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d'analyse, une période de synthèse. Gardez-vous bien de fractionner l'admirable faculté par laquelle l'homme se distingue de la brute, puisque de la raison, de la faculté de raisonner, dépend le caractère de la perfectibilité; ne la fractionnez pas en parties distinctes, dont l'une s'exerce indépendamment de l'autre, durant des années, des siècles même!

Comment admettre, en effet, dans une histoire, une période d'analyse, finissant avec l'année 1807, où commence la période de synthèse, par le travail de M. Geoffroy, le père, sur l'unité de composition? lorsque vous-même reconnaissez que le plus beau titre de Buffon à l'immortalité est l'heureux usage qu'il a fait de la synthèse!

Nous n'admettrons jamais que la synthèse fut étrangère aux travaux de Cuvier; il est impossible que ses œuvres d'anatomie comparée, que la part de cette science dans son Règne animal, soient des faits scientifiques étrangers à la synthèse. Connaît-on, au reste, une preuve plus frappante de l'emploi de la synthèse en histoire naturelle que la pensée sous l'influence de laquelle il a su réunir en formes organiques définies des débris osseux épars dans le sein de la terre? Cette sorte de résurrection d'espèces dont on n'avait jamais soupçonné l'existence n'a pas seulement enrichi la zoologie mais encore la géologie; car celle-ci a reçu de cette restitution d'animaux une lumière inattendue pour distinguer des époques relatives de formation dans les terrains où gisent ces débris du monde organique antediluvien.

Existe-t-il un exemple de synthèse plus frappant que celui-là? Nous le demandons à nos lecteurs. En le citant, nous reconnaissons avec de Blainville que plus d'un os est nécessaire pour reconstruire un squelette; et ce qui nous frappe, ce n'est point la pensée de la découverte mise à la portée des gens du monde par un passage du livre de Zadig, c'est le fait incontestable des formes organiques, si longtemps soustraites à la connaissance des hommes, et restituées enfin par Cuvier au monde savant, fait que nous proclamons une des plus grandes découvertes des sciences naturelles.

Expliquons maintenant la manière dont M. Isidore Geoffroy SaintHilaire procède pour montrer l'inconséquence de Cuvier dans ses raisonnements, la faiblesse et la fragilité de ses arguments, etc. etc. Elle consiste, comme nous allons le voir, à citer un passage de l'illustre auteur de la Mécanique céleste, qui est de toute vérité, puis à prétendre que ce passage exprime ce que voulait Geoffroy Saint-Hilaire pour l'histoire naturelle; et, une fois l'assimilation faite entre le géomètre et le naturaliste, Cuvier, discutant avec Geoffroy, est mis par M. Isidore Geoffroy SaintHilaire en opposition avec Laplace. Voici les citations :

« Si l'homme, a dit Laplace, s'était borné à recueillir des faits, les sciences « ne seraient qu'une nomenclature stérile, et jamais il n'eût connu les grandes « lois de la nature. C'est en comparant les faits entre eux, en saisissant leurs « rapports, et en remontant ainsi à des phénomènes de plus en plus étendus, «qu'il est enfin parvenu à reconnaître ces lois, toujours empreintes dans leurs « effets les plus variés. »

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«Que voulait Geoffroy Saint-Hilaire pour l'histoire naturelle? Préci«<sément ce que veut ici, pour les sciences en général, le continuateur « de Newton, ou plutôt ce qu'il proclame, au nom de la logique et de la dignité de l'esprit humain, comme règle fondamentale et généralement

« reconnue.

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Règle contestée pourtant par deux des plus grands esprits de notre <«< siècle : Schelling et Cuvier.» (Page 325.)

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« Cuvier est moins absolu (que Schelling), mais aussi moins consé<< quent.

«Schelling était parti d'un principe, et il y reste partout fidèle. Que « fait Cuvier? ce qu'il trouve bon dans les autres branches de nos con« naissances, il le trouve mauvais en histoire naturelle. Il croit ailleurs « à la puissance de l'esprit humain; il la nie dans la science, où lui-même « venait d'en donner de si éclatantes preuves!

«On a lu plus haut, résumées par Cuvier lui-même, les vues qu'il fit « un instant prévaloir, bien plus par l'autorité et l'ascendant de son « nom que par la force de sa logique. Faibles et fragiles arguments que <«<les siens, osons le dire, et dont bientôt il ne restera que le souvenir <«< si caractéristique de l'époque où ils furent produits.....» (Page 326.) A la page 331, on trouve une note toute critique sur des erreurs de détail. Je l'indique sans réflexion; elle se termine ainsi :

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« Plus l'autorité de Cuvier est légitime et imposante, plus est grand <«<le nombre des naturalistes qui ont suivi l'exemple du maître, plus il « importe d'insister sur la nécessité d'une marche plus logique. Je l'ai fait « déjà à plusieurs reprises (c'est M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire qui parle); je le ferai de nouveau en toute occasion, tant que les natu«ralistes, qu'ils soient de l'école positive ou de l'école philosophique, ne s'ac«< corderont pas entre eux sur un point aussi fondamental. » (Page 333.) Faisons observer au lecteur qu'ici la science positive, celle de Cuvier, est opposée à la science philosophique, celle de Geoffroy.

La conclusion que nous tirons des citations précédentes, C'est qu'on ne peut constester que le principe de l'unité de composition organique, avancé par Geoffroy Saint-Hilaire, n'a jamais eu, en faveur de

son exactitude, des preuves comparables à celles qui résultent des observations astronomiques et du calcul, en ce qui concerne les lois de la mécanique céleste; dès lors on ne peut taxer d'inconséquence celui qui admet ces dernières en même temps qu'il rejette le principe d'unité de composition, ou qui ne l'admet pas, faute de preuves suffisantes.

Et quand M. Isidore parle (p. 434) des arguments de Cuvier contre l'intervention du raisonnement en histoire naturelle, nous disons qu'il faut entendre les arguments de Cuvier contre les hypothèses, les mau

vais raisonnements.

Cette confusion d'idées, née de l'assimilation de lois de la nature parfaitement déterminées avec des généralités contestables, justifie pleinement les motifs que nous avons de croire à l'influence fâcheuse que la lecture de l'Histoire naturelle générale des règnes organiques est susceptible d'exercer sur de jeunes esprits; car rien, selon nous, ne peut nuire autant au véritable progrès de l'esprit humain que de confondre le conjectural, le probable avec le certain, l'hypothèse avec la théorie reposant sur des lois incontestables. C'est cette confusion, dont nous voulons combattre l'influence, qui nous détermine à revenir sur des idées bien différentes de celles qui servent de fondement aux doctrines de M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.

Aussi rejetons-nous la distinction d'une science positive d'avec une science philosophique, parce que, évidemment, la philosophie étant la connaissance du vrai, le caractère philosophique est dans le positif, de sorte qu'une science est d'autant plus philosophique, qu'avec le plus petit nombre de principes elle explique un plus grand nombre de choses.

La science parfaite est la démonstration de la vérité. Dans toute recherche, le savant doit donc tendre à atteindre ce but. Une fois pénétré de cette idée, il doit envisager l'expérience comme un moyen bien plus efficace pour y parvenir que ne l'est la simple observation. Et pourquoi? c'est que l'expérience, envisagée à ce point de vue, donne le moyen de savoir si la conjecture ou la supposition que vous avez faite de la cause d'un effet sur lequel votre attention s'est fixée a quelque fondement ou non; conséquemment l'expérience ainsi envisagée devient un criterium; et ce raisonnement, aussi simple que rigoureux, donne nos motifs pour distinguer l'expérience de l'observation proprement dite, et pour montrer que le raisonnement, présidant à toute observation, se retrouve dans l'analyse comme dans la synthèse. Et l'on voit que plus l'expérience pénétrera dans les sciences d'observation proprement dites, et plus celles-ci acquerront de certitude.

Et nous nous élevons encore ici contre l'expression d'observation in

directe donnée à l'expérience, puisque nous regardons celle-ci comme le criterium de l'induction à laquelle la simple observation d'un phénomène a conduit l'investigateur.

Un dernier point reste à traiter. Cette manière dont nous envisageons la science n'aurait-elle pas, dirait-on, l'inconvénient de rétrécir le champ que la curiosité de l'homme veut explorer, par l'exigence qu'on lui supposerait de ne tenir compte que des vérités démontrées ? Notre réponse toute négative se trouve dans les articles mêmes du Journal des Savants où nous rendîmes compte, en 1840, des recherches d'anatomie transcendante et pathologique de M. Serres. Nous reproduisons nos conclusions avec d'autant plus d'empressement, que M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire cite un auteur qui, autant que nous en pouvons juger, aurait exprimé, en 1849, des idées semblables à celles que nous rappelons.

En parlant, en 1840', des conclusions auxquelles peuvent conduire des recherches scientifiques, nous en distinguâmes de deux sortes: 1o Des conséquences positives, ou simplement conséquences (nous ajoutons déductions).

Ces conclusions découlent rigoureusement des faits observés que l'auteur donne pour des vérités.

2o Des inductions, conclusions auxquelles on arrive lorsque le raisonnement dépasse les conséquences positives.

Depuis ces deux distinctions nous avons cru devoir en admettre une troisième, celle :

3o Des conjectures, qui diffèrent des inductions par beaucoup moins de probabilité.

Nous croyons ces trois distinctions suffisantes pour que tout investigateur donne une idée juste des conclusions auxquelles ses recherches peuvent l'avoir conduit.

Tous les résultats des recherches scientifiques rentrent donc dans les trois sortes de conclusions que nous venons de distinguer, eu égard à leurs degrés respectifs de certitude ou de probabilité. Tous sont du ressort de la publicité, mais avec l'indication de leurs degrés respectifs de certitude. C'est à cette condition seulement qu'ils seront vraiment utiles au progrès de la science, parce que, dans aucun cas, ils ne pourront le compromettre, soit qu'ils servent de matériaux à l'auteur d'un traité général, soit qu'un investigateur veuille les continuer. Dans le premier cas, l'auteur du traité ne sera point exposé à donner comme

1 Journal des Savants, 1840, p. 715.

fait démontré la simple conjecture, ni même l'induction; dès lors, ses lecteurs ne seront point exposés à confondre ce qui est vrai avec ce qui n'est que probable. Dans le second cas, l'investigateur, ne pouvant confondre les faits démontrés avec des inductions et des conjectures, distinguera ce qui est démontré de ce qui ne l'est pas; il saura sur quoi s'appuyer, et peut-être que les inductions, les conjectures de son prédécesseur, lui suggéreront des vues qui, sans elles, ne se seraient point présentées à son esprit.

Est-ce un système d'idées préconçues qui nous a conduit à la méthode que nous recommandons, et d'après laquelle nous ne pouvons admettre les doctrines que M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire exalte avec tant d'ardeur comme les seules favorables aujourd'hui au progrès des sciences naturelles? Nons répondrons négativement, et il a fallu une profonde conviction du danger de ces doctrines pour nous déterminer à publier un examen critique de l'Histoire naturelle générale des règnes organiques, car nous avons vécu avec MM. Geoffroy Saint-Hilaire, et rien n'égale notre vénération pour la mère de l'auteur! Mais la méthode que nous défendons est l'œuvre de notre vie; elle est le fruit de plus de cinquante ans d'enseignement dans l'université, au Muséum et aux Gobelins; de réflexions suggérées par des fonctions d'examinateur remplies durant trente ans à l'École polytechnique; enfin des recherches qui n'ont pas cessé de nous occuper jusqu'à ce jour depuis les premières, dont la publication remonte à 1805.

Cette méthode a commencé à se formuler dans notre esprit à la suite de fréquentes conférences que nous eûmes, de 1818 à 1830, avec deux excellents amis, MM. Ampère et Frédéric Cuvier. Nos discussions portaient principalement sur la psychologie et la mathesiologie, dont M. Ampère s'est si longtemps préoccupé; et voilà comment nous avons été conduit à définir le mot expérience d'une manière plus précise qu'elle ne l'avait été avant nous, et comment cette définition a donné sa précision à l'expression de méthode a posteriori expérimentale, et enfin comment nous avons été conduit à définir le mot fait.

La conséquence de ces études a été de nous faire envisager les sciences dites physiques et naturelles sous un aspect fort différent de celui où elles apparaissent au pur penseur, qui, pour s'en expliquer l'origine et les progrès, ne tient compte que de la raison de l'homme, à laquelle il attribue la qualité de la perfection, et qui, fort de cette idée, imagine une classification des connaissances humaines qu'il qualifie de rationnelle.

A notre point de vue, les sciences, fruits de l'observation, du rai

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