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Богданъ Хмельницкій

Сочиненіе Николая Костомарова.

BOGDAN CHMIELNICKI, par M. Nicolas Kostomarof.
-Saint-Pétersbourg, 1859.

SIXIÈME ET DERNIER ARTICLE1.

Le désastre de Batoh ayant convaincu l'hospodar de Moldavie qu'il n'avait plus de secours à espérer de la Pologne, il se résigna de bonne grâce à l'alliance de son terrible voisin. La belle Rosanda eut ordre d'étudier des airs cosaques et de ne rien négliger pour plaire à son fiancé. En écrivant à Chmielnicki pour l'assurer de la joie que lui donnait cette union, Lupula le suppliait seulement de ne pas envoyer Timothée à lassy avec une armée, et surtout avec des Tartares pour auxiliaires. Timothée partit escorté de quelques escadrons de Cosaques, dès que son père eut reçu des otages, et son entrée dans la capitale de la Moldavie fut des plus brillantes. Elevé dans la steppe, parmi des soldats farouches, il montra d'abord un peu de gaucherie, en paraissant dans une cour alors renommée par son élégance, et ne trouva pas un mot à répondre aux félicitations qu'on lui adressait. Il fallut que Wygowski, que l'Ataman lui avait donné pour mentor, se chargeât de complimenter l'hospodar, sa femme, et même la charmante fiancée. Pourtant Timothée, qui était bien fait, adroit à tous les exercices, et qui venait de gagner une bataille, plut à Domna Rosanda et à sa mère. Cette dernière, femme ambitieuse et d'un caractère énergique, voyait avec plaisir entrer dans sa maison un soldat brave et entreprenant, qu'elle espérait gouverner pour ses intérêts particuliers. Plus qu'aucun autre petit despote de l'Orient, Lupula avait besoin d'un général dévoué. Haï par le peuple qu'il pressurait, et par les grands en qui il ne voyait que des rivaux, l'hospodar vivait dans la crainte continuelle d'une révolte. Maint boyard était mort subitement à la suite d'une fête qu'il avait donnée. D'autres,

le

Voir, pour le premier article, le cahier de janvier 1863, p. 5; pour le deuxième, le cahier de février, p. 77; pour le troisième, le cahier de mars, P. 133; pour quatrième, le cahier de mai, p. 277; pour le cinquième, le cahier de juin, p. 362.

tel

que

suspects par leurs alliances, par leur fortune, par leur popularité, avaient péri assassinés sur les routes ou dans leurs palais. Il n'y avait guère de familles nobles qui n'eussent à réclamer une dette de sang, et un gendre le fils de Chmielnicki semblait propre à convaincre les Moldaves qu'ils essayeraient vainement de secouer le joug. A la vérité, on n'était pas sans inquiétudes sur les desseins secrets du vieux Bogdan, mais la princesse se flattait que les charmes de Domna Rosanda lui assureraient le dévouement absolu de son gendre. Après les fêtes du mariage, où la cour d'Iassy prit à tâche d'entremêler les cérémonies en usage chez les Cosaques à l'étiquette de la cour moldave, Timothée conduisit sa femme à Czehrin accompagné de son beau-père.

La Pologne, déjà si affaiblie, était encore menacée par la Moscovie et la Suède, qui toutes les deux avaient contre elle des griefs fondés sur des infractions à l'étiquette diplomatique. Malgré maint avertissement, des palatins polonais avaient omis quelques-uns des titres officiels du tsar dans des lettres qu'ils lui avaient adressées; c'est pourquoi il rassemblait une armée sur la frontière de la Lithuanie. Quant à la reine Christine, elle se plaignait, avec plus de raison, que Jean-Casimir, descendant des Wasa dépossédés, prît encore dans ses actes le titre de roi de Suède. Si les motifs de rupture semblaient légers d'abord, ils devenaient graves par la forme hautaine donnée aux réclamations, et il était facile de voir que la guerre allait en résulter. Cependant le roi et la majorité du sénat, fermant les yeux au danger, ne pensaient qu'à réduire les Cosaques et à laver la honte de Batoh. En vain les plus sages conseillers de la couronne proposaient d'accorder la paix à l'Ukraine et de désarmer Chmielnicki par quelques concessions, avant qu'il ne fût jeté entre les bras du tsar ou des Suédois, avec lesquels il était déjà en négociations. Tout ce qu'ils purent obtenir fut l'envoi de nouveaux commissaires en Ukraine; mais leurs instructions, qui semblaient avoir été dictées avant la bataille de Batoh, ne pouvaient avoir d'autre effet que de l'irriter davantage. En effet, un des commissaires lui ayant dit que, s'il observait les conditions du traité de Biela-Cerkow, il pourrait obtenir son pardon du roi, l'Ataman bondit de fureur, et, tirant son sabre : << Mon pardon! s'écria-t-il. Mon crime apparemment, c'est d'avoir retenu «mes Cosaques et les Tartares après la déroute de Kalinowski, de les « avoir empêchés de se jeter sur la Pologne, de l'anéantir et de pousser «jusqu'à Rome? Et c'est là ce que vous venez m'offrir, comme si je ne « savais pas démêler vos ruses! Croyez-vous par hasard que je ne sois << pas instruit des armements que le roi fait contre nous?» Sa fureur et la vue de ce sabre nu, qu'il leur mettait sous le nez, comme dit un

historien polonais, effrayèrent les envoyés du roi. « Un ambassadeur, lui << dirent-ils, est comme un âne qui porte le fardeau qu'on lui met sur « l'échine sans le consulter. » C'est un proverbe slave. Chmielnicki remit en souriant son sabre au fourreau, et termina la conférence plus poliment qu'il ne l'avait commencée, déclarant néanmoins qu'il s'en tenait aux conventions de Zborow, et qu'il ne ferait la paix qu'après leur accomplissement loyal et complet. Le roi n'avait pas d'armée et la diète lui refusait les ressources nécessaires pour en réunir une. Il fit mine cependant de vouloir entrer en Ukraine avec ce qu'il avait pu rassembler de milices et de volontaires, mais, après quelques mois perdus à lever des soldats, qui désertaient aussitôt, n'étant pas payés, l'hiver l'obligea d'ajourner son expédition.

Ce que le roi n'avait pu faire, un simple gentilhomme le tenta avec un corps nombreux de volontaires, que sa réputation d'audace et d'intrépidité avait attirés sous son drapeau. Czarnecki, émule et successeur de la gloire de Jérémie Wiszniowiecki, pénétra en Ukraine au milieu de l'hiver, surprit et brûla plusieurs bourgs et répandit l'alarme dans tout le district de Braclaw, où commandait le colonel Bogun. Le héros polonais allait trouver un adversaire digne de lui. Averti que Chmielnicki s'approchait avec des forces considérables, Bogun s'enferma dans le bourg fortifié de Monastirszcze et s'y défendit opiniâtrément. Après des efforts inouïs et des pertes considérables, les Polonais forcèrent une première enceinte, mais Bogun se retira dans un grand couvent qui donnait son nom au bourg, et repoussa toute offre de capitulation. On mit le feu au couvent; les Cosaques continuaient toujours à tirer par les fenêtres. Bogun, leur ayant fait jurer de se laisser brûler plutôt que de se rendre, sortit avec quelques hommes pour presser l'arrivée de l'Ataman, qu'on disait en marche pour secourir son lieutenant. Sorti de son fort, le colonel cosaque remarque que l'attaque des Polonais se ralentit. Czarnecki, en conduisant ses gens à l'assaut, venait d'être grièvement blessé d'un coup de flèche qui lui traversait les deux joues. Il était tombé étouffé par le sang qui lui entrait dans la gorge. Aussitôt Bogun tourne bride et charge les Polonais par derrière, en poussant le cri des Tartares. Déjà ébranlés par la blessure de leur chef, les Polonais, sans remarquer qu'ils n'avaient affaire qu'à une poignée d'hommes, prirent la fuite, abandonnant leur butin, leurs bagages et la plupart de leurs blessés. Dans cette panique, Czarnecki lui-même serait demeuré entre les mains des Cosaques, si quelques-uns de ses volontaires ne l'eussent jeté évanoui sur un traîneau. L'hiver s'acheva sans nouvelles hostilités.

Tranquille du côté de la Pologne, dont la situation lui était bien

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connue, Chmielnicki négociait secrètement avec le tsar et avec la Suède, et cependant dirigeait une expédition sur les provinces danubiennes. Timothée, pendant son séjour à lassy, avait révélé à Lupula une partie des projets de son père. «Nous achèterons la Valachie au <«< sultan, lui avait-il dit; nous en chasserons Radoul, et alors, que Ragoczi prenne garde à lui! Nous n'avons pas oublié qu'il nous a << trahis à Beresteczko. » Ce n'était rien moins qu'un empire cosaque dont Chmielnicki rêvait la fondation. Les ouvertures ou les indiscrétions de Timothée furent bientôt rapportées à l'hospodar de Valachie et au prince de Transilvanie. On prétend que la femme d'Étienne Boudrouts, logothète ou chancelier de Moldavie, arracha le secret à son mari et le communiqua à Radoul, allié de sa famille. Les deux princes menacés jugèrent que le plus sûr moyen de conjurer la tempête était de profiter de l'absence de Timothée pour chasser Lupula et occuper la Moldavie. Ils offrirent le trône à Boudrouts, qui entra dans la conjuration. Attaqué de deux côtés à la fois, trabi par son ministre, abandonné par ses sujets, Lupula fut obligé bientôt d'aller chercher un asile à Kaminiec, où Stanislas Potocki, alors hetman de la couronne, commandait avec quelques troupes.

Il s'agissait pour Chmielnicki de ramener Lupula à Iassy, et de punir les princes confédérés. Il fallait gagner le divan, pour qu'il ne s'offensât pas d'une intervention dans des provinces tributaires du sultan. Les envoyés de l'Ataman partirent chargés de présents pour les ministres de la Porte, qui offraient, pour ainsi dire, les principautés danubiennes à l'encan; mais, sans attendre l'effet des négociations, Timothée se mit en campagne avec un régiment de Cosaques, des montagnards des Carpathes, des Tartares et un certain nombre d'anciens haidamaks russiens, dont Chmielnicki était probablement bien aise de se débarrasser. Avec cette armée, qui s'élevait à 12,000 hommes, Timothée entra en Moldavie, prit la capitale, battit les confédérés et força Étienne de s'enfuir en Valachie. Il écrivit à son père pour annoncer cette facile victoire, en parodiant le mot de César : « Je suis venu, j'ai vaincu, mais je n'ai pas vu << l'ennemi. » Après avoir fait rentrer la Moldavie dans le devoir, il passa en Valachie, où ses soldats se livrèrent à d'horribles excès. On remarqua qu'ils n'épargnaient pas même les églises du rit orthodoxe, et l'on prétend que Timothée frappa de son sabre quelques-uns de ses Cosaques qui hésitaient à brûler un couvent. Mieux eût valu alors brûler vingt villages. Tout le pays se souleva. Les confédérés se rallièrent et battirent à leur tour Timothée, aux bords de la Telejina. Les chroniqueurs lui reprochent d'avoir fait retraite un peu trop promptement avec ses Cosaques régu

liers, laissant à la boucherie son infanterie russienne, qui fut massacrée sans pitié par les Valaques. Il faut tuer ces chiens, pour leur faire lâcher prise, » disait le général ennemi. Lupula était déjà hors d'atteinte. Timothée et sa belle-mère s'enfermèrent avec quelques milliers de Cosaques dans la forteresse de Soczawa, place importante, qui, disait-on, renfermait le trésor de l'hospodar. Les confédérés vinrent en faire le siége et bientôt obtinrent des secours de la Pologne, avec laquelle Ragoczi avait eu l'art de se réconcilier.

Jean-Casimir, de son côté, faisait les plus grands efforts pour assembler une armée en état de combattre les Cosaques dans leur pays. La levée de l'arrière-ban fut autorisée par la diète. Inquiet de ces préparatifs et surtout de l'alliance de la Pologne avec le prince de Transilvanie, Chmielnicki, après une tentative inutile pour surprendre les troupes royales dans leurs cantonnements, songea sérieusement enfin à se mettre sous la protection du tsar. Pour sonder les dispositions du peuple, il convoqua à Tarnopol un grand cercle où assistèrent avec ses Cosaques beaucoup de paysans des provinces russiennes. La plupart de ces derniers étaient mal disposés contre l'Ataman, et, instruits qu'il avait envoyé des ambassadeurs à Constantinople, ils l'accusaient de vouloir les rendre tributaires de la Porte. L'assemblée s'ouvrit par un discours étudié de Chmielnicki, dans lequel, après avoir fait un tableau très-sombre de la situation du pays, il cherchait à démontrer qu'il n'y avait de salut possible que sous la protection d'une grande puissance. Cette puissance quelle serait-elle, la Moscovie, la Turquie, la Pologne? La plupart des Russiens, et même beaucoup de Cosaques montrèrent leur préférence pour le tsar, tous une grande répugnance à devenir sujets du sultan. Presque seul, le colonel Bogun opina pour un accommodement avec la Pologne, pourvu qu'elle donnât des garanties de son respect pour la religion et les priviléges de l'armée zaporogue. Probablement cette proposition ne fut pas combattue, car le cercle se sépara après avoir décidé qu'une dernière tentative serait faite auprès du roi pour demander l'exécution du traité de Zborow. Chmielnicki s'attendait bien à un refus péremptoire, mais l'hetman de la couronne alla jusqu'à retenir prisonnier le colonel Adamovitch, le principal des envoyés, annonçant aux Cosaques qu'il ne recevrait plus leurs députés avant qu'au préalable ils lui livrassent leur chef pieds et poings liés. De part et d'autre les préparatifs de guerre prirent une activité nouvelle.

Vers la fin de juillet 1653, au moment où l'armée polonaise allait se mettre en marche, on vit arriver une ambassade moscovite apportant un ultimatum menaçant. Elle était chargée de produire une centaine de

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