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males, en proposant aux géomètres le problème célèbre de la brachistochrone, avait annoncé, suivant un usage alors très-répandu, qu'il leur donnait six mois pour produire leurs solutions, s'engageant lui-même à tenir la sienne secrète pendant ce temps. Leibnitz seul répondit à l'appel de Bernoulli; mais, en lui communiquant sa méthode, il le priait, dans l'intérêt de la science, de proroger le délai, pour permettre à d'autres géomètres de montrer leur pénétration; il ajoutait que la difficulté de la question lui semblait telle, qu'il croyait pouvoir désigner à l'avance les quatre ou cinq géomètres capables alors de la surmonter, s'ils consentaient à l'entreprendre. Fatio de Duillier, membre de la Société royale de Londres, qui, comme le témoignent plusieurs de ses travaux, avait fait de grands progrès dans la connaissance des nouvelles méthodes, fut, à ce qu'il semble, profondément blessé de ne pas être compté parmi les hommes habiles dont Leibnitz avait donné les noms. Il s'en plaignit amèrement dans un écrit publié, en 1699, sous le titre de Lineæ brevissimi descensus investigatio geometrica duplex, et dans lequel il blâme en même temps l'habitude de Leibnitz de toujours s'adresser au public. Il déclare en outre que lui-même, en 1687, a trouvé, par ses propres méditations, les principes et les règles principales du calcul des fluxions inventé par Newton, et dont Leibnitz n'est pas même, dit-il, le second inventeur, comme le savent ceux qui connaissent la correspondance de Newton et quelques pièces manuscrites qu'il ne désigne pas.

Quoique le caractère de Duillier semble avoir été présomptueux et vain, et que l'irritation de son amour-propre l'ait seule inspiré dans la discussion qui a entouré son nom d'une regrettable célébrité, il est juste de reconnaître qu'il était homme d'un vrai mérite. Huyghens et Leibnitz, qui ont eu avec lui de longues relations, montrent dans leur correspondance une grande estime pour ces talents 1; c'est donc à tort qu'on en a fait un de ces ignorants pleins d'envie, capables au plus de suivre les autres, et ne trouvant rien par eux-mêmes; l'on est allé surtout beaucoup trop loin en le représentant comme une âme basse et méchante et s'efforçant de déshonorer sa mémoire 2.

«Je sais bien que ces quadratures des courbes et le problème renversé des tangentes en bien des occasions peuvent être de fort grande utilité; mais, voyant le progrès que MM. Leibnitz, Fatio et Newton y avaient fait devant que j'y eusse songé, j'ai tasché plustôt de profiter de leur travail que de me mettre à chercher après eux, surtout depuis que M. Fatio m'a fait espérer la publication d'un traité de M. Newton sur ce sujet, qui, à son avis, en sait bien plus que luy et M. Leibnitz ensemble.» (Lettre de Huyghens à L'Hospital, 22 octobre 1692.) Sans refaire ici sa biographie, contentons-nous de dire que Fatio de Duillier professait des opi

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Leibnitz, pour toute réponse, opposa les témoignages d'estime qu'il avait, à toute occasion, reçus de Newton; il se plaît lui-même à exprimer son admiration pour l'auteur du livre des Principes, et conteste à Fatio le droit de le représenter dans une discussion qui semble sans fondement.

La controverse n'alla pas plus loin, et les adversaires posèrent les armes, dit le docteur Brewster, tout prêts à les reprendre à la première occasion.

En 1704, Newton publiant, à la suite de son Optique, le Traité de la quadrature des courbes, déclara dans l'introduction, et sans cette fois parler de Leibnitz, que la méthode de fluxions s'était présentée à son esprit pendant les années 1665 et 1666. Les Acta Eruditorum donnèrent, en janvier 1705, un compte rendu de cet ouvrage, dans lequel on lit le passage suivant :

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« L'ingénieux auteur, avant d'arriver aux quadratures des courbes ou plutôt des figures curvilignes, place une courte introduction pour l'en<<< tente de laquelle il est nécessaire de savoir que, quand une grandeur << (une ligne par exemple) croît d'une manière continue par la fluxion du point qui la décrit, on appelle différences ces accroissements momen«tanés, c'est-à-dire la différence entre la grandeur avant et la grandeur après chacun de ces changements. C'est de là qu'est né le calcul dif«férentiel et le calcul sommatoire qui en est la réciproque, dont les élé«<ments ont été publiés dans notre recueil par D. Godefroid Guillaume «Leibnitz, qui en est l'inventeur, et dont les divers usages ont été expliqués par les frères Bernoulli et par le marquis de L'Hôpital (dont nous << avons à déplorer la perte récente, perte regrettable pour tous ceux qui « s'intéressent aux progrès des hautes études). Ce sont les différentielles « de M. Leibnitz que Newton remplace et a toujours remplacées par des << fluxions, qui sont très-approximativement comme les accroissements « des fluentes engendrées dans des particules égales de temps, fluxions << dont il a fait un élégant usage, tant dans son ouvrage sur les principes « mathématiques de la nature, que dans ses autres écrits, de même « qu'Honoré Fabre, dans sa Synopsis geometrica, a substitué la marche des « mouvements à la méthode de Cavalleri1. »

Ces lignes, publiées sans signature, ont été vraisemblablement écrites

nions religieuses fort exaltées; il se crut le don des miracles et promit de ressusciter
publiquement un mort. Il n'y réussit pas, et ses ennemis le firent condamner à une
peine infamante.
Eruditorum, 1705, p. 34.).
• Ingeniosissimus deinde autor, antequam ad..

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(Acta

par Leibnitz. Il faut avouer qu'il semble s'y attribuer l'invention des différentielles et présenter Newton comme les ayant empruntées et transformées; mais on doit reconnaître aussi que, si telle est sa pensée, il se borne à la laisser entrevoir.

Le docteur Keil, ami de Newton, vit cependant dans ce passage une accusation perfidement dissimulée, et, pour y répondre, il écrivit, dans une lettre sur les lois de la force centripète, adressée à Halley, et publiée dans les Transactions philosophiques de Londres pour 1708:

«Tout cela est une conséquence de la célèbre arithmétique des « fluxions, dont on ne peut contester la découverte à Newton, comme « il est facile de s'en convaincre en lisant celles de ses lettres qui ont été «publiées par Wallis. Cette méthode a cependant été depuis, sous un <«<nom et avec une notation différente, publiée par Leibnitz dans les "Acta Eruditorum 1. »

Leibnitz s'adressa alors à la Société royale dont il était membre, contestant à un homme nouveau comme Keil le droit de prononcer aussi hardiment sur des matières dont il ne pouvait être instruit, et demandant que l'on mît fin à ces vaines et injustes clameurs, blâmées sans doute, ajoute-il, par Newton lui-même. Mais en cela il se trompait; car, bien que Newton ait évité de paraître personnellement dans le débat, il est prouvé aujourd'hui que Keil agissait de son aveu et n'écrivait rien sans le consulter. Quoi qu'il en soit, la Société, mise en demeure de se prononcer, nomma des commissaires qui, moins d'un an après, publièrent un rapport fort court, précédé d'un volume plusieurs fois réimprimé depuis, sous le titre de «Commerce épistolaire 2 de «J. Collins et autres sur divers sujets mathématiques, traités par les plus « célèbres mathématiciens de ce siècle, avec un exposé préliminaire de « la célèbre querelle soulevée entre Leibnitz et Keil sur le premier in« venteur de la Méthode des fluxions, et suivi du Jugement du Prince des « mathématiciens, comme on disait alors 3. >>

་་

Ce recueil précieux pour l'histoire de la science contient un grand nombre de communications mathématiques échangées par les géomètres anglais, soit entre eux, soit avec Leibnitz; mais la plupart de ces pièces sont étrangères au débat et de nature à embrouiller la question plutôt qu'à l'éclaircir.

1

« Hæc omnia sequuntur ex celebratissimo... » (Philosophical transactions, 1708, p. 174.) Ce titre de la 2o édition a été rédigé par Newton, qui a essayé, comme le prouve l'examen de ses papiers, jusqu'à douze rédactions différentes. - Commercium epistolicum J. Collins et aliorum.

3

Après avoir rappelé l'histoire d'une découverte annoncée par Leibnitz, et qui avait donné lieu à une réclamation de priorité reconnue fondée, les commissaires décident sur ses droits à la découverte du calcul différentiel avec une autorité qui ne convient ni à des hommes personnellement aussi obscurs ni aux amis de son rival, travaillant sans l'avouer sous les yeux de Newton, qui les aidait, cela a été prouvé depuis, de son active collaboration. Leur œuvre, qui montre plus de passion que de zèle pour la vérité, suffirait seule pour tenir en garde contre les assertions injurieuses à Leibnitz qui y sont inscrites. Ils ont substitué le rôle d'accusateurs et d'avocats à celui de juges, ne craignant pas de donner leurs préventions ou leurs conjectures pour des vérités constantes; il serait donc imprudent de leur accorder une confiance absolue, et les matériaux qu'ils nous ont transmis doivent être soumis à une sévère critique.

Il est bon cependant de reproduire le texte de leur rapport, car il fixe nettement le point de la question et le nœud de la dispute.

« Nous avons lu les lettres et copies de lettres conservées tant dans << les archives de la Société royale que dans la collection de Jean Collins, <«<et dont les dates sont renfermées entre les années 1669 et 16771. « Nous nous sommes assurés de l'authenticité de celles qui portent les << noms de Barrow, Collins, Oldembourg et Leibnitz, par le témoignage « de personnes parfaitement familiarisées avec leur écriture. Pour les <«<lettres qui portaient le nom de Gregory, nous nous en sommes rap<< portés à Collins lui-même qui avait copié une partie de ces lettres de sa <«<propre main. Nous avons extrait de ces lettres tout ce qui se rapportait <«< au sujet qui nous occupe, et ces extraits, qui vous sont livrés en même << temps que ces lettres, nous avons constaté qu'ils étaient faits avec soin. De ces lettres et chartes résulte ce qui suit :

<«<I. Leibnitz, au commencement de l'année 1673, était à Londres. Il « en partit vers le mois de mars pour aller à Paris, d'où, sur la demande << d'Oldembourg, il entretint avec D. Collins un commerce de lettres qui <«< dura jusqu'en 1676. De Paris il revint, par Londres et Amsterdam, à << Hanovre. Or on sait que Collins a toujours communiqué très-volontiers << aux mathématiciens ce qu'il tenait de Newton et de Gregory.

«II. Leibnitz, à son premier voyage de Londres, se déclara l'inven<< teur d'une certaine méthode dite proprement différentielle, et, bien «<que Pell lui eût appris que Newton s'en était déjà servi, il n'en con<< tinua moins à s'attribuer tous les droits d'inventeur, tant parce qu'il

1

pas

Literas et literarum apographa... (Commercium epistolicum, p. 182, 3° édit.)

« l'avait trouvée, disait-il, sans aucun secours étranger, n'ayant pas eu <«< connaissance des publications de Newton, que parce qu'il y avait beau« coup ajouté. Or nous ne trouvons nulle part mention d'une méthode « différentielle autre que celle de Newton avant la lettre de Leibnitz du « 11 juin 1677, une année pleine après que la lettre de Newton du « 10 décembre 1672 eût été envoyée à Paris pour être communiquée à << Leibnitz, et quatre ans après que Collins eût commencé à commu«niquer cette même lettre à ses amis. Dans cette lettre, la méthode des fluxions est suffisamment décrite pour toute personne au courant « de ces matières.

«III. De la lettre de Newton du 13 juin 1676 résulte évidemment « qu'il connaissait déjà, à cette date, la méthode des fluxions depuis cinq <«< ans. Il résulte également de son analyse par les équations qui ont un <«< nombre infini de termes, analyse communiquée à Barrow et à Collins « en 1669, qu'il avait, même avant ce temps, songé à cette même mé« thode.

« IV. La méthode différentielle est la même exactement que la mé<< thode des fluxions, au nom et à la notation près. Leibnitz, seulement, « appelle différences les quantités que Newton appelle fluxions ou mo«ment, et il les désigne de la lettre d que Newton n'emploie pas. Nous « croyons donc que la question dont nous nous occupons ne consiste pas « à savoir qui a trouvé telle méthode, qui a trouvé telle autre; mais qui « a trouvé la méthode, puisqu'il n'y en a qu'une. Nous croyons que « ceux qui ont attribué l'invention à Leibnitz ne connaissaient pas ou <«< connaissaient mal les rapports qui avaient existé entre Collins et lui, « et ignoraient que Newton se fût servi de la même méthode quinze ans avant que Leibnitz eût commencé à la publier dans les Acta « Eruditorum.

«Cela posé, nous pensons que Newton est le premier inventeur de «< cette méthode, et que Keil, par conséquent, en la lui attribuant, n'a au<< cunement fait tort ou injustice à Leibnitz. Nous nous en remettons au « jugement de la Société quant à la décision à prendre touchant l'opportu<< nité d'imprimer et livrer au public des extraits de lettres et autres ma«nuscrits y annexés avec les pièces relatives à ce sujet, qui se trouvent « dans le troisième volume des œuvres de Wallis.

« Sur ce rapport, reçu le 24 avril 1712, la Société royale a ordonné « l'impression de la collection des lettres et manuscrits, et du rapport « de la commission aussi bien que des divers écrits publiés dans les Acta « et de nature à éclairer la question. »

་་

D'après ce jugement, les prétentions de Leibnitz n'auraient aucun

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