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Ainsi l'unité de Dieu, sa bonté et sa providence qui récompense le juste et châtie le méchant, telle est la première idée que proclame le Coran. On pourrait presque dire que c'est la seule, à laquelle il se borne, la montrant dans toutes ses conséquences, avec toutes ses preuves, y revenant sans cesse et la répétant sous toutes les formes. Mahomet est intarissable quand il parle du Dieu unique, du Dieu tout-puissant, du Dieu bon, qui veille sur l'homme, le protége dans ses afflictions, le console dans ses misères, et qui ne lui demande qu'une seule chose, à savoir, d'être soumis humblement à la main bienfaisante qui l'a créé et qui le fait vivre. Pour faire passer sa conviction dans les cœurs sourds auxquels il parle, il en appelle à tous les témoignages que la nature lui offre. «Il en jure par le soleil et sa clarté, par la lune quand elle le «< suit de près, par le jour quand il le laisse voir dans tout son éclat; il << en jure par l'aube du matin, par la nuit quand elle étend son voile, << par le ciel qui accomplit ses révolutions, par les astres nocturnes qui « brillent au firmament, par la terre qui fait germer les plantes, par le « territoire sacré de la Mecque, par le figuier et l'olivier, par le mont << Sinaï; il en jure par les coursiers haletants qui se frayent le chemin sanglant à travers les colonnes ennemies; il en jure par le kalam qui <«écrit tout, par le Coran, le livre révélé; il en jure aussi par l'âme de « l'homme capable de vice et de vertu, capable de rester pure ou de se «< corrompre 1. » Il n'y a qu'un seul Dieu, auquel l'idolâtre associe aveuglément des divinités impuissantes, envers qui l'homme, enivré par ses richesses et de vains plaisirs, est trop souvent ingrat, mais que les cœurs intelligents, les fidèles, doivent toujours adorer et toujours bénir. Puis il

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s'écrie :

«Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre chante les louanges « de Dieu; à lui appartient la puissance; à lui appartient la gloire; lui << seul peut tout. C'est lui qui vous a créés; tel parmi vous est infidèle ; << tel autre est croyant. Mais Dieu voit ce que vous faites. Il a créé les << cieux et la terre en toute vérité; il vous a formés, et vous retournerez <«< tous à lui. Il connaît tout ce qui se passe dans les cieux et sur la terre; « il connaît ce que vous cachez et ce que vous produisez au grand jour; << Dieu connaît ce que les cœurs renferment..... Aucun malheur << n'atteint l'homme sans la permission de Dieu. Dieu dirigera le cœur

1 Toutes ces adjurations diverses se retrouvent dans les différentes sourates, surtout dans les dernières, où Mahomet paraît affectionner plus spécialement cette forme de langage. Peut-être aussi ces sourates ne sont-elles que des fragments où s'essayaient les premières inspirations du Prophète. Ce ne sont pas les moins belles.

<< de celui qui croit en lui, car il voit tout. Craignez-le de toutes vos « forces; écoutez, obéissez et faites l'aumône dans votre propre intérêt. « Celui qui se tient en garde contre son avarice sera récompensé. Si « vous faites à Dieu un prêt généreux, il vous payera le double; il vous pardonnera, car il est reconnaissant et plein de longanimité. Il connaît «<les choses visibles et invisibles; il est le puissant et le sage 1. »

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Tel est le ton général du Coran; et il n'y a qu'à l'ouvrir au hasard pour y trouver des passages aussi beaux que ceux que nous venons de citer. On a dit que, sans David et sans Isaïe, Mahomet n'eût jamais trouvé de telles inspirations. Cette critique n'est juste qu'en partie; et, ce qu'on peut croire, c'est que Mahomet a puisé aux mêmes sources que les deux prophètes hébraïques, c'est-à-dire le spectacle de la même nature, la même notion du divin dans son propre cœur, la même révolte contre les croyances grossières dont il était entouré. Le prophète arabe n'a été, ni un plagiaire, ni un écho; il connaissait assez mal les monuments hébreux; et, si son âme n'eût pas été profondément émue, jamais il n'eût rencontré, en suivant les traces d'autrui, une expression aussi sublime et aussi sincère des sentiments qui l'exaltaient. Ce qui est vrai, c'est que, pour nous, ces idées n'ont rien de nouveau, et que nous en connaissons des exemplaires à la fois plus complets et plus vénérables. Mais l'Arabię ne les avait jamais entendues, et c'est Mahomet qui les lui apporta et les lui fit accepter.

A côté de l'unité de Dieu, premier dogme du mahométisme, le Coran en pose un second, conséquence nécessaire de celui-là: c'est la croyance à la vie future. Il l'affirme de toutes les manières, avec non moins d'énergie et de persistance. Au delà de la vie présente, l'homme devra rendre compte de ses actes et de ses pensées au Dieu qui l'a créé; et un jour viendra où la justice éternelle distribuera, dans sa miséricorde et sa rigueur, les châtiments et les récompenses. Je sais bien tout ce qu'on a dit contre le paradis de Mahomet, et je ne conteste pas que les houris ne puissent servir de texte à des sarcasmes plus ou moins spirituels 2. Mais, d'abord, elles tiennent dans le Coran beaucoup moins

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Ces extraits sont empruntés à la sourate LXIV. On peut trouver le même début el en partie les mêmes idées dans les sourates LVII, LIX, LXI et LXII, toutes données à Médine. Dans cette dernière, en particulier, après le verset consacré à la louange de Dieu, Mahomet ajoute : « C'est lui qui a suscité au milieu des hommes illettrés « un apôtre pris parmi eux, afin qu'il leur redît les miracles du Seigneur, qu'il les rendit plus purs, leur enseignât le Livre et la Sagesse, à eux qui étaient naguère dans un égarement manifeste. » — Ceci se rapporte particulièrement à Gibbon, Histoire de la décadence de l'Empire romain, chapitre L. Gibbon n'a pas pris Maho

de place qu'on ne le suppose d'ordinaire; et le paradis musulman s'y présente surtout sous la forme d'un jardin merveilleux, arrosé d'eaux fraîches et courantes, délices incomparables sous un climat desséché comme celui de l'Arabie. Cent fois Mahomet parle de la vie éternelle et du paradis, sans qu'il y soit question de vierges aux yeux noirs qui attendent les fidèles; et, quand il mentionne les houris, c'est en général avec une réserve et une sorte de pudeur qu'on ne soupçonnerait pas, si l'on ne s'en tenait qu'aux plaisanteries licencieuses de ses détracteurs 1.

En ceci, le tort de Mahomet est d'avoir voulu préciser les choses dans un sujet où il est interdit à la faiblesse humaine de voir aussi clair qu'elle le désire. Il devait se borner à affirmer la vie future avec la sanction des récompenses et des peines, et les relations nécessaires des âmes à l'être infini qui les a créées. La prudence de Socrate n'était pas allée au delà, et il eût été sage, au prophète aussi bien qu'au philosophe, de ne pas franchir ces limites. Mais Mahomet avait à persuader un peuple sensuel, dont l'imagination ardente exigeait de telles satisfactions; et lui-même il s'était abandonné au torrent des mœurs communes tout en les réformant. Cette faiblesse a coûté cher à l'Islâm; et elle a contribué beaucoup à lui donner cette place secondaire et équivoque qu'il occupe dans la civilisation du genre humain. Avec des croyances et des mœurs plus épurées, il eût été bien plus grand en lui-même et bien plus bienfaisant pour les autres. Mais quelles que fussent les conditions de la vie future, le point essentiel était d'inculquer cette foi inébranlable dans les âmes; et Mahomet y est parvenu, bien qu'on puisse d'ailleurs réprouver les moyens employés par lui. Le dogme de la vie future n'est pas moins répandu chez les musulmans qu'il peut l'être chez les chrétiens; et c'est au Coran qu'est dû cet immense progrès.

Du reste, Mahomet, ainsi que je l'ai déjà remarqué2, est fort modeste, et il ne se fait pas illusion sur l'originalité des idées qu'il apporte au monde. Il a le soin le plus constant et le plus sincère de toujours rattacher sa religion à celles qui l'ont précédée; et il s'appuie sans cesse

met au sérieux, et il s'est moqué du mahométisme comme des autres religions, tout en le défendant contre les altaques et les jalousies des moines. M. W. Muir, quoiqu'en blâmant le paradis musulman, a été plus juste. Il a montré que la doctrine de Mahomet, à cet égard, avait varié selon les époques de sa vie. (Voir The Life of Mahomet, t. II, p. 141 et suiv.) Voir Gibbon, loc. cit. Bayle avait cependant trèsbien défendu Mahomet sur son paradis réputé si sensuel. (Dictionnaire historique, article Mahomet, nole m.) ' Voir plus haut, le Journal des Savants, cahier d'octobre 1863, p. 643.

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sur les traditions et les livres des juifs et des chrétiens. Il est plein de respect, et, l'on pourrait même dire, de tendre admiration pour les uns et pour les autres. Il se plaît à énumérer longuement tous les prophètes qui l'ont précédé, et dont il vient compléter la mission. Ils ont été ses précurseurs nécessaires; mais il ne doit pas faire autrement qu'eux. Il tient aux peuples le langage qu'eux aussi leur ont tenu; il ne sera peutêtre pas plus heureux dans son apostolat, qui ne fera que continuer le leur; mais il se borne à la gloire de reproduire leurs enseignements méconnus. Pour lui, il n'est pas de personnages plus vénérés qu'Adam, Noé, Abraham, Moïse, David et Jésus-Christ. Il ne parle du Pentateuque, des Psaumes1 et de l'Évangile, qu'avec une véritable piété et une sorte d'onction. Ce sont les livres qui ont devancé et préparé le Coran. Loin de se cacher des emprunts qu'il leur fait, il s'en vante; et leur grandeur est le fondement de la sienne.

Pour Jésus, en particulier, Mahomet n'a que des louanges, qui ne font guère présager les luttes implacables qui surgirent plus tard entre l'islâm et le christianisme. Voici en quels termes s'exprime le prophète arabe, en mettant ses pensées dans la bouche même de Dieu, comme il en a l'habitude: «Nous avons envoyé Jésus, fils de Marie, accom«pagné de signes évidents, et nous l'avons fortifié par l'esprit de sain<< teté2. » Ailleurs, Mahomet est bien plus explicite, et il admet quelquesuns des dogmes principaux du christianisme : « Les anges dirent à Marie: -<< Dieu t'a choisie; il t'a rendue exempte de toute souillure; il t'a élue << parmi toutes les femmes de l'univers. Dieu t'annonce son Verbe; il se << nommera Jésus, fils de Marie, illustre dans ce monde et dans l'autre, << un des familiers de Dieu; car il parlera aux humains, enfant au ber<«< ceau et homme fait, et il sera du nombre des justes, Seigneur, ré«pondit Marie, comment aurais-je un fils? Aucun homme ne m'a tou«chée. C'est ainsi, reprit l'ange, que Dieu crée ce qu'il veut; il dit: «Sois, et la chose est. Il lui enseignera le Livre et la Sagesse, le Penta<< teuque et l'Evangile. Jésus sera son envoyé auprès des enfants d'Is«raël. Il leur dira: Je viens vers vous accompagné des signes du Sei«gneur; je formerai de boue la figure d'un oiseau, je soufflerai dessus, « et, par la permission de Dieu, l'oiseau sera vivant; je guérirai l'aveugle « de naissance et le lépreux; je ressusciterai les morts par la permission

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1 Coran, sourate 111°, verset 252. « Dieu a donné à David le Livre et la Sagesse; il lui apprit ce qu'il voulut. » Le livre de David, ce sont les Psaumes, que Mahomet regarde comme révélés, ainsi que le Pentateuque et l'Évangile; voir encore sourate iv, verset 161. Coran, sourate 111, verset 254.

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de Dieu; je vous dirai ce que vous aurez mangé et ce que vous aurez « caché dans vos maisons. Tous ces faits seront autant de signes pour «< vous, si vous êtes croyants. Je viens pour confirmer le Pentateuque «que vous avez reçu avant moi. Je vous permettrai l'usage de certaines <«< choses qui vous avaient été interdites. Je viens avec des signes de la << part de votre Seigneur. Craignez-le et obéissez-moi. Il est mon Seigneur « et le vôtre; adorez-le; c'est le sentier droit1. »

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Mahomet connaissait fort mal les livres qu'il citait avec tant de déférence; et ce qu'il en dit paraît tiré de traditions incertaines et dénaturées plutôt que des monuments eux-mêmes; mais ce respect l'a sans doute conduit à cet esprit de tolérance dont on trouve, non sans surprise, des preuves assez nombreuses dans le Coran. Il dit expressément dans une des sourates les plus importantes : « Certainement ceux qui <«< croient, et ceux qui suivent la religion juive, les chrétiens et les << sabéens2, c'est-à-dire quiconque croit en Dieu et au jour dernier, et « aura fait le bien, tous ceux-là recevront une récompense de leur Sei<< gneur. La crainte ne descendra point sur eux et ils ne seront pas af«<fligés3. » Un peu plus bas, dans la même sourate, il répète la même doctrine d'une manière encore plus nette et plus concise: «Point de <«< contrainte en religion. La vraie route se distingue assez de l'erreur. <«< Celui qui ne croira point aux idoles et qui croira en Dieu aura saisi << une anse solide qui ne rompra pas. Dieu entend et connaît tout“. » Sans doute cet esprit de modération et de magnanimité qui tolère les autres cultes n'a pas prévalu dans l'islamisme; mais il est dans le Coran, qui n'est impitoyable que pour les idolâtres; et c'est la barbarie des mœurs et le fanatisme naturel à ces populations belliqueuses, bien plus

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Coran, sourate III, versets 37 et suivants; et sourate v', verset 110, traduction de M. Kasimirski; c'est peut-être le plus long passage et le plus explicite qu'on trouve dans le Coran sur Jésus. On voit que le Coran admet la conception surnaturelle du Christ et ses miracles. Dans les versets suivants, Mahomet prend parti pour Jésus contre les juifs; et il le défend encore, sourate ivo, versets 155 et suivants. Voir aussi sourate In, verset 78, et sourate iv, verset 169. M. Kasimirski fait remarquer avec raison qu'il s'agit ici d'une secte chrétienne appelée sabéens ou sabéiles, et non des Sabéens ordinaires, qui sont adorateurs du feu et idolâtres. Coran, sourate 11, verset 59. Ce versel est encore répété mot pour mot, sourate v, verset 73. Les docteurs musulmans, peu amis de la tolérance, prétendent que ce verset est abrogé par le verset 79, sourate 111*; ce dernier exige bien, en effet, la foi à l'islâm pour être sauvé; mais, comme, au verset précédent, Mahomet vient de dire qu'Abraham, Ismaël, Jacob, Moise et Jésus, sont musulmans, on peut croire que l'argument des commentateurs n'est pas très-solide. Coran, sourate 11°, versel 257.

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