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tinction, pourvu qu'il ne fût pas tout à fait étranger aux lettres et à la philosophie, qui ne voulût voir le P. Malebranche.

C'est à Raray qu'il écrivit son Traité de morale et ses Entretiens sur la métaphysique. C'est à Perseigne qu'il acheva les Méditations, qu'il avouait lui-même, nous dit le P. André, avoir prodigieusement travaillées. Il passa un été, avec le P. Salmon, en Saintonge, chez son ami le marquis d'Allemans. Pendant ce voyage, il reçut, dans plusieurs villes, nous dit le P. Adry, des honneurs extraordinaires qui firent souffrir sa modestie, mais surtout à Rochefort, où les pilotes et les plus habiles officiers de marine vinrent le consulter. Il composa l'Entretien d'un philosophe chrétien et d'un philosophe chinois chez Pierre de Montmort, un de ses disciples les plus complets et les plus dévoués. Enfin il était à Villeneuve-Saint-Georges, près de Paris, chez le président de Metz, quand il fut atteint de la maladie dont il mourut. Il n'est donc pas exact de représenter Malebranche comme un solitaire n'étant jamais sorti de sa cellule et n'ayant rien vu du monde réel.

Si Malebranche aimait les champs, les plantes et les insectes, comment croire qu'il mérite le reproche, que lui adresse M. Saisset, d'avoir goûté moins que tout autre la vie champêtre, à une époque où ce sentiment était rare 1? Nous croirions plutôt que la nature, comme l'imagination, était pour Malebranche une enchanteresse dont il redoutait les séductions. Il a peur, s'il s'y abandonne, qu'elle ne le détourne de Dieu, qu'elle ne l'attire au dehors, qu'elle ne l'empêche de consulter au dedans de lui la vérité intérieure. Croyons-en, d'ailleurs, ce qu'il nous dit lui-même, au début de ses Entretiens sur la métaphysique : « Bien « donc, mon cher Ariste, puisque vous le voulez, il faut que je vous en<< tretienne de mes visions métaphysiques; mais, pour cela, il est néces« saire que je quitte ces lieux enchantés qui charment nos sens, et qui, « par leur variété, partagent trop un esprit tel que le mien. » Voilà pourquoi il ne met pas la scène de ses dialogues sur les bords de l'Ilissus ou du Fibrène, comme Platon ou Cicéron, mais dans une chambre obscure.

La plus grande gloire de l'Oratoire, c'est Malebranche. Il serait à désirer, pour l'honneur de cette congrégation, qu'elle l'eût toujours entouré de la considération et du respect que méritaient ses vertus et son génie. Le grand succès de la Recherche lui avait valu, en 1675, les félicitations de l'assemblée générale de l'ordre, présidée par le P. de Sainte-Marthe. Mais, si l'Oratoire inclinait à un cartésianisme platoni

Malebranche, sa personne et son caractère, Revue des deux mondes, 1" avril

cien, il inclinait aussi, par attachement pour saint Augustin, vers le jansénisme, quoique tous ses membres, à l'exception du P. Quesnel, eussent signé le formulaire 1. Aussi, dès que Malebranche se fut engagé avec Arnauld dans la querelle sur la grâce, il n'est plus aussi bien vu, ni de la majorité des membres de la communauté, ni surtout de son supérieur, le P. de Sainte-Marthe. Le P. de Sainte-Marthe, thomiste rigoureux, dit le P. Adry, fut très-mécontent du Traité sur la nature et sur la grâce; mais, n'osant pas manifester ses sentiments, qu'on eût peutêtre interprétés à son désavantage, c'est-à-dire comme favorables au jansénisme, il décria le livre et encouragea les murmures de certains membres de la congrégation. Le P. de Sainte-Marthe et le P. Quesnel, dit à son tour le P. André, le décriaient dans l'Oratoire, chacun à sa manière, comme un homme qui avait des sentiments contraires à ceux de saint Augustin, ce qui le rendit fort odieux à ses confrères. « On lui « causa mille chagrins, qui, nonobstant la fermeté de son courage, lui << firent naître l'envie d'en sortir. »« On a su, dit encore le P. Adry, du << P. Malebranche, que son général lui causa d'autres chagrins particuliers, qu'il n'a jamais voulu révéler, mais qui lui firent penser quelque temps «à sortir de l'Oratoire. » Il ne faut pas oublier que les membres de la congrégation n'étaient pas liés par des vœux, et qu'ils étaient libres d'en sortir comme d'y entrer. Au nombre de ces chagrins étaient les désagréments qu'on fit éprouver à quelques-uns de ses confrères, qui lui étaient particulièrement attachés, et, entre autres, au P. Salmon. Le P. Adry ajoute cependant qu'il est faux qu'on ait exigé de lui, comme le prétend l'éditeur des OEuvres d'Arnauld, une rétractation du Traité de la nature et de la grâce, et que, sur son refus, on l'ait exilé de Paris 2.

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Ce n'est que dans les premières années du xvII° siècle, lorsque la querelle avec Arnauld fut terminée, lorsqu'il eut regagné, par sa modestie et sa douceur, le cœur, sinon l'esprit, de la plupart de ses confrères, que Malebranche retrouva le calme et la considération au sein de son ordre. En ce même temps, sa renommée fut au comble en France et en

'Malebranche l'avait signé; puis, par scrupule de conscience, il s'était rétracté et avait remis entre les mains d'Arnauld, au temps de leur liaison, cette rétractation, dont celui-ci eut la délicatesse de ne pas faire usage, même au fort de leur querelle sur la grâce. M. Cousin a publié le premier, dans ses Fragments de philosophie cartésienne, le texte de cette rétractation. 2 Fontenelle fait sans doute aussi allusion à ces tracasseries intérieures lorsqu'il dit, sans plus de détail, qu'il avait eu à souffrir d'autres contradictions moins éclatantes et plus fâcheuses. .

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Europe; alors seulement on peut dire, suivant l'expression du P. André, qu'il posséda la terre.

Mais Malebranche, vieux et souffrant, ne devait pas jouir longtemps de ce glorieux repos, de cette méditation paisible de la vérité. Une des plus belles pages de l'histoire du P. André est le récit de la grande maladie que fit Malebranche, en 1696, à la suite des soins assidus donnés à l'édition des Infiniment petits de son ami le marquis de l'Hôpital « Dès les premiers jours, les médecins l'abandonnèrent; « sans doute qu'il se fut condamné lui-même, si un délire continuel ne «l'eût mis hors d'état d'y faire attention. C'est dans ces moments d'aban«don à l'instinct qu'on a coutume de voir ce qu'un homme a dans le «< cœur, ses inclinations, ses vertus, ses défauts, ses dispositions natu«relles ou acquises, bonnes ou mauvaises. Comme on est alors incapable « de réflexion, et, par conséquent, d'hypocrisie, la nature parle toute « seule et trahit tous les secrets de l'âme. Le P. Malebranche ne s'en« tretenait, dans ses transports, que de ce qui l'avait occupé toute sa vie, « de Dieu et de ses ouvrages. Dans les égarements de son esprit aliéné, <«< il revenait sans cesse à ses pieuses méditations, toujours un peu philo«<sophiques, mais, à leur ordinaire, toujours édifiantes. Le sentiment « de ses vives douleurs, au lieu d'exciter ses plaintes, ne faisait, le plus «<souvent, que lui rappeler des idées, qui lui étaient si familières, de «la structure du corps humain. » Ainsi Fontenelle nous le montrera, dans sa dernière maladie, spectateur tranquille de sa longue mort et philosophant sur le dépérissement de sa machine.

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Malebranche, en effet, devait survivre encore plusieurs années à la maladie racontée par le P. André. Les médecins l'avaient abandonné, disant qu'on lui donnât tout ce qu'il voudrait. Ainsi délaissé, et dévoré par une fièvre ardente, il demanda de l'eau pure, en but abondamment et se trouva mieux. Peu à peu, grâce à ce seul remède, il revint à la vie, sinon à la santé. Depuis lors, l'eau pure, l'eau de rivière, bue en grande abondance, fut son remède favori dès qu'il se sentait quelque incommodité. Il était persuadé, dit Fontenelle, que, quand l'hydraulique était chez nous en bon état, tout allait bien '.

'Renaud d'Élisagaray, savant ingénieur, soldat intrépide, qui inventa tant de machines de guerre et prit part, sous Louis XIV, à un si grand nombres de siéges et d'expéditions maritimes, était, au dire de Fontenelle, tellement malebranchiste, que jamais personne ne l'a été plus parfaitement. Il le fut jusqu'au point de s'opiniâtrer, dans une grave maladie, à se traiter suivant la méthode de son maître. Il but tant d'eau, que les médecins, dit Fontenelle, prétendent absolument qu'il se noya.

Si Malebranche buvait beaucoup d'eau quand il était malade, il prenait beaucoup de café quand il se portait bien; il fut même, selon le P. Adry, un des premiers qui l'employa à Paris, soit pur, soit avec du lait; il ne travaillait jamais sans en avoir pris.

Nous n'avons pas ce récit de la mort de Malebranche, dont le P. André voulait faire, dit-il, le plus bel endroit de son ouvrage 1. Mais le P. Adry nous a conservé la lettre pathétique et éloquente qu'il adresse au P. Lelong, à la nouvelle de la mort de leur ami ccmmun. Cette lettre, si pleine de douleur, d'amour, d'admiration et d'enthousiasme, est la plus belle oraison funèbre de Malebranche 2.

(La suite à un prochain cahier.)

FRANCISQUE BOUILLIER.

1 Introduction aux OEuvres philosophiques du P. André, l'abbé Blampignon, p. 36.

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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

SÉANCE PUBLIQUE DES CINQ ACADÉMIES.

La séance publique annuelle des cinq Académies de l'Institut a eu lieu le vendredi 14 août, sous la présidence de M. Paulin Paris.

Le président a ouvert la séance par un discours qui a été suivi de la proclamation du prix biennal fondé par l'empereur et décerné cette année par l'Academie des inscriptions et belles-lettres. Ce prix a été accordé à M. Jules Oppert pour ses remarquables travaux sur les inscriptions cuneiformes.

La commission du prix de linguistique fondé par Volney a ensuite décerné ce prix a M. Adolphe Pictet, de Geneve, pour son ouvrage intitulé: Les origines indoeuropéennes ou les Aryas primitifs; Essai de paléontologie linguistique. Il' partie, 1862. 1 vol. in 8.

La commission a regrette de ne pouvoir disposer d'un autre prix en faveur de M. Steinthal, auteur d'un ouvrage ayant pour titre : Geschichte der Sprachwissenschaft bei den Griechen und Römern mit besonderer Rüksicht auf die Logik; 1863, 1 vol. in 8°. — Elle a accordé deux mentions honorables, l'une à M. Ad. Neubauer, auteur d'une Notice sur la lexicographie hebraique avec des remarques sur quelques grammairiens pos'érieurs à Ibn-Djanáh 1863, 1 vol. in-8°); l'autre à M. Schleicher, pour son Compendium der vergleichenden Grammatik der Indogermanischen Sprachen (18611862, 2 vol. in-8°;

Apres la proclamation des prix, M. Wallon, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, a lu des extraits d'une Vie de Richard II; M. Couder, de l'Académie des beaux-arts, des considérations sur les caracteres de l'art en général; M. Baudrillart. de l'Académie des sciences morales et politiques, une étude sur Étienne Pasquier, et M. le général Morin, de l'Académie des sciences, un Essai sur l'assainissement des lieux habités. M. Viennet, de l'Académie française, a terminé la séance par la lecture de plusieurs fables nouvelles.

ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

L'Académie des inscriptions et belles-lettres a tenu, le vendredi 31 juillet, sa seance publique annuelle, sous la présidence de M. Paulin Paris.

La seance s'est ouverte par un discours du président, annonçant, dans l'ordre suivant, les prix décernés et les sujets de prix proposes.

PRIX DÉCERNÉS.

Prix ordinaire de l'Académie pour 1863.- Question proposée: Retracer, d'après les monuments de tout genre, l'histoire des invasions des Gaulois en Orient; « suivre jusqu'aux derniers vestiges qui subsistent de leurs établissements en Asie ▪ Mineure, de leur constitution autonome, de leur condition sous l'administration « romaine, de leurs alliances avec les divers peuples qui les entouraient; comparer, < pour les mœurs et les usages, les Galates avec les Gaulois de l'Occident. » Ce prix, de la valeur de 2,000 francs, a été décerné à M. Felix Robiou, professeur d'histoire au lycée de Napoléonville, docteur ès lettres.

Antiquités de la France. - L'Académie a décerné la première médaille à M. Auguste Moutié, pour son Cartulaire de l'abbaye de Notre-Dame de la Roche, de l'ordre de Saint-Augustin, au diocèse de Paris, 1 vol. gr. in-4°, 1862.

La deuxième médaille à M. Édouard Aubert, pour son ouvrage intitulé : la Vallée d'Aoste, 1 vol. in-4°, 1861.

La troisième médaille à M. Gustave Saige, auteur de l'ouvrage ayant pour titre :

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