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de maraudeurs les assaillit, pilla leurs voitures, prit leurs chevaux. tous les objets de prix qu'ils portaient et jusqu'à une partie de leurs vêtements. C'est en ce triste équipage qu'ils rejoignirent leurs compatriotes, s'estimant heureux de n'avoir pas été massacrés.

Les dernières formalités, pour la conclusion de la paix, étaient la signature du traité par l'Ataman et les deux généraux polonais et la prestation d'un nouveau serment entre les mains de l'hetman de la couronne. A cet effet Potocki et Radziwill s'approchèrent de Biela-Cerkow, et une riche tente fut dressée en avant du camp polonais pour l'accomplissement de la cérémonie. Le 11 septembre, jour fixé par les commissaires, au lieu des colonels de l'armée zaporogue, on vit paraître une douzaine de paysans inconnus, se disant envoyés des Cosaques pour demander la paix et l'exécution du traité de Zborow. Il y avait deux armées cosaques, deux gouvernements russiens en Ukraine. Potocki chassa ces députés avec mépris, mais ils étaient suivis d'une armée considérable, composée de paysans et de Tartares qui semblaient disposés à combattre. Derrière eux, mais à une certaine distance, s'avançait Chmielnicki avec ses régiments réguliers formés en tabor, c'est-à-dire flanqués de plusieurs lignes de chariots. Bien qu'il ne parût pas agir de concert avec l'autre armée, sa présence était inquiétante, et les Polonais ne doutèrent pas que, si, dans la rencontre qui se préparait, la fortune favorisait les Russiens, il ne passât bientôt du rôle de spectateur à celui d'acteur. Tout se borna cependant à de légères escarmouches. Radziwill culbuta les plus hardis des assaillants, mais c'est en vain qu'il pressa Potocki de donner avec toutes ses forces; l'hetman de la couronne, résolu à finir la guerre sans nouvelle effusion de sang, fit sonner la retraite, dès que les Russiens eurent tourné le dos. Peu après Chmielnicki écrivait pour désavouer toute participation à cette attaque et se déclarait prêt à signer le traité. Malgré le mécontentement de ses officiers, qui demandaient à combattre, Potocki accueillit les excuses de l'Ataman, et traita courtoisement les envoyés cosaques. Un d'eux, qu'il avait fait dîner à sa table, lui demanda pourquoi on empêchait l'armée zaporogue d'aller guerroyer dans la mer Noire contre les Turcs; « c'est la défense d'armer des cor«saires, disait-il, qui nous a poussés à la révolte. — Hélas! dit Potocki, << tous nos malheurs ont tourné à l'avantage des infidèles; tandis que <«< nous nous entr'égorgeons, nous protégeons en effet leurs frontières. <«< — Eh bien, mon gracieux seigneur, reprit le Cosaque, fais en sorte

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« que le roi et la République nous ouvrent la mer, car tu sais que le

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« Cosaque ne peut vivre sans guerroyer. Allez, dit Potocki, allez où bon vous semble, nous n'avons garde de vous en empêcher. »>

Le 17 septembre Chmielnicki se rendit de sa personne au camp polonais. Il avait reçu la veille deux otages, Marko Sobieski, le frère aîné du futur roi de Pologne, et Gonziewski d'une des plus grandes maisons de Lithuanie; cependant, pour quitter ses quartiers, il avait dû parlementer longtemps avec les Anciens, qui craignaient une trahison, et enivrer d'eau-de-vie les simples Cosaques, qui à jeun n'eussent peutêtre pas consenti à le laisser partir. Suivi de quelques officiers, l'Ataman se présenta sans embarras aux généraux polonais. C'était la première fois qu'il revoyait Potocki depuis que, sur le champ de bataille de Korsun, il l'avait livré aux Tartares. «Je vous ai offensé plus que personne, « monsieur l'hetman, » lui dit-il. Potocki répondit poliment qu'il avait tout oublié, et que ses malheurs personnels ainsi que ceux de la patrie étaient un jugement de Dieu. On lut ensuite le traité, et, après quelques observations pour la forme, l'Ataman le signa ainsi que plusieurs de ses colonels et l'auditeur Wygowski.

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Un grand banquet avait été préparé dans la tente de l'hetman de la couronne. Chmielnicki y avait une place d'honneur, et derrière lui se tenait debout un de ses officiers portant la bulava, dont il avait fait peu de jours avant un si vigoureux usage pour la défense de ses hôtes. Pendant quelque temps il garda le silence, mais, lorsque le vin commençait à délier les langues, il se tourna vers l'hetman de Lithuanie, et lui dit avec un peu d'ironie qu'il était surpris de le voir dans le camp polonais. «A Chotin' et dans d'autres occasions, ajouta-t-il, nous n'avons « pas vu les Lithuaniens. — J'ai dû venir ici, répondit fièrement Radziwill, pour faire rentrer des rebelles dans le devoir. - Vos ancêtres, reprit aigrement l'Ataman, ne vous ont pas appris à vous battre contre « l'armée zaporogue. » Il faisait, je crois, allusion à une défaite essuyée par le père du prince. On se hâta de détourner la conversation, mais un des convives ayant prononcé le nom de l'hospodar Lupula, Chmielnicki, déjà peut-être animé par le vin, s'écria: c'est un traître! Aussitôt quelques seigneurs polonais l'avertirent que l'hospodar était le beau-père de Radziwill, et le prièrent de rétracter des paroles offensantes pour un prince allié de la République. L'Ataman, s'échauffant de plus en plus, poursuivit : « Lupula a manqué de parole à mon fils; oui, prince, je sais qu'il est votre beau-père, mais il me payera sa perfidie. Il a beaucoup « de ducats, moi j'ai beaucoup d'hommes; je raflerai son trésor, et je le «< châtierai comme il le mérite!» Radziwill, qui pâlissait de colère, se

1 Ville de Bessarabie, près de laquelle, en 1614, fes Polonais avaient remporté une grande victoire sur les Turcs.

contint pourtant, et se borna à dire que l'hospodar n'était pas homme à s'effrayer pour si peu. Ces vivacités étaient suivies d'intervalles d'un silence embarrassant. Un chroniqueur polonais prétend que les généraux délibérérent tout bas entre eux pendant le diner sur la question de savoir s'il ne serait pas à propos d'empoisonner Chmielnicki séance tenante. Outre qu'un crime pareil ne s'improvise point au milieu d'un repas, le caractère de Potocki et de Radziwill suffit à démentir une semblable imputation. Ce qui paraît certain c'est que l'Ataman, observant que plusieurs des convives se parlaient à voix basse, fut frappé tout à coup de l'idée qu'on avait quelque mauvais dessein contre lui. Sa contenance changea, et il parut fortement préoccupé. Lorsque, au bruit des fanfares, on porta la santé du roi, Chmielnicki se leva ainsi que tous les convives et se découvrit avec respect, mais il laissa tomber son verre comme par maladresse, et, prétextant une indisposition soudaine, il prit congé du grand hetman et quitta la table pour regagner ses quartiers. On lui amena un cheval turc magnifiquement harnaché, présent du général de la couronne. Chmielnicki considéra le cheval en connaisseur, et dit à l'officier qui l'avait amené : « Voilà donc la magnificence de votre Potocki? Je l'en remercie comme je le dois il est l'hetman de la cou<«<ronne, mon allié, et par-dessus le marché mon vainqueur; mais j'ai << trois cents chevaux pareils à son service. » Il sauta en selle et regagna son fort au galop. Dès le lendemain Wygowski revint au camp polonais avec un cheval arabe que Chmielnicki envoyait au fils de Potocki, naguère son prisonnier, et par lui plus d'une fois menacé du pal. L'auditeur était chargé en même temps de porter au prince Radziwill les excuses de l'Ataman pour les paroles qui lui étaient échappées dans l'ivresse. Le prince répondit fièrement qu'il serait toujours à la disposition de Chmielnicki lorsque celui-ci voudrait le rencontrer, soit seul à seul, soit chacun à la tête d'une armée. On pense bien que l'auditeur se garda d'accepter le défi, d'ailleurs il ne s'appliqua guère qu'à se faire valoir auprès des généraux polonais. C'est à lui seul, disait-il, qu'on devait la conclusion du traité; lui seul gouvernait et l'Ataman et le cercle des Cosaques. Toutes ces vanteries ne tendaient probablement qu'à obtenir des cadeaux ou des pensions.

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Peu après la signature du traité de Biela-Cerkow, l'armée polonaise se replia sur Winniça, et Chmielnicki regagna son quartier général de Czehrin, où, cette fois bien accompagné, il fut reçu. Potocki ne survécut que peu de jours à la conclusion de la paix; épuisé par la maladie qui le minait depuis le commencement de la campagne, il parut heureux de mourir après un triomphe dont il soupçonnait peut-être la

courte durée. La charge d'hetman passa à Kalinowski ainsi que la rude. tâche de presser l'accomplissement des dernières conventions. Toutes les provinces russiennes étaient inondées de compagnies noires harcelant sans cesse les troupes polonaises et dévastant le pays sous prétexte de le délivrer du joug étranger. Agissant presque toujours sans concert, mal armées et conduites par des chefs sans expérience, ces bandes ne réussissaient qu'à exaspérer les vainqueurs et à provoquer d'atroces vengeances. Mais ni les exécutions sanglantes, ni les défaites, ni l'incendie de leurs villages ne décourageaient les rebelles, qui semblaient, après chaque revers, redoubler d'acharnement. On vit à la fois quatre ou cinq atamans acclamés par autant de factions, se dénonçant les uns les autres comme traîtres à la patrie, et d'accord seulement dans leur haine contre les Polonais et contre Chmielnicki, auquel ils attribuaient tous leurs maux. L'automne et l'hiver de 1651 furent employés par Kalinowski à traquer et à disperser les compagnies noires; mais, en pourchassant les insurgés, en exterminant la plupart des chefs qu'ils s'étaient donnés, le nouvel hetman de la couronne ne s'aperçut pas qu'il raffermissait l'autorité chancelante de Chmielnicki et qu'il le dé barrassait de rivaux redoutables. Sans combattre, et laissant aux Polonais tout l'odieux des violences et des supplices, se bornant à publier de temps en temps des manifestes contre les rebelles, Chmielnicki était redevenu le maitre reconnu et obéi de l'Ukraine; il avait rétabli la dis cipline dans son armée, et maintenant il était considéré comme l'homme necessaire, le seul dont le pays put attendre sa délivrance. Quant a Taccomplissement des conventions de Biela-Cerkow, il ne s'en était guères mis en peine et croyait avoir suffisamment fait preuve de soumission en remplissant ses manifestes de menaces contre les rebelles, menaces demeurées toujours sans execution. On a vu que formée zaporogue devait être reduite a 20.000 hommes, et en effet l'Ataman avait envoyi à Varsovie un registre en bonne forme constatant cet effectif officiel. mais il etait notoire qu'il avait une armee bien plus considérable et qe il fangmentait tous les jours. Cest a peine d'il gardait quelques meid. Dagements, car, aux reproches adressés par Kalinowski, il répondit quil lui etait imposible de se faire obeir des paysans, à moins de les ene gimenter. In observait pas mieux la defense de traiter asse les primes strangers. Au commencement de 1652. Il envoya un de ses affides n tsar Alexis Mikhailovitch pour lui demander sa protection. Vesperm ptus rien des Tartares ni des Turs, et pervcadé que la part ne var ↑ pas de longue dure. I setat enfin determiné a solliciter Invite des Moscovites. Dan autre cite femigration des paysans et des Co

saques de l'Ukraine sur les terres du tsar avait pris des proportions alarmantes, et il semble que Chmielnicki, hors d'état de l'arrêter et menacé d'être abandonné par tout son peuple, eut un moment le projet singulier de le conduire lui-même sur la terre étrangère. Son envoyé vint solliciter auprès du tsar la permission pour les Cosaques de s'établir sur les frontières de Lithuanie, et l'Ataman s'engageait à transporter sur ce territoire la population entière de l'Ukraine. Cette proposition est attestée par le procès-verbal tenu par les conseillers du tsar dans leur conférence avec l'envoyé de Chmielnicki. Les Moscovites comprirent facilement que les Cosaques, une fois établis sur la frontière lithuanienne, si près de leur patrie, ne manqueraient pas d'engager des hostilités avec la Pologne et d'entraîner le tsar dans une guerre. Alexis Mikhailovitch, strict observateur des traités, refusa le territoire qu'on lui demandait, offrant en échange les vastes et fertiles plaines, alors désertes, au midi de son empire, mais ce n'était plus le compte de Chmielnicki, et, pour cette fois, les négociations demeurèrent sans résultat.

Nul doute que Chmielnicki n'ait signé le traité de Biela-Cerkow avec l'arrière-pensée de le rompre dès qu'il aurait réparé ses pertes; un événement imprévu vint le débarrasser des faibles ménagements qu'il se croyait encore obligé de garder. Suivant l'usage, la convention signée par les hetmans et les chefs des Cosaques devait être ratifiée par la Diète, autrement elle était légalement non avenue. Longtemps différée, cette formalité essentielle allait être enfin accomplie, lorsque la protestation d'un gentilhomme lithuanien nommé Sycinski obligea la Diète à se dissoudre. Ce fut le premier exemple de ce liberum veto qui asservissait les assemblées politiques de la Pologne au caprice d'un individu. Sycinski avait été acheté, non par Chmielnicki, mais par quelques personnages puissants, fort peu préoccupés des Cosaques, et menacés par la Diète d'un procès scandaleux, auquel ils voulaient se soustraire. Le nonce lithuanien déclara que la Diète avait dépassé le terme légal de sa durée, et protesta contre toute délibération ultérieure; c'en était assez pour la forcer à se séparer aussitôt. A la vérité, il y avait un remède au liberum veto, c'était la guerre civile, et on s'y préparait. Aussitôt Chmielnicki prétendit que le traité de Biela-Cerkow, n'ayant point été ratifié, n'existait plus, et que la convention de Zborow reprenait sa valeur. Il voyait la Pologne livrée à l'anarchie, le moment était arrivé de redevenir le prince des Russiens.

D'abord il voulut constater hautement son indépendance et se venger en même temps de l'hospodar de Moldavie, à la perfidie duquel il attribuait ses derniers revers. Il disait que c'était grâce aux avis de

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