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veuve d'un des émigrés d'Abyssinie, qui, en mourant après Ohod, lui avait laissé quatre enfants en bas âge; Zeynab, fille de Djash; et Djouweyria, fille du chef des Béni Moustalik, dont la tribu venait d'être subjuguée. Captive du Prophète, la belle Djouweyria avait su le toucher; et, grâce à elle, la plupart des prisonniers avaient été épargnés. Mais le mariage de Zeynab, fille de Djash, avait été l'occasion d'un grand scandale. Elle était la femme de ce Zayd dont Mahomet avait fait son fils adoptif, de telle sorte que le Prophète, donnant un coupable exemple, épousait sa belle-fille. Zayd par un dévouement aveugle, avait répudié sa femme, dont il n'avait point à se plaindre, et l'avait ainsi rendue libre. Le monde musulman était affligé profondément et indigné de cette union contraire à tous les usages. Mahomet la légitima par un verset du Coran 1, et désormais les fidèles purent prendre pour femmes les femmes répudiées de leurs enfants adoptifs. Zayd fut récompensé de sa complaisance par la mention expresse de son nom dans le livre sacré 2; mais, à dater de ce moment, il perdit son titre de fils de Mahomet, et il ne fut plus que le fils de Harith, comme le voulait sa naissance.

L'année suivante, le Prophète joignait aux sept femmes qu'il avait déjà la belle Rihâna comme concubine. Rihâna, de la tribu des juifs Corayzha, si cruellement massacrés, était restée fidèle à la religion de ses pères, et c'était là un obstacle infranchissable à devenir une épouse légitime. Safia, autre juive, veuve de Kinâma, chef de Kaybar, fut moins scrupuleuse, et, après son abjuration, elle devint la huitième femme de Mahomet. En 628, il en épousait encore une nouvelle dans la personne d'Habîba, veuve d'un des émigrés d'Abyssinie, qui n'avait pas moins de 40 ans, et à laquelle il s'était fiancé par procuration aussitôt qu'elle avait eu perdu son premier mari. A la même époque, il prenait comme concubine Maria, l'esclave copte3, qui devait lui donner le seul fils et le

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1 Coran, sourate XXXIII, verset 37. M. W. Muir (The Life of Mahomet, t. III, p. 230) blâme ici très-vivement Mahomet, pour lequel il est, d'ailleurs, fort impartial et même bienveillant, et il va jusqu'à dire que cette sanction sacrée donnée à une passion brutale est une effronterie impie. » Cette expression sévère n'est que juste; seulement il est peu probable que Mahomet eût la pleine conscience de ce qu'il faisait, et qu'il sentît sa faute comme nous pouvons la sentir nous-mêmes. 2 Voir le Coran, sourate xxxIII, verset 37: Lorsque Zayd prit un parti et réso«lut de répudier sa femme, nous l'unîmes à toi par le mariage, afin que ce ne soit pas un crime pour les croyants d'épouser les femmes de leurs fils adoptifs après <«la répudiation. Zayd est avec Abou-lahab le seul des contemporains de Mahomet nommé dans le Coran, sourate CX1, verset 1. 3 De l'avis unanime de tous les commentateurs, il est fait allusion aux querelles intérieures que suscita la jalousie des femmes du Prophète contre Maria la Ĉopte, Coran, sourate LXVI, versets i et suiv.

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seul enfant qu'il eût eu depuis Khadidja. Enfin la dernière femme de Mahomet fut Maimouna, qu'il épousa pendant le petit pèlerinage à la Mecque, trois ans environ avant sa mort. Veuve de deux maris, Maimouna était âgée de 51 ans, et il est probable que l'objet principal de Mahomet, en contractant cette union, ce fut de hâter la conversion et de s'assurer le dévouement du neveu de Maimouna, le fameux Khalid, fils de Walid, surnommé l'Épée de Dieu, qui devait être, par son courage et son habileté, un des appuis les plus fermes de l'islâm naissant '.

Il est évident, pour plusieurs de ces unions, que ce fut la politique qui les dicta ou les imposa. Tels sont les choix d'Ayésha 2, fille d'Abou-becr, et d'Hafsa, fille d'Omar; ce n'était qu'un lien nouveau entre le Prophète et ses deux plus illustres adhérents, destinés à être ses deux premiers successeurs; tels furent aussi les choix de Sauda, de Zeynab, fille de Khozeima, d'Oumm Salma, d'Oumm Habîba, et même de Maimouna, toutes veuves de musulmans morts en exil ou tués au combat. Mais il n'y a plus de calcul, et il n'y a que de la débauche dans toutes ces autres alliances qui se multiplient à quelques mois d'intervalle, et qui ne s'expliquent que par de brutales convoitises. Sans doute Mahomet, donnant une maison séparée à chacune de ses femmes, et ne les tenant pas réunies dans le même harem, voulait, dans plus d'un cas, acquitter envers elles une dette de reconnaissance, et leur assurer une situation indépendante après de longs malheurs; mais cette excuse, qui est vraie pour quelques-unes de ses épouses, ne l'est plus pour les autres, et il ne les prit ordinairement que pour assouvir des passions qu'il lui eût été, ce semble, assez facile de surmonter.

Pendant trente années de suite, il était resté dans la monogamie; et, autant qu'on en peut juger par bien des traits de sa vie, il goûtait vivement les charmes de la famille, et il adorait ses enfants et ses petits-enfants. Il avait une tendresse profonde pour toutes ses filles; et il avait su être un père excellent en même temps qu'un fidèle époux, à un âge où les violences des sens sont le plus à redouter. Comment, après tant de

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Mahomet avait recommandé à ses sectateurs de ne pas épouser ses femmes après sa mort. (Coran, sourate XXXIII, verset 53.) Aucun musulman n'enfreignit cette recommandation, qu'on regardait comme sacrée. Les neuf veuves de Mahomet, entourées de respect, furent pensionnées par l'État, auquel tous les biens du Prophète avaient fait retour, et elles furent appelées les Mères des fidèles, afin de mieux consacrer leur veuvage. Lorsque Ayesha devint la femme de Mahomet elle n'avait dix ans. Pour ne pas sentir une sorte d'horreur de cette union, il faut se rappeler la différence profonde qu'établit le climat dans l'âge de la nubilité; mais, même en faisant aux influences extérieures la part aussi large qu'on le voudra, il reste toujours quelque chose de bien extraordinaire dans un tel mariage.

que

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reserve et de sagesse, le Prophète est-il tombé dans les abimes du vice? On pourrait croire que c'est la prospérite qui l'a enivre et qui l'a jeté dans ces exces, ou se sont dégrades aussi tant d'autres hommes parvenus au faite de la puissance ainsi que lui. Mais cette hypothèse même a bien peu de fondement, quand on le voit, au milieu de ses triomphes et jusqu'au dernier jour, conserver toutes les autres vertus de sa jeunesse. la tempérance, la simplicité et le plus absolu desinteressement, avec une activité prodigieuse qui ne se dément pas un seul jour, et qui suffit tout ensemble a la religion, à la politique, à la diplomatie et à la guerre. En défendant aux autres croyants d'avoir plus de quatre femmes légitimes, il s'accorda le privilége d'en avoir jusqu'à neuf., sans compter les esclaves. L'exemple et le précepte étaient egalement fàcheux, et c'est la polygamie qui a surtout perdu l'islamisme.

Mais, pour être juste, il faut se håter de dire que ce n'est pas Mahomet qui l'a fondée. Il la trouvait établie de temps immémorial chez les peuples qu'il convertissait, et elle est malheureusement la condition de l'Asie presque tout entière. Il n'y a donc pas à la lui reprocher comme si c'etait lui qui l'eût introduite, et qui eût apporté au monde cette dépravation et ce fléau. Mais il eût été digne de sa grande mission de combattre un si redoutable désordre et d'essayer de le détruire. L'idolatrie qu'il a renversée n'était pas plus fatale; et il eût été encore plus beau de réformer les mœurs que de réformer les croyances. L'idee de Dieu qu'il apportait au monde arabe n'y a pas produit ses conséquences les plus heureuses, puisque la religion nouvelle n'y a pas créé entre les hommes ces liens sacrés qui fondent la famille et par suite les sociétés. Je ne dis pas que Mahomet eût réussi dans cette noble entreprise, et. quand on voit les coutumes effroyables qu'il a dù réfréner, on peut douter que le peuple arabe eût entendu de meilleurs conseils sur un sujet si delicat. Mais çaurait été une gloire incomparable de les donner. au risque même de les voir méconnus. Seulement il est probable que Mahomet, malgré sa propre expérience si longue et si douce, n'avait

Coran, sourate IV, verset 3. Dans ce passage le Prophete conseille même aux fideles de n'avoir qu'une seule femme; mais il glisse sur ce dernier precepte, qui n'a pas prevalu. — Dans le Coran, sourate XXXIII, verset 49, le Prophete senible recevoir de Dieu la permission d'avoir autant de femmes qu'il voudra, mais, dans le verset 52, il dit : « Il ne t'est pas permis de prendre dorénavant d'autres femmes, ni ⚫de les échanger contre d'autres, quand même leur beauté te charmerait, à l'exception des esclaves que tu peux acquérir. » Mahomet avait alors neuf femmes, à ce que croient les commentateurs, parce que Zeynab, fille de Khozeima, était morte, et que Mahomet ne l'avait pas remplacée.

pas compris les bienfaits de la monogamie. Il avait obéi à son instinct, qui l'avait d'abord excellemment conduit; il y obéit ensuite non moins aveuglément, quand cet instinct perverti le précipita dans le mal1.

M. William Muir remarque avec raison que la polygamie est une des divergences essentielles entre l'islâm et le christianisme, que, sous ce rapport, Mahomet aurait pu imiter comme il l'a fait sous tant d'autres1. La critique est vraie; mais il ne faut pas l'exagérer. L'Arabie n'était pas l'empire romain, et la doctrine chrétienne, après le judaïsme, avait fait de vains efforts pour pénétrer chez les tribus de la péninsule. Le christianisme a fondé la monogamie chez des peuples tout préparés à la recevoir parce qu'ils l'avaient presque toujours pratiquée. J'avoue, du reste, que c'est une grave lacune dans l'intelligence de Mahomet, et une rançon qu'il a payée à la faiblesse humaine. Mais, encore une fois, il faut se rappeler qu'il était un Arabe, et non un Juif ou un Grec, et qu'il y a bien des idées et des sentiments qui n'étaient pas faits pour lui; c'est là

le secret de la Providence.

BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

(La suite à un prochain cahier.)

TRAGICORUM LATinorum reliquiE. Recensuit Otto Ribbeck. Lipsiæ, sumptibus et formis B. G. Teubneri, 1852, in-8° de 442 pages.

DEUXIÈME ARTICLE 2.

Ennius a-t-il toujours mis à profit ce sage conseil? Les maximes répandues dans le recueil de ses fragments tragiques en feraient douter. Elles pèchent visiblement, plus encore que chez Euripide, par la fré

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La passion de Mahomet pour les femmes paraissait excessive, même à ses compagnons, et le secrétaire de Wâckidi rapporte ce mot d'Ibn Abbas : « Le plus grand des musulmans était aussi le plus passionné de tous pour les femmes.» (Voir M. William Muir, The Life of Mahomet, tome IV, p. 310.) Voir, pour le premier article, le cahier de septembre, p. 541.

quence, par le nombre, quelquefois même par le sens, d'une hardiesse sceptique, qu'expliquait, excusait sans doute la situation, la passion du personnage, mais à laquelle l'assentiment irréfléchi du public donnait une portée générale fàcheuse. Il en était ainsi, nous le savons par Cicéron, qui rappelle cette surprise faite aux sentiments du peuple romain, quand Telamon, ce père infortuné, s'écriait, dans son désespoir, devançant de bien loin la doctrine irréligieuse d'Epicure et de Lucrèce :

Il a Ꭹ des dieux, habitants du ciel; je l'ai toujours dit et le dirai toujours; mais ils n'ont pas souci, je pense, du genre humain s'ils s'en souciaient, le bonheur serait pour les bons, le malheur pour les méchants, ce qui n'est pas.

:

Ego deum genus esse semper dixi et dicam cœlitum ;

Sed eos non curare opinor quid agat humanum genus :
Nam si curent, bene bonis sit, male malis, quod nunc abest'.

On doit moins regretter les traits spirituels lancés par Ennius contre la science prétendue des devins, sous le couvert du même personnage et en des termes qui le dépaysent fort, qui, sans égard pour la vraisemblance dramatique, le transportent dans le domaine de la comédie et de la satire, de la satire locale et contemporaine. Ils le transporteraient même à Rome, dans ce Cirque dont le concours de tant de charlatans faisait le domicile de la crédulité populaire 2, si, d'après le conseil de Bothe, suivi par M. Ribbeck, on ne retranchait de la tirade des vers assez évidemment forgés avec la phrase par laquelle Cicéron3 amenait

cette citation :

Prophètes de la superstition, impudents vendeurs d'oracles frivoles! Ce sont ou des fainéants, ou des fous, ou des malheureux, à qui l'indigence commande. Ils ne sauraient trouver de sentier pour eux-mêmes et indiquent à autrui le bon chemin ; ils vous promettent des trésors et vous demandent une drachme. Eh! que, sur ces trésors, ils retiennent leur drachme et vous comptent le reste!

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Sed superstitiosi vates impudentesque arioli,

Aut inertes, aut insani, aut quibus egestas imperat,

Qui sibi semitam non sapiunt, alteri monstrant viam ;
Quibus divitias pollicentur, ab eis drachumam ipsi petunt.
De his divitiis sibi deducant drachumam, reddant cetera ".

Cic. De Divin. II, L; cf. I, LVIII; De nat. deor. III, xxx11. O. Ribbeck, p. 20.

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