiments. C'est ainsi que furent colonisés les steppes arrosés par le Donets et tout le riche pays qui prit le nom d'Ukraine slobodienne, c'est-à-dire d'Ukraine libre, par opposition à l'ancienne, maintenant asservie à la Pologne. Les émigrants appelaient leurs nouveaux villages libertés, Slobodi, et ce mot du dialecte russien est devenu aujourd'hui synonyme de commune importante 1.

Au milieu de tous les embarras d'une situation si critique, Bogdan Chmielnicki, à la surprise générale, se maria pour la troisième fois à Anna Zolotarenko, sœur d'un de ses colonels. Sa seconde femme, celle dont l'enlèvement par Czaplinski avait été la cause principale de la révolte des Cosaques, et qu'il avait reprise avec joie, comme il semble, venait d'avoir une fin tragique. Tandis que l'Ataman était en Podolie, Timothée, demeuré à Czehrin, fit pendre un matin sa bellemère à la porte de sa maison avec six autres personnes. Le crime des victimes ou le prétexte de l'exécution est demeuré inconnu. Quelques chroniqueurs disent que Timothée obéit à un ordre de son père; d'autres qu'en l'absence de l'Ataman il usa de son autorité comme chef de famille, et selon la justice patriarcale des Zaporogues, qui rappelle celle de Télémaque faisant étrangler sommairement les suivantes de Pénélope.

Cependant la guerre, la famine et la peste continuaient à dévaster l'Ukraine. Potocki, malade et sentant ses forces l'abandonner, inclinait maintenant pour les mesures de conciliation, étonné peut-être de la résistance désespérée des Russiens, qui lui arrachait une estime involontaire, ou du moins quelque pitié pour leurs maux; mais c'était inutilement qu'il offrait le pardon aux révoltés; ils combattaient toujours, même n'ayant plus l'espoir de vaincre. Leurs bandes les plus nombreuses rodaient autour de Kiew, épiant l'occasion d'une surprise. On a vu que le prince Radziwill s'était emparé de cette place; mais, embarrassé pour contenir une population nombreuse et hostile, menacé par les Cosaques qui tenaient la campagne, il pressait Potocki de venir joindre ses forces aux siennes; celui-ci, obligé de faire le siége de tous les villages qu'il rencontrait sur sa route, n'avançait que très-lentement. Les Cosaques tentèrent une attaque nocturne contre Kiew, sur plusieurs points à la fois, mais leurs mouvements avaient été mal combinés, et Radziwill put

Les Cosaques disent en effet слобода au lieu de свобода. Cette étymologie, que j'emprunte à M. Kostomarof, est poétique, mais peut être contestée, je crois.

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