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«téressé? Quelques pans de murs crevassés, habités par les hiboux et « les rats; des restes informes, des tas de pierres et des flaques d'eau. Partout l'abandon, la saleté ou le désordre. Plus de retraites studieuses, plus de vastes galeries pleines de collections diverses, plus de tableaux, plus de vitraux, plus d'orgues, plus de chants, plus de bibliothèques « surtout! pas plus de livres que de prières et d'aumônes! » (Tome I", p. CCXVIII.)

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Je l'ai déjà dit ailleurs, je ne suis pas moins touché que M. de Montalembert des violences et des saccagements. Moins de vandalisme et plus de ménagements aurait rendu service à tout le monde. Mais, après de justes regrets accordés à la dévastation de beaux monuments et à la dispersion d'hommes pieux, je demeure dans l'opinion de ceux qui pensent que, biens et maux compensés, la société des hommes est progressivement devenue plus humaine. Pour moi, ce mot renferme tout ce qu'il y a de bon et de beau dans son développement.

Aujourd'hui la face des temps a changé; les ordres monastiques ont reparu de toutes parts comme milice de l'Eglise. La situation ne les frappe d'aucune défaveur; ils ont la plénitude de leur action, et ce qu'ils peuvent, on le voit et on le verra. Ainsi comparaissent les deux extrémités de l'histoire monastique. Si on les rapproche, si on les compare, on éclairera par opposition l'une et l'autre époque, et on portera mieux le jugement. Une grave interversion est survenue. Dans l'époque actuelle, l'ordre monastique qui veut devenir l'instituteur de la société laïque, non-seulement par la sainteté, mais aussi par les lumières, union qui est indispensable, doit demander à cette même société laïque les lumières; c'est elle qui les a, qui les fait, qui les donne. Dans l'époque primitive, l'ordre monastique, joignant la sainteté et les lumières, les dispensait à la société et en recevait reconnaissance, révérence et entretien.

Ce ne fut jamais plus vrai qu'à l'époque qui remplit les deux premiers volumes de M. de Montalembert, et où la grande tâche de convertir, d'instruire, de moraliser les Germains échut à l'Église et à sa milice; époque mémorable dont il a retracé le côté héroïque en peignant les moines devant les barbares; le côté poétique et gracieux en peignant les moines devant la nature; le fécond dénoûment en appelant, par une heureuse et brillante expression, la conjonction de l'esprit chrétien et de l'esprit barbare les fraîches fiançailles de l'Église avec le peuple germain.

É. LITTRÉ.

LE DUC ET CONNÉTABLE DE Luynes.

TREIZIÈME ET DERNIER ARTICLE1.

La comédie, à la fois plaisante et triste, que nous venons de raconter, peint fidèlement la politique et les mœurs de cette époque, où, depuis Élisabeth et Henri IV, il n'y avait plus sur les trônes de l'Europe ni dans les conseils des rois un seul homme assez grand et assez fort pour n'avoir pas besoin de recourir sans cesse aux dernières extrémités de la ruse et du mensonge; et cette comédie aurait fort bien pu se jouer à Madrid, et surtout à Londres et à Turin, comme à Rome et à Paris. Quel foyer d'intrigues de toutes sortes que la cour d'Angleterre sous Jacques I et sous Buckingham! et n'est-ce pas le type accompli de la déloyauté couronnée que ce duc de Savoie, Charles-Emmanuel, dont le caractère était si admirablement assorti à sa situation entre l'Autriche et la France; toujours prêt, pour s'agrandir, à trahir l'une ou l'autre, à se jeter sur le Montferrat et le Milanais ou sur Genève, le Dauphiné ou la Provence; tantôt conspirant avec Biron et Bouillon contre Henri IV, tantôt sollicitant la main d'une de ses filles pour son fils Victor-Amédée; prodiguant à Luynes toutes les promesses, et, dès le lendemain, se tournant contre lui et prenant une part ténébreuse à toutes les conspirations de la reine mère 2? A Rome, le pape Paul V et son neveu le cardinal Borghèse se prêtèrent bien volontiers au rôle qui leur était assigné. Paul V termina son pontificat et sa vie par ce consistoire du 11 janvier 16213, et le cardinal Borghèse trouva le moyen de mêler encore une petite intrigue à la grande: ne donnant qu'un seul chapeau à la France, il avait aussi le droit de n'en donner qu'un seul à l'Espagne, et il put faire, un prince de l'Église de son digne ami le protonotaire apostolique Étienne Pignatelli, nomination qui révolta Rome, quoique déjà accoutumée à bien des scandales. De son côté le nonce

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Voir, pour les douze articles précédents, le Journal des Savants, cahiers de mai, juin, juillet, septembre, octobre, novembre 1861, et mai, juin, août, septembre, octobre et novembre 1862. Voyez nos articles précédents, surtout celui de juin 1861, p. 347, à la note. 3 Paul V mourut d'une attaque d'apoplexie quelques jours après le consistoire, le 28 janvier 1621. Vittorio Siri, t. V, p. 243, dit d'Étienne Pignatelli et de Borghese: « Creatura sua confidentissima e diffamato per <« ministro de' suoi illeciti piaceri.» D'Estrées : « Le cardinal Borghèse avoit l'esprit « agréable; il étoit d'une conversation aisée; il aimoit les plaisirs beaucoup plus que

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Bentivoglio s'était arrangé pour ne pas perdre ses complais ances. Faisant valoir au cardinal secrétaire d'Etat les services que, pendant sa nonciature, au moyen du père Arnould et de Luynes, il avait rendus au Saint-Siége et à Borghèse lui-même, il fut compris dans la promotion du 1 1 janvier, et, à peine nommé cardinal, il obtint de Luynes, en retour de ses bons offices, la charge éminente et lucrative de comprotecteur de France'.

Quant à Luynes, il montra dans cette circonstance la sagacité soupçonneuse qui était un des traits de son caractère et la qualité en quelque

les affaires, etc. » (Mémoires d'Estat, etc. Paris, 1666, Relation du conclave, p. 300.)— ' Voyez la dernière dépêche de Bentivoglio, du 31 janvier 1621, qui termine sa nonciature en France, dans le recueil de M. Scarabelli. Dès que le cardinal Orsini eut laissé vacante la comprotection de France (le protecteur en titre d'office était le cardinal de Savoie, le prince Maurice, un des fils de Charles-Emmanuel), le marquis de Bentivoglio songea, pour cette place, à son frère le nonce, et lui en écrivit par Marsillac, qui, à son retour à Paris, après le consistoire du 11 janvier, s'empressa d'apporter la lettre dont il était chargé à son habile et heureux associé dans l'intrigue alors consommée. Puis le père Arnould vint en grand secret offrir au nouveau cardinal la place vacante de la part du roi et de Luynes. Bentivoglio l'ayant acceptée, Luynes et le nonce se virent, et, tout étant bien convenu entre eux, leur commun confident, le secrétaire d'État Puysieux apporta à Bentivoglio sa nomination officielle à la succession du cardinal Orsini, avec les mêmes avantages et le même traitement. Ce fut là le dernier acte de la pièce. Bentivoglio, dépêche du 31 janvier : «Da che in Roma si seppe che il cardinale Orsino aveva lasciata la comprotezione di Francia, il marchese mio fratello, considerando più gl' interessi di V. S. Illust. che i miei proprii, cominciò a scrivermi che questo sarebbe stato un carico da procurare che cadesse nella mia persona, per una lettera sua che doveva esser mi resa da Marsigliac ....... L'istesso giorno della nuova arrivata quà della promozione, arrivò similmente Marsigliac... ed è stata pur all' istesso tempo, di spontaneo motivo del re e del duca di Luines in segretezza straordinaria per via del padre Arnoldo, confessore di S. M. e del detto duca, offerta a me la comprotezione. Intorno alla quale offerta, avendo io considerato i motivi di mio fratello e gli altri < respetti ho stimato di dover accettarla..... Nella mia persona si è considerata la qualità della casa, qualche particolare esperienza acquistata da me in tanti anni di maneggi publici, quella ch' io ho presa in questa nunziatura delle cose proprie di questo regno, la soddisfazione che si è ricevuta del mio procedere, ma sopra ogni cosa la confidenza pure ch'io riporterei di quà per tenere nella medesima buona congiunzione il re e li interessi di quà con S. S. e con la persona particolare di V. S. Illust. (on ne savait pas encore à Paris la mort de Paul V) ... Appunto m'ha detto che Savoia (le cardinal de Savoie) avrebbe il nome della protezione, ma che io n'avrei la sostanza... Dopo aver io data riposta (au père Arnould), il «duca di Luines ed io ci siamo veduti, ed il negozio s'è stabilito, ed in ultimo il segretario Pisius m' ha portata la parola in nome del re medesimo, avendomi signilicato in sostanza che S. M. mi dava la comprotezione dei suoi affari in Roma che aveva il cardinale Orsino, e colla penzione medesima. »

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sorte obligée de son emploi. Sorti de la faveur, ne se soutenant que par elle, il lui fallait bien faire une garde jalouse autour de ce pouvoir qui lui avait tant coûté, et que, dans les mœurs du temps, le sort de son prédécesseur le lui disait assez, il ne pouvait perdre qu'avec la vie. De bonne heure il discerna la capacité de Richelieu, et, s'estimant lui-même avec raison bien au-dessus du maréchal d'Ancre, il crut pouvoir l'acquérir, comme l'avait fait le maréchal; même après plus d'une épreuve d'un succès plus qu'équivoque, il voulut l'attacher à sa personne et à sa fortune par un lien particulier, sans parvenir à prendre confiance dans toutes les belles paroles que lui prodiguait son nouvel allié; et, tour à tour attiré vers lui par le désir de se donner un tel appui, et effrayé d'une ambition si impatiente, un instinct secret, plus sûr que toùs les raisonnements, plus puissant que tous les engagements, lui persuada de ne pas faire sitôt cardinal un homme qui, le lendemain, pouvait devenir un rival et un ennemi.

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Le même instinct le fit résister à tous les efforts de la reine mère pour assoupir en lui le souvenir du passé, et l'amener à lui rendre son ancienne place dans le Conseil du roi. En vain, dirigée par Richelieu, Marie de Médicis descendit envers Luynes aux attentions les plus recherchées; en vain elle applaudit à tous ses desseins et se montra disposée à entrer dans tous ses intérêts: il la ménagea, la combla de marques de respect, lui prodigua les déférences les plus empressées, mais sans lui laisser reprendre dans l'État une autorité qui n'aurait pas longtemps secondé la sienne. Une fois dans le Conseil, elle aurait travaillé de toutes ses forces à y introduire Richelieu, comme elle fit après la mort de Luynes. C'était déjà bien assez d'y avoir à côté de soi un prince du sang tel que Condé qu'eût-ce été avec la mère du roi, amenant bientôt à sa suite Richelieu, revêtu de la pourpre, et qui n'était pas d'humeur à se laisser conduire comme le vieux cardinal de La Rochefoucauld et l'ambitieux mais souple cardinal de Retz? Luynes comprit que la première place ne se partage point, et qu'il ne devait laisser entrer dans les affaires que des hommes comme le chancelier, Puysieux, Du Vair, Jeannin, Schomberg, tous habiles et très-considérés dans leurs charges, satisfaits du rang élevé, mais pourtant secondaire, qu'ils occupaient, sans aspirer à monter plus haut. Tel est, au reste, et sera toujours le sentiment de tout premier ministre : il ne lui faut que des collègues résignés à sa prépondérance, soit qu'il représente à la fois le choix du souverain et une influence réelle ou supposée dans les conseils de Ja nation, ou qu'il ne représente que la volonté du prince et soit seulement ce qu'on appelle un favori.

C'était alors le temps de ces sortes de personnages, et la fameuse maxime moderne, le roi règne et ne gouverne pas, était dans tout son lustre. Assurez-vous que cette maxime a été faite par un premier ministre ou par quelqu'un qui voulait le devenir. Mais allez done la proposer au roi le plus constitutionnel qui se sente un peu de cœur et de capacité! Au commencement du xvII° siècle, elle eût fait sourire Philippe II, Élisabeth et Henri IV; mais, après eux, elle trouva sa vérité dans la faiblesse de leurs successeurs, et, pendant quelque temps, la plupart des rois de l'Europe se contentèrent de régner, et laissèrent le gouvernement à des favoris. En Espagne, le dévot et médiocre Philippe III avait un favori, dévot et médiocre comme lui, le cardinal duc de Lerme, et l'aimable et léger Philippe IV livra les affaires à l'ami de sa jeunesse, le comte-duc Olivarès. L'incertain Jacques I, même en face d'un parlement, avait aussi son favori, l'étourdi et téméraire Buckingham, qu'il transmit avec la couronne à son fils Charles I. Le laborieux et austère Sixte-Quint ne connut pas de premier ministre : il était son premier ministre à lui-même; mais, après lui, les papes déléguèrent presque toujours leur autorité à un cardinal-neveu ou à un cardinalsecrétaire d'Etat, et, sous le pontificat du faible et doux Paul V, le cardinal Borghèse fut, pendant quatorze années, un favori tout-puissant.

Richelieu lui-même n'a d'abord été qu'un favori de génie, comme le maréchal d'Ancre avait été un favori incapable. Quel est le secret de l'empire qu'il exerça longtemps sur l'orgueilleuse et faible Marie, et n'est-ce pas par le chemin du cœur qu'il parvint à s'emparer de son esprit? Nous posons la question sans la résoudre, et nous nous bornons à rappeler que, dès la fin de l'année 1619 jusqu'en 1630, Richelieu eut toutes les allures d'un favori ordinaire: il fit chasser Ruccellaï, qui avait osé lever les yeux sur la reine1; il ne laissa approcher d'elle que ses parents ou ses créatures, et, comme nous l'avons montré, il aima mieux l'exposer à une perte certaine que de la laisser échapper de ses mains 2. De même, arrivé au ministère, il en fit sortir successivement tous ceux qui pouvaient avoir d'autres intérêts que les siens et ne portaient pas sa marque, et il y mit des hommes de son choix, auxquels il demandait par-dessus tout un dévouement à toute épreuve, qu'il comblait d'honneurs et de biens ou qu'il brisait au moindre soupçon. Et, quand il se fut défait de la reine mère et n'eut plus à compter qu'avec le roi, il

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Voyez notre deuxième article, juin 1861, p. 344, etc. - Sixième article, novembre 1861, p. 710; septième article, mai 1862, p. 313, etc. et huitième article, juin 1862, p. 336 et suiv.

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