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THE LIFE OF MAHOMET, with introductory chapters on the original sources for the biography of Mahomet, and on the pre-islamite history of Arabia, by William Muir, esq., Bengal civil service. London, 1861, in-8°. LA VIE DE MAHOMET, précédée d'une introduction sur les sources originales de sa biographie et sur l'histoire de l'Arabie antérieurement à l'Islám, par M. William Muir, esq., du service civil au Bengale. Londres, 4 vol. in-8°, avec des cartes et des tableaux.

Das Leben und die Lehre des MOHAMMAD, nach bisher grösstentheils unbenutzten Quellen, bearbeitet von A. Sprenger, erster Band, xvi-583; zweiter Band, 548. Berlin, 1861, 1862. La Vie et la Doctrine de MAHOMET, d'après des sources la plupart inédites, par M. A. Sprenger. Berlin, in-8°, les deux pre

miers volumes.

SIXIÈME ARTICLE 1.

Ce ne serait pas assez connaître Mahomet que de négliger de l'étudier aussi dans le Coran. Son livre est un bien autre témoignage que tous ceux de la tradition; car c'est là le principal instrument de son action sur le monde. Sans le Coran, le Prophète aurait pu jouer encore un grand rôle; mais son empire, aussi fragile que celui de Cossayy, son précurseur, serait mort avec lui; et il ne serait resté de son passage sur la terre qu'un souvenir fugitif comme celui de tant d'autres, n'eût été cette influence durable que peuvent seuls conférer des monuments écrits. Le Coran a été pour les nations musulmanes l'unique source de toute leur vie religieuse, morale, civile et politique. Il est encore aujourd'hui le seul lien social qui leur donne quelque consistance; c'est par le Coran que l'œuvre de Mahomet a vécu jusqu'à nous, et qu'elle pourra vivre encore durant tout le temps que lui accorderont les desseins de la Providence. Dans le Coran, nous pourrons retrouver le Prophète tel que

1 Pour le premier article, voir le Journal des Savants, cahier d'avril, p. 205; pour le deuxième, le cahier de juillet, p. 401; pour le troisième, le cahier d'août, p. 503; pour le quatrième, le cahier de septembre, p. 571, pour le cinquième, le cahier d'octobre, p. 639.

nous venons de le voir avec toutes les grandeurs et toutes les lacunes de son génie, très-supérieur aux peuples qu'il tâche d'éclairer, mais forcé de leur faire, à son insu, des concessions qui l'abaissent lui-même, et sans lesquelles il n'aurait été ni compris ni suivi de ceux qu'il voulait convertir et qu'il a tant améliorés.

Je devrai nécessairement laisser de côté la plupart des questions que soulève la composition du Coran 1; elles appartiennent plus directement à la philologie et à l'histoire. Mettre un peu d'ordre dans les sourates et dans les versets, c'est une entreprise bien délicate, même pour les plus habiles; et c'est une tâche que très-peu de gens peuvent essayer avec quelque chance de succès. On sait que, après la mort du Prophète, les principaux musulmans, Omar en tête, pensèrent à recueillir ses récitations et à en faire un corps d'écritures qui pût servir de guide à la religion nouvelle. Un des secrétaires de Mahomet s'acquitta de ce soin, qui lui fut officiellement imposé; et sa compilation, perfectionnée dans une seconde édition vingt ans plus tard, est le texte même qui est parvenu jusqu'à nous. Il ne peut pas s'élever le moindre doute sérieux sur l'authenticité, ainsi que je l'ai dit 2; mais néanmoins que d'obscurités! que d'impénétrables ténèbres! Et, si l'esprit arabe a pu se satisfaire de ce chaos, moitié par piété, moitié par ignorance, comment l'esprit moderne se résignerait-il à s'en contenter?

La lumière qu'on pouvait y porter n'était que celle de l'histoire; et, comme on connaît désormais suffisamment toute la vie de Mahomet, il était permis de tenter, d'après les événements qui la composent, une coordination chronologique dans les sourates. Il est évident, en effet, que le langage de Mahomet a dû varier selon les temps et selon les situations où il s'est trouvé. Quand il en était encore à ses méditations solitaires et à ses anxiétés sur le mont Hîra; quand il commençait à enseigner quelques disciples cachés et fidèles; même quand il discutait avec les Coraychites incrédules et moqueurs, réunis autour de la Càba encore idolâtre, il ne pouvait parler comme plus tard lorsqu'il avait été vainqueur dans cent combats, quand l'Arabie lui était en partie soumise, quand il envoyait des ambassadeurs aux États voisins pour les sommer d'embrasser l'islâm, et qu'il était reconnu pour l'envoyé de Dieu par tous

1 L'Académie des inscriptions et belles-lettres a mis spécialement cette question au concours en 1857. Un seul des trois mémoires couronnés, celui de M. Nöldeke, a été publié. Quand on connaîtra ceux des deux autres concurrents, MM. Amari et A. Sprenger, il n'est pas à douter que ce difficile problème ne soit très-largement élucidé, si ce n'est tout à fait résolu. C'est l'opinion de M. Reinaud dans sa Notice sur Mahomet, p. 78. — Voir le Journal des Savants, cahier d'avril 1863, p. 212.

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ceux qui avaient d'abord nié sa mission. Il ne pouvait prêcher à Médine au milieu des Mohadjirs et des Ansâr, comme il avait jadis prêché secrètement à la Mecque; et, lorsqu'il rentra victorieux dans la ville sainte, après dix ans d'exil, ses paroles devaient avoir aussi, avec bien plus d'autorité, un tout autre caractère. Ne serait-il pas possible, avec ce fil conducteur donné par l'histoire, de rétablir la succession régulière des sourates, et de leur faire ainsi refléter ou plutôt révéler les phases diverses par lesquelles a dû passer l'âme du Prophète, parlant au nom du Dieu qui l'inspirait, soutenant ses compagnons, fondant son culte et son gouvernement, organisant une société nouvelle, maudissant les idolâtres et les infidèles, et poursuivant ses ennemis? C'est là ce que se sont demandé des esprits curieux et savants, et ils ont cherché une réponse à ces problèmes.

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Déjà M. Gustave Weil avait donné une classification des sourates, et il les avait rangées dans un ordre qui s'appuyait sur de profondes études et sur une connaissance très-étendue et très-précise du sujet. Après lui, M. William Muir, aidé de secours encore plus puissants, a recommencé ce travail épineux2; mais, pour se convaincre des difficultés presque insurmontables qu'il présente, on n'a qu'à comparer les deux listes. Elles n'ont aucun rapport entre elles. La première sourate, pour M. G. Weil, est celle qui dans le Coran se trouve la xcvr'; pour M. W. Muir, c'est la cur. La seconde de M. Weil est la LXXIV du Coran; la seconde de M. W. Muir est la co; et les divergences continuent ainsi jusqu'à la fin de la liste 3. Bien plus, M. G. Weil reconnaît quatre-vingt-trois sourates de la Mecque et trente et une de Médine. M. W. Muir n'en reconnaît guère qu'une vingtaine de Médine; et il croit que le reste a été composé à la Mecque. Quand des juges aussi compétents sont si peu d'accord, on doit présumer que le problème est à peu près insoluble, du moins dans l'état actuel des choses; et il est prudent d'attendre de nouvelles lumières.

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1 M. Gustave Weil, Mohammed der Prophet, p. 364 et suiv. Au temps où M. G. Weil essaya cette classification, le sujet était très-neuf parmi les philologues européens; il avait été abordé dès longtemps par les biographes arabes, mais avec trop peu de critique, comme on peut le croire. 2 M. William Muir, The Life of Mahomet, t. II, p. 318 et suiv. et t. III, 311. P. 3 Il serait aisé de pousser plus loin la comparaison, et je ne sais s'il y aurait une seule concordance dans les deux listes. Ce qui m'étonne le plus, c'est que le nombre des sourates, soit de la Mecque, soit de Médine, puisse être si différent de part et d'autre. Chaque sourate porte en tête et après le titre une de ces deux indications : « Donné à la Mecque; Donné à Médine,» avec le nombre des versets. Il semble dès lors qu'il n'y a plus d'erreur possible; mais je ne trouve point, à cet égard, de renseignements particuliers.

Une autre question non moins intéressante, et sur laquelle il n'est pas facile d'avoir une opinion personnelle, c'est le style du Coran. Mais là, du moins, on peut accepter l'opinion généralement reçue et regarder le Coran comme le chef-d'œuvre incomparable de la langue arabe. La beauté de la forme, de l'avis unanime de tout le monde, égale la majesté du sujet, et la perfection du langage n'y a jamais laissé l'expression au-dessous de ce qu'elle devait rendre. Nous avons vu, un peu plus haut 1, quel enthousiasme inspiraient les récitations de Mahomet à tous ceux qui les entendaient; et l'on ne peut douter que cette séduction, attestée par des conversions nombreuses et inattendues, n'ait aidé beaucoup le Prophète auprès d'un peuple si sensible aux charmes de la poésie. Mahomet s'est défendu de jamais écrire en vers, de peur d'être confondu avec les poëtes vulgaires, et il n'est pas sûr, si l'on en croit une anecdote traditionnelle, qu'il connût les règles exactes de la versification. Mais l'ardeur de la pensée, la vivacité des images, l'énergie des mots, la nouveauté des croyances, suppléaient au reste dans cette prose irrésistible; et les cœurs étaient entraînés, avant même que les esprits fussent convaincus. Nous devons croire que cette fascination n'a jamais été poussée aussi loin par personne; et, parmi les fondateurs de religion, c'est un trait particulier de la physionomie de Mahomet, qui la rehausse et la singularise entre toutes. C'est un immense avantage pour le Coran d'être resté le plus beau monument de la langue dans laquelle il est écrit; et je ne vois rien de pareil dans toute l'histoire religieuse de l'humanité 3. Il ne faut pas perdre de vue cette considération, si l'on veut comprendre l'influence inouïe qu'a exercée le Coran. On a cru d'autant plus aisément qu'il était la parole de Dieu, que jamais homme, parmi les Arabes, n'avait fait entendre de tels accents.

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Quant à nous autres profanes, nous ne pouvons sentir ce mérite à

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Voir le Journal des Savants, cahier d'août 1863, p. 519. Mahomet citait un jour un vers d'un poëte contemporain, et il le citait à faux, mettant quelques mots hors de leur place. Abou-becr, qui était auprès de lui, releva sa méprise et lui signala son erreur; Mahomet accueillit avec bienveillance la critique de son ami; mais il ne parut pas en sentir la portée; et le déplacement d'un mot, qui cependant rendait le vers irrégulier, lui parut sans conséquence. (Voir M. Caussin de Perceval, Essai sur l'histoire des Arabes, t. III, p. 262.) 3 Nous pouvons sentir la beauté des psaumes de David et la beauté des hymnes védiques, comme nous sentons celle du Coran, au travers des traductions. Mais David et ses psaumes n'ont pas fait le code de la nation juive; et les Védas ont été bien moins encore le code des Hindous. Le caractère multiple du Coran n'appartient qu'à lui : c'est tout à la fois un hymne, un psaume, une prière, un code, un sermon, un bulletin de guerre, une polémique, et même une histoire.

un degré bien éloigné que grâce aux traductions; mais, malgré leur nécessaire froideur, la flamme, quoique à demi éteinte, brille encore d'un vif éclat; et l'on devine à la chaleur immortelle qu'elle garde, à travers tant d'intermédiaires, ce qu'a dû être le foyer primitif dans son incandescence et son explosion. Nous en sommes donc réduits à prendre le Coran tel qu'il est dans les versions qui nous le rendent accessible, et à en dégager quelques idées principales qui nous le représentent avec une vérité suffisante et une équitable justice.

On sait que le Coran se compose de 114 sourates ou chapitres, divisés en versets inégaux. Ces sourates sont plus ou moins longues; et celles qui ont été placées en tête du livre sont, en général, beaucoup plus développées. Tandis que quelques-unes ont jusqu'à vingt et vingt-deux pages, d'autres ne comptent qu'une ou deux lignes'. Chaque sourate porte un titre tiré le plus habituellement d'une des expressions qu'elle renferme ; mais ce titre n'a pas toujours une relation bien étroite avec les matières d'ailleurs très-disparates qu'il doit indiquer2. A chaque sourate est attaché ce frontispice uniforme et significatif : «Au nom du Dieu « clément et miséricordieux 3. » C'est la destruction même de l'idolâtrie. Voici, d'ailleurs, comment s'ouvre le Coran; et la première sourate s'exprime ainsi :

<< Louange à Dieu, le maître de l'univers, le clément et le miséricor<< dieux, souverain juge au jour de la rétribution! C'est toi que nous << adorons; c'est toi dont nous implorons le secours. Dirige-nous dans le << droit sentier, dans le sentier de ceux que tu as comblés de tes bien<< faits, et non de ceux qui ont encouru ta colère ou qui s'égarent". »

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On peut voir cette différence d'étendue entre les sourates dans la table chronologique de M. W. Muir, The Life of Mahomet, t. II, p. 318. Il a indiqué la longueur de chaque sourate d'après l'édition in-4° de M. Flügel. Tandis que la 11° sourate, la plus longue de toutes, a 22 pages et demie, et que d'autres en ont encore 14, 13, 12; quelques-unes, comme la cviii, la cxii, la cir', n'ont qu'une ou deux lignes. Ainsi la seconde sourate est intitulée, la Vache, uniquement parce qu'au verset 63 il est question d'une vache que Moise ordonna aux Israélites d'immoler à Dieu. Bien d'autres titres ne sont pas mieux justifiés. Il n'y a qu'une seule sourate sur les 114 qui n'ait pas ce préambule, c'est la Ix'; et l'on ne sait pourquoi. Quelques commentateurs ont pensé que cette sourate n'était que la suite de la précédente, et n'en pouvait être détachée; d'autres ont cru que l'omission tient à ce que cette sourate est une des dernières qu'ait récitées Mahomet, bien près dès lors de mourir. Il a oublié la formule habituelle. Peut-être n'est-ce aussi qu'une négligence des premiers copistes. Cette première sourate, qui n'a pas de titre spécial, a reçu différents noms qui en signalent toute l'importance. On l'appelle, entre autres, la mère du Coran, ou le Chapitre Suffisant, c'est-à-dire qui peut remplacer tous les autres; c'est comme le Pater des musulmans.

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