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Antiques concitoyens, amis de mes ancêtres, confidents des conseils célestes, interprètes des présages que donnent le vol des oiseaux et les entrailles des vic

times....

Cives antiqui, amici majorum meum,

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Consilium socii, augurium atque extum interpretes ....

De là, l'ordre des fragments nous fait passer tout à coup à des vers où l'un des personnages qu'on a si respectueusement traités d'augures s'exprime sur l'art des augures avec une spirituelle irrévérence :

Pour ceux qui entendent la langue des oiseaux, à qui le foie d'un animal en apprend plus que le leur, je suis d'avis qu'on les entende, mais non qu'on les

écoute.

nam isti qui linguam avium intellegunt, Plusque ex alieno jecore sapiunt quam ex suo, Magis audiendum quam auscultandum censeo'.

Dans le traité de la Divination, son avocat Q. Cicéron, en même temps qu'il s'associe volontiers aux traits d'Ennius contre les devins de bas étage, censure ces vers de Pacuvius, nous faisant par là connaître qu'ils avaient une portée plus sérieuse, qu'ils visaient plus haut, qu'ils s'attaquaient à des croyances, à des pratiques consacrées par la religion et la politique des Romains. C'est une hardiesse dont on peut s'étonner; car elle s'est produite en plein théâtre et non devant le public restreint des lecteurs d'un traité, bien longtemps avant les temps sceptiques du De Divinatione.

Ces vers, Q. Cicéron les juge en contradiction avec d'autres, où le même personnage («ille Pacuvianus qui in Chryse physicus inducitur ») philosophait avec assez d'éclat poétique (« satis luculente ») sur l'ordre de la nature. Les critiques, et, en dernier lieu, M. Ribbeck 3, les ont fait précéder de quelques autres fragments de sujet analogue, également

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1 Cic. Orat. XLVI; O. Ribbeck, p. 71, cf. 284.— 2 Cic. De Divin. I, LVII; O. Ribbeck, p. 71, 284. Jecur, chez les poëtes, est souvent pris pour le siége des affections, et mis au lieu de cor. Cicéron joue sur ce mot cor, comme Pacuvius sur jecur, quand il dit (De Divin. II, XVI): «An quod adspexit (bos) vestitu purpureo excordem « Cæsarem, ipse corde privatus est. Quant à la synonymie des mots audio, ausculto, que marque finement Pacuvius, elle est ainsi expliquée par Varron (De Ling. latin. VI, LXXXIII) : « Ab audiendo etiam auscultare declinamus, quod hi auscultare dicun« tur, qui auditis parent; » par Nonius (v. auscultare), citant le passage de Pacuvius : • » Auscultare est obsequi. P. 71. (Cf. 284.)

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empruntés au Chrysès, et il en est résulté la tirade suivante, qui fait certainement honneur au talent de Pacuvius :

Vois au-dessus et autour de la terre ce qui la tient embrassée,

Ce que le soleil blanchit à son lever, obscurcit à son coucher;

Nous l'appelons le ciel, et les Grecs l'éther.

Quoi que ce soit, il anime, il forme, il nourrit, il accroît, il crée tout ce qui existe : c'est lui aussi qui reprend et ensevelit toutes choses; c'est le père commun; tout est sorti de lui et tout y retourne.

Hoc vide, circum supraque quod complexu continet
Terram1.....

Solisque exortu capessit candorem, occasu nigret",

Id quod nostri cœlum memorant, Graii perhibent æthera3.

Quidquid est hoc, omnia animat, format, alit, auget, creat,
Sepelit recipitque in sese omnia, omniumque idem est pater,

Indidemque eadem quæ oriuntur, de integro æque eodem occidunt.

Complétons, comme M. Ribbeck, le morceau par ce dernier pas

sage:

La mère, c'est la terre: elle enfante le corps, et l'éther y joint l'âme.

Maler est terra: ea parit corpus, animam æther adjugat 3.

Est-ce bien Chrysès qui parle? N'est-ce pas plutôt Pacuvius, qui, sous son nom, philosophe avec complaisance, comme Ennius, nonseulement dans son Epicharme, mais dans ses Annales, dans ses tragédies. Le poëte, oublieux de la convenance dramatique, se trahit plaisamment par une inadvertance qu'a relevée Cicéron 7, lorsque, comme

Cic. De Divin. I,

LVII.

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Non. v.

nigret. 5 Varr. De Ling. lat. V, LX;

1 Varr. De Ling. lat. V, XVII, XIX; Cic. De nat. deor. II, xxxvi. 3 Varr. Cic. ibid. Non. v. adjugare. Voyez Journal des Savants, cahiers d'octobre 1862, p. 590, de septembre et d'octobre 1863, p. 553 sq., 655 sqq. 'De nat. deor. II,

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XXXVI.

Ennius encore, qui, faisant office de poëte et de grammairien tout ensemble, ne craignait pas de marquer dans ses vers la concordance de certains mots grecs et de certains mots latins, il prête à Chrysès une note de ce genre et le charge de dire à sa place, en littérateur romain :

Id quod nostri cœlum memorant, Graii perhibent æthera.

Au reste, dans l'isolement actuel de ces fragments, nous ne pouvons guère juger de l'art plus ou moins habile qui les rattachait au drame. Il y a chez Euripide des développements de ce genre qui perdent, dans le mouvement de la scène, entraînés qu'ils sont par la passion du personnage, leur caractère de dissertation philosophique; témoin cette éloquente réclamation de Thésée pour les chefs argiens que Thèbes, abusant des droits de la victoire, veut priver de sépulture:

Souffrez que la terre recouvre enfin ceux qui ne sont plus. Chaque partie de nous-mêmes doit retourner à l'élément d'où elle est venue; l'esprit au fluide éthéré et le corps à la terre. Le corps, ce n'est pas un bien qui nous appartienne en propre; c'est un domicile passager que nous habitons pendant notre vie. Il faut bien qu'à la fin celle qui l'a formé le reprenne1.

La philosophie du Chrysès, détachée par le temps de son cadre, n'a plus pour nous qu'un caractère didactique. Mais, ainsi considérée, elle a droit, de notre part, à une autre sorte d'intérêt. Avec certains vers d'Ennius, elle prépare, elle annonce de loin le réel avénement du genre dans le poëme de la Nature. Un jour Lucrèce dira, reprenant les mêmes idées et avec le même mouvement, quelquefois des expressions pareilles :

Vois enfin, au-dessus et autour de la terre, ce qui la tient embrassée; on dit que tout en est créé, que tout y retourne après la mort.

Denique jam tuere hoc circum supraque, quod omne
Continet amplexu terrarum; procreat ex se

Omnia, quod quidam memorant, recipitque peremta3.

L'emprunt textuel fait ici à Pacuvius ne permet pas de douter qu'il n'ait sa part dans le quidam memorant preuve nouvelle de la durée de

'Euripid. Suppl. ed. Boisson. v. 534 sqq. De nat. rer. V, 319.

ce vieux théâtre présent au souvenir de Lucrèce, comme à celui de Cicéron, et se recommandant à l'un et à l'autre par son esprit philosophique.

(La suite à un prochain cahier.)

PATIN.

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Historia diplomatica Friderici SECUNDI, sive constitutiones, privilegia, mandata, instrumenta, quæ supersunt istius imperatoris et filiorum ejus. Accedunt epistolæ paparum et documenta varia. Collegit, ad fidem chartarum et codicum recensuit, juxta seriem annorum disposuit et notis illustravit J. L. A. Huillard-Bréholles, in Archivio cæsareo parisiensi archiviarius. Auspiciis et sumptibus H. de Albertis de Luynes, unius ex Academiæ inscriptionum sociis. In-4°, Parisiis, excudebat Henricus Plon, 1854-1861; t. IV (2 parties), 1045 pages; t. V (2 parties), 1337 pages; t. VI (2 parties), vIII et 1048 pages; enfin un volume contenant la préface et l'introduction (DLX pages) 1.

DEUXIÈME ARTICLE 2.

L'analyse des documents que nous examinons nous a conduit, dans notre précédent article, jusqu'à l'année 1241, et au décès de Grégoire IX; cet événement, en mettant fin à la lutte de l'empereur et du saint-père, ne terminait point les interminables différents qui divisaient l'Église et l'Empire. A Grégoire IX avait succédé Célestin IV, qui eut à peine le temps de s'asseoir sur le trône pontifical, où la mort vint le saisir dix-huit jours après son élection. Ce trône resta vacant pendant plus de vingt mois; Frédéric II, qui tenait en prison plusieurs cardinaux,

1 On a fait de ce volume un tirage à part qui se vend séparément. pour le premier article, le cahier d'octobre 1862, p. 630.

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empêchait une élection nouvelle. Il avait même arrêté des prélats français, qui se rendaient à un concile convoqué par Grégoire IX. Le roi de France les réclame; l'empereur prétend qu'il avait eu le droit de les emprisonner parce que le concile était convoqué contre lui; il insiste sur ce que le pape l'a injustement frappé du double glaive dont il est armé. «Mais, dit-il, la providence du Dieu par qui règnent les rois a « confondu ces mauvais desseins, elle a livré en nos mains les cardinaux et les prélats nos ennemis... » Il y a dans le langage de l'empereur un mélange d'orgueil et d'ironie qu'on ne peut bien faire comprendre qu'en citant ses propres expressions'.

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Mais ce n'était pas à Louis IX qu'il fallait parler avec cette arrogance : «Que votre sagesse impériale y prenne garde et qu'elle pèse bien nos paroles, répondit le saint et grand roi, la France n'est pas si débile qu'elle souffre qu'on la foule aux pieds; Provideat igitur imperialis «providentia et ponat in statera judicii ea quæ scribimus... nam regnum «Francie non est adeo debilitatum in viribus, quod se permittat calcaribus "perurgeri 2. » Et nous apprenons de Guillaume de Nangis que l'empereur se le tint pour dit et fit droit à des réclamations dont il ne pouvait méconnaître la justice, craignant surtout de pousser à bout le roi de France 3.

Cependant l'année 1242 était près de finir; depuis quinze mois le saint-siége était vacant. Louis IX, affligé et inquiet de cette longue viduité, jugea qu'en sa qualité de fils aîné de l'Église, il devait s'efforcer de mettre un terme à ce fâcheux interrègne; il écrit aux cardinaux, il exhorte ces princes de l'Eglise à la concorde, il les presse, il gourmande leur paresse et leur pusillanimité. Redoutent-ils l'empereur? mais que peut craindre d'un homme celui qui a le Seigneur avec soi? Le saint roi s'indigne contre ceux dont l'avarice ou l'ambition sont la cause des malheurs où Rome est plongée, et aussi contre ces princes temporels

1 «Verum mirabilis Dei providentia, per quem vivimus et regnamus, hujusmodi "pravitatis ipsius conspiciendo propositum, ac ipsius cogitationes vertens in nihi«lum, cardinales et prelatos tam regni Francie quam aliarum provinciarum in ma«nibus conclusit nostris, quos omnes tanquam nostros hostes et adversarios detine« mus. Nam ubi non deficiebat persecutor, non debebat deesse defensor, presertim « quum virtus imperii transcendat hominem, et leonis vestigia animalia singula pertimescant. Non igitur regia celsitudo miretur, si prelatos Francie in angusto tenet Augustus, qui ad Cesaris angustias nitebantur.» (Historia diplom. t. VI, p. 2.) Cette pièce est imprimée parmi les épîtres de Pierre des Vignes, mais M. H. Bréholles l'a collationnée sur plusieurs manuscrits, et spécialement avec le texte conservé à la Bibl. imp. ancien fonds latin, 2954. 2 'Hist. diplom. t. VI, p. 19. Apud Rer. franc. scriptores, in-f, t. XX, p. 332.

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