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puis dix ans, leur dit-il, il sait toute la politique, et peut être utile à « l'armée. Je voudrais qu'il me succédât. »

« Non! non! s'écrièrent mille voix. Pour tes bons services envers l'ar«mée zaporogue, pour ton sang versé, pour ton courage et ton esprit, << qui nous ont délivrés, qui nous ont glorifiés devant le monde, qui ont <«< fait de nous un peuple libre, nous voulons t'honorer jusqu'après ta « mort. Nous ne voulons pour ataman que ton fils Iourii. » Les candidats proposés par Chmielnicki furent les plus empressés à voter pour son

fils.

« Je suis touché de votre affection, mes frères, dit le vieillard, et je vous << en rends grâces. Mais mon fils est un enfant de seize ans. Comment << serait-il votre ataman en ces temps de périls? Il vous faut un homme «d'expérience. Quant à mon fils, soyez ses protecteurs, c'est ainsi que « vous me prouverez votre reconnaissance. »

« Nous lui donnerons de bons conseillers, répondirent les Cosaques. « Nous voulons à notre tête un Chmielnicki; nous l'aimerons en nous << souvenant de toi et en te bénissant, notre petit père. »

Longtemps il résista; vaincu enfin par les instances des soldats, il appela son fils, et lui remit la boulava. «Ne sois pas orgueilleux, mon « fils, lui dit-il, respecte les Anciens, sois affable avec tes camarades. Ne «t'attache pas aux riches, ne méprise pas les pauvres aime-les tous. « Garde en ton cœur la crainte de Dieu, et, comme moi, sois fidèle à << tes serments. Si tu y manques, le malheur retomberait sur les autres <«<et sur ta propre tête. Et vous, mes amis, donnez-lui vos conseils, et "vivez toujours unis comme des frères. » Il s'évanouit en prononçant ces mots, et on l'emporta tout épuisé dans sa maison. Il languit encore quelques jours. Après avoir reçu les derniers sacrements de l'archevêque de Tchernigof, il donna des ordres pour son enterrement. « Je ne veux pas qu'on m'ensevelisse à Czehrin, dit-il, parce que cette ville a été trop « longtemps sous la domination des ennemis du peuple russien. En<< terrez-moi à Subbotof, dans cette petite terre que j'ai acquise de mon « sang; à Subbotof, qu'on m'a enlevée, et d'où est sortie la flamme qui «< a délivré l'Ukraine. » Le 15 août 1657, le canon et le glas des cloches de Czehrin annoncèrent aux Cosaques que leur patriarche venait d'expirer.

Les peuples aiment à trouver dans le chef qu'ils se sont choisi les vertus et jusqu'aux défauts de leur caractère national. Bogdan Chmielnicki fut comme le type accompli du Cosaque. Il était brave, rusé, entreprenant; il avait l'instinct de la guerre. Son intempérance, sa brutalité réelle ou de commande ne lui nuisait pas plus auprès des Russiens

que les galanteries de Henri IV ne choquaient les Français. Peu de souverains furent plus absolus, aucun n'observa avec plus d'attention les lois et les usages de son pays. Dans le cercle de l'armée zaporogue, il semblait n'être que l'humble exécuteur des décisions de l'assemblée. Tout son pouvoir consistait dans la persuasion qu'avaient tous ses Cosaques de son inaltérable attachement à leurs intérêts. Son ambition était, à vrai dire, du patriotisme, ou plutôt un dévouement absolu à cette association étrange qu'on appelait l'armée zaporogue. Ses institutions étaient les seules qu'il comprit jamais, et le plan qu'il poursuivit toujours fut de former non pas une nation, mais des régiments de soldats dont chacun aurait sous ses ordres quelques serviteurs pouvant devenir soldats eux-mêmes. C'était une aristocratie comme celle de Pologne qu'il voulait fonder, mais moins dure, et accessible à tous les hommes de cœur. Quant à élever les paysans au rang de Cosaques, c'est une idée qu'il n'eut jamais, mais qu'il éveilla partout autour de lui, au point que l'Allemagne elle-même, étrangère aux mœurs slaves, s'en alarma sérieusement. Trop faible pour conquérir seul son indépendance, il dut accepter les alliés que les circonstances lui offrirent, choisissant néanmoins toujours ceux qui ne pouvaient le dominer. On a vu que ce ne fut qu'à la dernière extrémité qu'il se résigna à la protection du tsar, et il paraît s'en être bientôt repenti. Avec des ressources très-médiocres, avec des alliés auquel il fut toujours suspect et qui l'abandonnaient aussi facilement qu'il les abandonnait lui-même, il parvint, pendant dix ans, à maintenir l'Ukraine libre de tout joug étranger. Il aurait réussi peut-être à fonder son indépendance, s'il était arrivé plus jeune au pouvoir ou s'il avait pu transmettre son autorité à un chef aussi habile que lui-même. Il mourut désespérant de l'avenir de sa patrie et prévoyant bien que son fils Iourii serait hors d'état de continuer sa tâche. Si Chmielnicki eût vécu sous un roi comme Étienne Batthori, il l'eût aidé, sans doute, à réformer l'absurde constitution de la Pologne et à substituer une monarchie forte à l'aristocratie anarchique si fatale à ce pays. Malheureusement, il ne trouva que des princes inconstants et légers, et ils ne virent qu'un rebelle dans l'homme qui pouvait être leur plus utile instrument. Bien qu'il ménageât la Pologne, qui, deux fois, fut à ses pieds, Chmielnicki lui porta le coup le plus funeste en lui ôtant l'Ukraine et en introduisant, pour ainsi dire, les Moscovites dans le secret de la faiblesse de la république. Dans un jour de colère, il prépara son démembrement.

P. MÉRIMÉE.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

L'Académie française a tenu, le jeudi 23 juillet, sa séance publique annuelle, sous la présidence de M. Saint-Marc Girardin, directeur.

M. Villemain, secrétaire perpétuel, a ouvert la séance par la lecture de son rapport sur les concours. Les prix décernés et les sujets de prix proposés ont été proclamés dans l'ordre suivant :

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Prix d'éloquence : « Étude littéraire sur le génie et les écrits du cardinal de Retz. » Le prix a été partagé également entre M. Topin, receveur de l'enregistrement et des domaines, à Aigues-Mortes, et M. Joseph Michon, docteur ès lettres, docteur en médecine, licencié ès sciences.

Deux mentions honorables ont été accordées, l'une à M. Belin, répétiteur au lycée Charlemagne, l'autre, à l'auteur anonyme du discours inscrit sous le n° 26. Prix de poésie. Le sujet à trailer était : «La France dans l'extrême Orient.» Le prix a été décerné à M. le vicomte Henri de Bornier, conservateur à la bibliothèque de l'Arsenal.

Prix Montyon, destinés aux actes de vertu.— L'Académie a décerné: un premier prix de 3,000 francs à Laurence Guittaud, à Chambéry (Savoie); deux prix de 1,500 francs chacun, à Jean Millasseau, dit Dupuy, à Thouérac (Charente); à M. l'abbé Louis-Jean-Baptiste Remy, à Saint-Aile (Seine-et-Marne); trois premières médailles, de 1,000 francs chacune: à Eugénie-Albret Sylvie, à Payzac (Dordogne); à la veuve Martin, à Angoulême (Charente); à Pauline Méret, à Thomery (Seineet-Marne); quinze médailles de 500 francs chacune à Jeanne Lejeune, à Dieuze

(Meurthe); à Jeanne-Marie Rolland, à Morlaix (Finistère); à Agathe Schraff, à Metz; à Adélaïde Servel, à Cornus (Aveyron); à Babette Lévy, femme Loeb, à Lauterbourg (Bas-Rhin); à Marie Besson, à Villefranche (Aveyron); à Jeanne Queuche, à Bouzonville (Meurthe); à Apolline Tisserand, à Toul; à Adeline Clérambault, à Paris; à Anne-Thérèse-Françoise-Julie Ravier, à Vauconcourt (Haute-Saône); à la veuve Lefort, à Provins (Seine-et-Marne); à la veuve Lechâtreux, à Hardinvâst (Manche); à Didière Oudin, femme Nevert, à Saulieu (Côte-d'Or); à Marie-Magdeleine Besnier, à Piacé (Sarthe); à Marguerite-Marie Sebire, à Athis (Orne).

Prix destinés aux ouvrages les plus utiles aux mœurs. L'Académie a décerné deux prix de 3,000 francs:

1o A M. Paul Janet, pour son ouvrage intitulé: Philosophie du bonheur;

2° A l'ouvrage de feu Me Eugénie de Guérin, intitulé: Journal et Lettres, 1 vol. in-8°.

Six médailles de 2,000 chacune :

1° A M. Ferraz, professeur de logique au lycée impérial de Strasbourg, pour son ouvrage intitulé: De la Psychologie de saint Augustin, 1 vol. in-8°;

2° A M. l'abbé Blampignon, docteur en théologie et docteur ès-lettres, pour son ouvrage intitulé: Étude sur Malebranche, d'après des documents inédits, suivie d'une correspondance inédite, 1 vol. in-8°;

3° A M. Mastier, ancien élève de l'École normale, docteur ès lettres, pour son ouvrage intitulé: Turgot, sa vie et sa doctrine, 1 vol. in-8°;

4° A M. Charles De Mouy, pour son ouvrage intitulé : Don Carlos et Philippe II, 1 vol. in-12;

5° A M. François de La Jugie, pour sa traduction en vers: Les Psaumes d'après l'hébreu, 1 vol. in-12;

6° A M. le marquis de Belloy, pour l'ouvrage intitulé: Théâtre complet de Térence, traduit en vers, 1 vol. in-12.

Prix Gobert. Le premier prix de la fondation Gobert demeure décerné à M. Camille Rousset, auteur de l'ouvrage intitulé: Histoire de Louvois et de son administration, etc.

L'Académie décerne le second prix de la même fondation à M. Charles Caboche, auteur d'un ouvrage intitulé: Les Mémoires et l'Histoire en France, 2 vol. in-8°.

Prix Bordin. Le prix spécial de 3,000 francs, fondé par M. Bordin, a été décerné, cette année, à M. Ferdinand Béchard, auteur des ouvrages intitulés : Droit municipal dans l'antiquité, 1 vol. in-8°; Droit municipal au moyen âge, 2 vol. in-8°.

Prix Lambert.-La récompense honorifique fondée par M. Lambert, pour rému nération de travaux littéraires, a été décernée, cette année, à M. Léopold Laluyė, auteur de plusieurs ouvrages dramatiques.

1

Prix Halphen. Le prix triennal de 1,500 francs, destiné à l'auteur d'un ouvrage que l'Académie jugera à la fois le plus remarquable au point de vue litté raire ou historique, et le plus digne au point de vue moral, est attribué, cette année, à l'ouvrage de feu M. Huguenin, intitulé: Histoire du royaume merovingien d'Austrasie, 1 vol. in-8°.

PRIX PROPOSÉS.

Prix d'Eloquence pour 1864. L'Académie rappelle qu'elle a proposé pour sujet d'un prix d'éloquence à déeerner en 1864, L'Eloge de Châteaubriand.

Les ouvrages envoyés à ce concours seront reçus jusqu'au 1 mars 1864. Prix de l'ouvrage le plus utile aux mœurs. Ce prix peut être accordé à tout ouvrage publié par un Français, dans le cours des années 1862 et 1863, et recommandable par un caractère d'élévation morale et d'utilité publique.

Deux exemplaires de chaque ouvrage présenté pour le concours devront être adressés, avant le 15 décembre 1863, au secrétariat de l'Institut.

Prix de vertu, fondation Montyon. Dans la séance publique annuelle de 1864, l'Académie française décernera les prix et les médailles provenant des libéralités de feu M. de Montyon, et destinés par le fondateur à récompenser les actes de vertu qui auront été constatés dans le cours des deux années précédentes.

Prix extraordinaire pour 1865. L'Académie française avait proposé pour sujet d'un prix extraordinaire de 3,000 francs, qu'elle devait décerner en 1863, la question suivante : « De la nécessité de concilier, dans l'histoire critique des lettres, le sentiment perfectionné du goût et les principes de la tradition avec les recherches « érudites et l'intelligence historique du génie divers des peuples.

D

Le prix n'a pas été décerné, et l'Académie a maintenu la question au concours, le prix sera décerné en 1865; les ouvrages manuscrits devront parvenir au secrétariat de l'Institut avant le 15 décembre 1864.

Après la proclamation ou l'annonce de ces prix, M. Saint-Marc Girardin a lu divers fragments des discours qui ont partagé le prix d'éloquence. M. Patin a lu ensuite la pièce de vers qui a remporté le prix de poésie, et la séance s'est terminée par le rapport de M. Saint-Marc Girardin, directeur, sur les prix de vertu.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Li livres dou Trésor, par Brunetto Latini, publié pour la première fois d'après les manuscrits de la Bibliothèque impériale, de la bibliothèque de l'Arsenal et plusieurs manuscrits des départements et de l'étranger, par P. Chabaille, de la Société impériale des Antiquaires de France, etc. Paris, Imprimerie impériale, 1863, in-4° de XXXVI-736 pages. Le texte original français du Trésor de Brunetto Latini était resté inédit jusqu'ici, malgré ses nombreux titres à la publicité, tandis que la traduction italienne trop fautive de cet ouvrage, par Giamboni, a eu plusieurs édi

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