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toutes les lumières de l'anatomie comparée, n'eût pas mieux fait. C'est la méthode naturelle dans toute sa pureté et toute sa grandeur; et qu'il y a loin de ce Buffon, naturaliste si consommé au moment où il finit son livre, à Buffon commençant son livre et ne sachant pas un mot d'histoire naturelle! Alors il se moque de Linné, il ne veut d'autre ordre, pour classer les animaux, que celui qui résulte des rapports d'utilité ou de familiarité qu'ils ont avec nous, « et cela, dit-il, parce qu'il nous est plus «facile, plus agréable et plus utile, de considérer les choses par rapport « à nous, que sous un autre point de vue. »

Il range donc les animaux, selon qu'ils sont plus utiles ou plus familiers: le cheval, le bœuf, le chien, le cochon, la chèvre, etc. Il poursuit son œuvre; et, arrivé aux singes, il les distribue en ordres, en familles, en genres, comme le meilleur et le plus exercé classificateur. Enfin, il vient à ce beau chapitre sur la Dégénération des animaux, par lequel il termine son Histoire des quadrupedes; et c'est là qu'il nous étonne par le sentiment profond des rapports naturels, sentiment auquel l'avaient conduit l'habitude de voir et son esprit éminemment perfectible.

Mais il ne devait pas s'arrêter là. Longtemps après son Histoire des quadrupèdes, et à l'époque où il écrivait son Supplément, il revient sur la parenté des animaux, et là il avoue que cette parenté tient à des rapports plus mystérieux et d'un ordre plus délicat que ceux qu'il avait supposés d'abord.

« La parenté des espèces, dit-il, est un des mystères profonds de la « nature, que l'homme ne pourra sonder qu'à force d'expériences aussi « réitérées que longues et difficiles. Comment pourra-t-on reconnaître « autrement que par l'union mille et mille fois tentée des animaux d'espèce différente leur degré de parenté? L'âne est-il plus près du << cheval que du zèbre? Le loup est-il plus près du chien que le renard « et le chacal? >>

Mes expériences répondent déjà à la dernière de ces questions. Le loup et le chacal sont plus près du chien que le renard; car l'union du loup et du chacal avec le chien est toujours féconde et celle de ce même chien avec le renard est toujours stérile. Il y a donc entre le chacal, le loup et le chien, un degré de consanguinité, un lien de sang plus intime qu'entre ces trois animaux et le renard. De plus, la parenté, la consanguinité est plus étroite avec le chacal et le chien qu'entre le loup et le chien, puisque les métis nés de l'union du loup et du chien ne donnent que trois générations successives, et que les métis nés du chien et du chacal en donnent jusqu'à quatre.

Je reviens à M. Naudin, et je laisse, de son travail, tout ce qui ne tient

pas uniquement à l'expérience. La méthode expérimentale est inexorable pour les conjectures. Le mérite le plus particulier, et, si je puis ainsi dire, le plus original, de MM. Decaisne et Naudin est de n'avoir laissé de place, dans leurs travaux, que pour les faits.

De tels travaux sont inappréciables. Ici, rien de supposé, rien d'omis. «Ne rien supposer et ne rien omettre, a dit un grand philosophe de « nos jours, c'est toute la méthode 1. » Qu'est-ce que l'espèce? Que sont les races? Que sont les hybrides? J'ose dire qu'avant MM. Naudin et Decaisne, on n'avait, sur ces graves questions, aucune idée arrêtée. Sans doute, au fond de ces graves questions, il y a et il y aura toujours un profond mystère. Pourquoi l'espèce est-elle fixe? Pourquoi, étant, comme elle l'est, variable à l'infini, ne varie-t-elle jamais assez pour changer de nature, pour changer d'espèce, pour passer d'une espèce à une autre espèce? Pourquoi y a-t-il entre les différentes espèces une ligne de démarcation éternelle et infranchissable? Un homme d'un grand esprit2 a dit qu'il ne fallait pas demander pourquoi une chose est ainsi, lorsque, si elle était autrement, on pourrait faire la même question.

En 1845, j'obtins, de l'union de l'espèce du chien avec l'espèce du chacal, plusieurs métis. Ces métis furent accouplés ensemble, mâle et femelle; et tous ces touples m'ont donné, sans aucune exception, jusqu'à quatre générations successives de produits; mais aucun ne m'en a donné davantage.

L'union de l'espèce du loup et de celle du chien ne m'a jamais donné que trois générations.

J'ai tenté beaucoup d'autres unions croisées; l'union n'a été féconde qu'entre espèces du même genre; toutes les unions entre espèces de genre différent ont été stériles : l'union du chien et du renard, celle du chien et de l'hyène, celle de l'ânesse et du taureau, celle du lièvre et du lapin, etc. Rien de ce qu'on a dit du prétendu métis du chien et du renard, du chien et de l'hyène, du lièvre et du lapin, encore moins de la jument avec le taureau, n'est donc vrai.

D'un autre côté, beaucoup de métis ont été observés, soit au Muséum d'histoire naturelle, soit ailleurs. On a observé l'union féconde de l'âne et du zèbre, de l'âne et de l'hémione, du zèbre et de la jument, de la chèvre et de la brebis, de la vache et du bison. Le tigre et le lion ont produit à Londres.

Je donne au produit des unions croisées le nom de métis, parce qu'il me paraît fait par moitié de chacune des deux espèces productrices.

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Chacune de ces deux espèces me paraît y avoir une part égale. Il y a longtemps que je le pense et que je l'ai dit; ce que je trouve dans M. Naudin me confirme plus encore dans mon opinion. Il dit, d'un hybride de deux espèces de cucurbitacées (le luffa cylindrica et le luffa acutangula): « Les bonnes graines étaient, aussi bien que les fruits, par"faitement intermédiaires entre celles des deux espèces, c'est-à-dire à la « fois chagrinées, comme celles du luffa acatangula, et bordées d'une «< courte membrane aliforme comme celles du luffa cylindrica. »

Le métis du chacal et du chien tient à peu près également du chacal et du chien: il a les oreilles droites, la queue pendante; il n'aboie pas; il est aussi chacal que chien.

Voilà pour la première génération. Je continue à unir, de génération en génération, les produits successifs avec l'une des deux tiges primitives, avec celle du chien par exemple.

Le métis de seconde génération n'aboie pas encore, mais il a déjà les oreilles pendantes par le bout; il est moins sauvage.

Le métis de troisième génération aboie; il a les oreilles pendantes, la queue relevée; il n'est plus sauvage.

Le métis de quatrième génération est tout à fait chien.

Quatre générations ont donc suffi pour ramener l'un des deux types primitifs, le type chien; et quatre générations suffisent de même pour ramener l'autre type, le type chacal.

Ainsi donc, ou les métis nés de l'union de deux espèces distinctes s'unissent entre eux, et ils sont bientôt stériles, ou ils s'unissent à l'une des deux tiges primitives, et ils reviennent bientôt à cette tige; ils ne donnent, dans aucun cas, ce qu'on pourrait appeler une espèce nouvelle, c'est-à-dire une espèce intermédiaire.

Nous avons vu que les hybrides des végétaux, même ceux qui sont fertiles, reviennent à l'une des deux espèces primitives au bout de quatre ou cinq générations.

Nous ne connaissons bien le chacal que depuis notre conquête d'Alger. Buffon l'a mal connu : il le confond avec l'adive, qui n'est qu'une espèce factice, et il lui attribue beaucoup de mauvaises qualités qu'assurément il n'a pas : « Il réunit, dit-il, l'impudence du chien à la bassesse « du loup, et, participant des deux, semble n'être qu'un odieux composé << de toutes les mauvaises qualités de l'un et de l'autre. »

« Le chacal, dit simplement Belon, est bête entre loup et chien. » Le chacal a les cuisses et les jambes fauve-clair; il a du roux à l'oreille; ces marques distinctives se retrouvent sur le métis de la première génération; mais, dès le mélange de ce métis avec le chien, elles disparaissent.

« Nous les regarderons (le chacal et le chien), dit Buffon, comme deux « espèces distinctes, sauf à les réunir lorsqu'il sera prouvé, par le fait, «qu'ils se mêlent et produisent ensemble. »>

Aujourd'hui il est prouvé, par le fait, qu'ils se mêlent et produisent ensemble, et cependant il est prouvé que ce sont deux espèces distinctes, par cela seul qu'ils ne produisent ensemble qu'un certain nombre de générations.

Mais c'est là tout un ordre d'idées qu'on n'avait point encore au temps de Buffon. Il y a deux sortes de fécondité: une fécondité continue; c'est le caractère de l'espèce. Toutes les variétés de chevaux, de chiens, de brebis, de chèvres, etc. se mêlent et produisent ensemble avec une fécondité continue.

Et il y a une fécondité bornée; c'est le caractère du genre. Si deux espèces distinctes, le chien et le chacal, le loup et le chien, le bélier et le bouc, l'âne et le cheval, etc. se mêlent ensemble, ils produisent des individus bientôt inféconds, ce qui fait qu'il ne s'établit jamais d'espèce intermédiaire durable. On unit le cheval et l'âne depuis des siècles, mais le mulet et la mule ne donnent point d'espèce intermédiaire; on unit depuis des siècles les espèces du bouc et du bélier; ils produisent des métis, mais ces métis n'ont pas donné d'espèce intermédiaire.

On cherchait le caractère du genre; où le trouver? Linné avait dit avec une sagacité profonde: Nature opus semper est species et genus; culture sæpius varietas; artis et naturæ classis ac ordo.

En effet, l'espèce et le genre sont toujours l'œuvre de la nature; la variété est souvent l'œuvre de la culture, et la classe et l'ordre sont à la fois l'œuvre de la nature et de l'art de la nature qui donne aux espèces les ressemblances et les différences, et de l'art qui juge ces différences et ces ressemblances, et les apprécie.

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Buffon avait donc bien raison quand il disait : «L'union des animaux « d'espèce différente est le seul moyen de reconnaître leur parenté. »

Il ajoutait avec éloquence: «Le plus grand obstacle qu'il y ait à «l'avancement de nos connaissances est l'ignorance presque forcée dans «< laquelle nous sommes d'un très-grand nombre d'effets que le temps << seul n'a pu présenter à nos yeux, et qui ne se dévoileront même à ceux « de la postérité que par des expériences et des observations combinées. << En attendant, nous errons dans les ténèbres, ou nous marchons avec «< perplexité entre des préjugés et des probabilités, ignorant même « jusqu'à la possibilité des choses, et confondant à tout moment les « opinions des hommes avec les actes de la nature. >>

Je reviens à MM. Decaisne et Naudin et à leurs expériences.

Le temps des Jussieu a été, pour le Jardin des plantes, un temps de gloire ils ont donné la méthode aux naturalistes.

Aujourd'hui le temps est venu des expériences, j'entends des grandes expériences et qui touchent aux questions vitales et fondamentales de la science: MM. Decaisne et Naudin commencent.

FLOURENS.

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The Life of MAHOMET, with introductory chapters on the original sources for the biography of Mahomet, and on the pre-islamite history of Arabia, by William Muir, esq., Bengal civil service. London, 1861, in-8°. LA VIE DE MAHOMET, précédée d'une introduction sur les sources originales de sa biographie et sur l'histoire de l'Arabie antérieurement à l'Islám, par M. William Muir, esq., du service civil au Bengale. Londres, 4 vol. in-8°, avec des cartes et des tableaux.

Das Leben und die Lehre des MOHAMMAD, nach bisher grösstentheils unbenutzten Quellen, bearbeitet von A. Sprenger, erster Band, XVI-583; zweiter Band, 548. Berlin, 1861, 1862. LA VIE ET LA Doctrine de MaHomET, d'après des sources la plapart inédites, par M. A. Sprenger. Berlin, in-8°, les deux premiers volumes.

QUATRIÈME ARTICLE1.

Les premières mesures que prit Mahomet, après son arrivée à Médine, furent pleines de sagesse et d'habileté. Il s'occupa d'abord d'organiser le culte, qui, jusqu'alors, avait été nécessairement fort irrégulier, et qui ne consistait guère que dans ses prédications, ses conseils et ses prières personnelles, auxquelles il associait les fidèles, selon les

Pour le premier article, voir le Journal des Savants, cahier d'avril, p. 205; pour le deuxième, le cahier de juillet, p. 401; pour le troisième, le cahier d'août, p. 503.

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