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que la doctrine du Prophète, qui ont poussé les musulmans à l'extermination et au pillage des infidèles. Le Prophète était conséquent avec lui-même en respectant ceux qui obéissaient aux lois de ses prédécesseurs si honorés par lui, et je crois n'être que juste envers Mahomet en disant que sa réelle pensée, à l'égard des chrétiens et des juifs, est dans les versets tels que celui-ci : « N'engagez des controverses envers les << hommes des Écritures que de la manière la plus honnête, à moins «< que ce ne soit des hommes méchants. Dites-leur : Nous croyons aux <«< livres qui nous ont été envoyés, ainsi qu'à ceux qui vous ont été envoyés. Notre Dieu et le vôtre est le même1, et nous nous résignons << entièrement à sa volonté2. >>

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Ces préceptes sont en contradiction avec l'histoire de l'islamisme, et avec bien des actes de Mahomet, qui s'est montré si terrible envers les juifs. C'est que la politique avait ses exigences et ses entraînements; Mahomet y a sacrifié; mais l'opposition était presque tout entière dans les intérêts et non dans les doctrines, qui se ressemblaient jusqu'au point de se confondre souvent.

Du reste le Coran n'est pas seulement un livre religieux, c'est, de plus, un code d'où l'islamisme a essayé de tirer plus ou moins directement toutes ses lois civiles. Il n'y a pas de peine à voir, en lisant ces récitations désordonnées, que jamais Mahomet n'a pu avoir l'intention d'en faire un code. Ce sont tout au plus des préceptes de conduite qu'il donne, soit aux individus, soit aux familles; ce ne sont pas des lois qu'il édicte. Mais la vénération dont sa personne était entourée était si grande, , que ses moindres paroles ont eu autant de force que les décrets les plus solennels des monarques les plus puissants et les plus sages. Habitués comme nous le sommes à la régularité méthodique des recueils de lois depuis les temps de l'empire romain, il nous est impossible de retrouver rien qui ressemble à une codification dans ce mélange confus d'invocations à Dieu, de maximes de morale, de légendes, d'allusions historiques, d'exhortations, de menaces, de sublimes prières, au milieu desquelles apparaissent de loin à loin quelques prescriptions

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Dans un passage très-curieux, où Mahomet place Dieu et Jésus-Christ en présence, Dieu dit à Jésus : « As-tu jamais dit aux hommes: Prenez pour Dieu moi et ma mère à côté du Dieu unique? Par ta gloire, non; comment aurais-je pu dire ce qui n'est pas vrai? Si je l'avais dit, ne le saurais-tu pas ? Tu sais ce qui est au fond de mon âme, et moi j'ignore ce qui est au fond de la tienne; car toi << seul connais les choses secrètes.» (Coran, sourate vo, verset 116.) Ainsi, dans la pensée de Mahomet, Jésus-Christ avait aussi proclamé l'unité de Dieu. - Coran, sourate XXIX, verset 45.

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qui peuvent avoir, en effet, un caractère législatif. C'est là certainement le côté faible du Coran, et Mahomet aurait échoué déplorablement, s'il avait eu le projet réel de porter des lois. Mais il a fallu des circonstances bien extraordinaires pour que jamais le Coran ait pu se transformer de cette façon étrange. Ce n'est pas le Prophète qui doit en répondre; ce sont les peuples auxquels il s'adressait, et qui devaient être bien au dépourvu pour que cette législation pût leur suffire et même leur être bienfaisante.

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On frémit quand on lit dans le Coran des prescriptions telles que celles-ci: «Il vous est interdit d'épouser vos mères, vos filles, vos « sœurs, vos tantes paternelles et maternelles, vos nièces, vos nourrices, « vos sœurs de lait, les mères de vos femmes, les filles confiées à votre <<< tutelle et issues de femmes avec lesquelles vous auriez cohabité. N'é<< pousez pas non plus les filles de vos fils que vous avez engendrés, ni « deux sœurs. Il vous est défendu d'épouser des femmes mariées, excepté «< celles qui seraient tombées entre vos mains comme esclaves1. » Il est vrai que ces mœurs abominables, qui ravalent l'homme au niveau des brutes, n'étaient pas spéciales aux Arabes; et le Lévitique2 est forcé de faire à peu près les mêmes défenses aux Hébreux; mais le Lévitique est antérieur au Coran de plus de deux mille ans, et Mahomet avait à lutter contre les mêmes infamies sociales que Moïse. L'Arabie n'avait pas fait un progrès depuis le temps des patriarches; et c'est encore Mahomet qui devait enfin abolir, à son grand honneur, cet effroyable usage d'enterrer les petites filles toutes vivantes3. A quel degré n'étaient pas abaissées ces populations plus bestiales qu'humaines? Et quelle reconnaissance ne doit-on pas à celui qui essayait de les tirer de cet abîme d'abjection et de turpitude"?

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1 Coran, sourale iv, versets 27 et suivants. Cette sourate iv est intitulée : Les femmes. Voir le Lévitique, chap. xvIII, versets 7 et suivants. 3 On connaît le dialogue de Cays, chef des Benou-Témim, et de Mahomet, un jour que Cays trouva le Prophète tenant une de ses filles sur ses genoux. Qu'est-ce que cette « brebis que tu flaires ? demanda Cays. C'est mon enfant, répondit Mahomet.«Par Dieu, reprit Cays, j'en ai eu beaucoup de petites filles comme celle-là ; je les ai toutes enterrées vivantes sans en flairer aucune. Malheureux, s'écria Ma<< homet, il faut que Dieu ait privé ton cœur de tout sentiment d'humanité; tu ne « connais pas les plus douces jouissances qu'il soit donné à l'homme d'éprouver! (Voir M. Caussin de Perceval, Essai sur l'histoire des Arabes, t. III, p. 336.)

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Je crois qu'en se mettant à ce point de vue, on concevra d'autant plus d'admiration pour Mahomet. Si on le compare à d'autres fondateurs de religion, sa gloire pâlit presque jusqu'à disparaître; mais, si l'on regarde le point de départ et le milieu, son personnage regagne alors tout ce que la comparaison lui avait fait

J'avoue d'ailleurs que, sur ces matières, le langage de Mahomet n'a pas toujours la délicatesse d'expressions et la réserve de forme qu'il aurait dû conserver. Il est vrai que, quand on doit signaler et flétrir de tels crimes, les mots mêmes dont on se sert contractent nécessairement quelque chose des impudicités qu'ils révèlent; mais peut-être eût-il été assez facile au Prophète d'éviter certains détails repoussants qui n'étaient pas indispensables. La manière dont souvent il parle des femmes est d'un cynisme qui révolterait, s'il était moins naïf. C'est le ton ordinaire de ces populations; et, parmi elles, les personnages les plus vénérables n'ont pas plus de retenue. Un dévot musulman pourrait aussi, par manière de représailles et d'apologie, renvoyer les chrétiens à bien des passages de la Bible qui ne sont pas plus chastes que le Coran 1. Mais le Prophète, qui entreprenait des réformes bien autrement difficiles, aurait pu donner l'exemple de celle-là. Fuir la grossièreté de la forme, c'est une réprobation de plus contre la grossièreté du vice qu'on veut réformer. Tout ce qu'on peut dire pour justifier Mahomet, c'est que le monde auquel il s'adressait n'était pas le monde chrétien; et ce n'est guère que dans notre Occident que le langage humain a su, dans de tels sujets, garder toute sa force sans rien perdre de sa pudeur. L'époux de Khadîdja pouvait trouver cette exacte mesure; mais elle était peut-être interdite au mari de douze ou quinze femmes, âgées de dix à cinquante ans.

M. W. Muir pense que Mahomet a encore abaissé les femmes, déjà réduites à une bien triste condition 2; M. Caussin de Perceval, au contraire, trouve qu'il les a relevées 3. Je suis de l'avis de M. Caussin de Perceval, quand je me rappelle le serment d'Acaba; et, en voyant les traces des mœurs anciennes dans le Coran, je n'hésite pas à supposer que ces mœurs perverses et farouches laissaient encore bien moins de dignité et de droits aux compagnes infortunées des Arabes. Sans doute, les femmes sont bien peu de chose dans la loi musulmane; mais ce qui nous frappe le plus dans cette misère, c'est le contraste désavantageux qu'elles font avec les matrones grecques et romaines, et surtout avec les femmes chrétiennes; elles sont tellement inférieures, qu'elles en sont comme anéanties. Mais le passage que je viens de citer, fortifié par

perdre. Il faut dire que, dans la Bible, ces licences ne font pas le même effet que dans le Coran; elles n'y sont pas moins vives; mais elles se perdent au milieu de la majesté de tout ce qui les entoure.-M. W. Muir, The Life of Mahomet, t. III, p. 302 et suiv. M. Caussin de Perceval, Essai sur l'histoire des Arabes, t. III, p. 336. (Voir aussi l'ouvrage spécial de M. le docteur Perron, Femmes arabes avant et depuis l'islamisme.)

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tant d'autres, prouve assez que les femmes sont infiniment redevables à celui qui les a soustraites à l'inceste et à ces abominations sans nom, dont l'idée seule nous fait frissonner de dégoût et d'horreur. Si elles ont encore beaucoup à reprocher à Mahomet, elles lui doivent au moins d'être restées les mères de leurs fils et les filles de leurs pères. Oui, le Coran a bien peu de respect pour la femme; mais il en a plus encore que tout ce qui l'a précédé. C'est la polygamie qui déshonore et qui ruine ces malheureuses sociétés dans l'Asie presque entière; le Coran aurait dû l'abolir, au lieu de la sanctionner. Mais, ici encore, il a le mérite de l'avoir limitée, s'il n'a pas osé la détruire. Au contact du judaïsme et du christianisme, il eût été beau pour l'islâm de faire une exception de plus dans le reste de l'Asie. Il a pu proscrire à jamais l'ivresse du vin 1; il aurait pu combattre mieux qu'il ne l'a fait l'ivresse des sens, qui est bien autrement redoutable.

Une critique contre laquelle il est plus aisé de défendre le Coran, c'est celle qu'on adresse encore assez souvent à son fatalisme. Malgré cette erreur très-répandue, il n'y a rien dans la vie du Prophète, non plus que dans son livre, qui la justifie. Nous avons pu voir par l'esquisse du caractère de Mahomet, son infatigable activité et cette confiance qu'il ne cesse d'avoir en lui-même. Sa confiance en Dieu n'est pas moins sincère ni moins vive; mais elle reste dans de justes bornes, et elle ne va jamais à cet aveuglement que le fatalisme suppose. Le Coran recommande aux fidèles d'être soumis absolument à la volonté de Dieu; et cette soumission, que la raison la plus éclairée et la plus pratique recommande aussi bien que le Coran, mérite aux musulmans le nom même qu'ils portent, et dont ils se glorifient. Mais jamais, dans les préceptes ou dans les exemples donnés par le Prophète, elle n'est une abdication des plus nobles facultés de l'âme. Le fatalisme, tel qu'on l'imagine, n'est qu'une paresse insurmontable et une stupidité nées de la débauche; c'est une impossibilité physique d'agir bien plutôt qu'une doctrine, et, en tout cas, ce n'est pas le Coran qui l'autorise. L'islâm, tel qu'il l'entend, n'est pas autre chose que le sentiment profond que l'homme conçoit de sa faiblesse devant le Dieu tout-puissant et miséri

'Parmi les bienfaits du mahométisme, M. W. Muir, qui lui est d'ailleurs peu favorable, compte la sobriété étonnante qu'il a su imposer à ses sectaires. Les bois« sons enivrantes ont été défendues; et l'islâm peut se vanter d'un degré de tempé«rance inconnu à toute autre religion.» (Voir M. W. Muir, t. IV, p. 321.) L'éloge est vrai; mais j'avoue que ce mérite, tout réel qu'il est, me touche peu, parce qu'on ne voit pas que l'ivrognerie ait, avant Mahomet, causé beaucoup de désordre parmi les Arabes.

cordieux; ce n'est pas un coupable renoncement au don le plus beau que le Créateur nous ait fait, celui de notre libre arbitre. Le Coran a bien assez de taches sans lui attribuer gratuitement celle-là qu'il n'a pas. M. Weil et M. A. Sprenger s'accordent pour reconnaître qu'il n'est point fataliste, et il faut le répéter avec eux, en dépit du préjugé vulgaire.

Je ne nie pas que le fatalisme ne soit peut-être répandu dans les populations mahométanes; mais ce n'est pas leur livre religieux qui le leur impose; et cet énervement de la volonté tient à bien d'autres causes. On peut douter, d'ailleurs, que le fatalisme aille aussi loin qu'on le dit, même dans ces âmes flétries; et, pour la réalité des choses de chaque jour, le fatalisme absolu n'est pas plus possible que l'absolu scepticisme, dont peuvent bien se vanter quelques sophistes, mais que l'homme est incapable d'appliquer rigoureusement même durant quelques heures.

Il est une dernière lacune qu'il faut signaler dans le Coran, et qui n'est pas une des moins graves je veux parler du défaut complet de toute métaphysique. Mais cette lacune-là tient beaucoup moins à Mahomet personnellement qu'elle ne tient à l'esprit de toute la race arabe, et l'on peut même dire de toute la race sémitique. Sans doute les livres religieux ne sont pas des traités de philosophie, et il serait injuste de leur demander plus qu'ils ne prétendent et qu'ils ne doivent donner. Mais, sans faire directement de métaphysique, il peut échapper à ces grandes intelligences quelques éclairs sur les questions profondes que se pose le genre humain, quand il réfléchit à la nature de Dieu et à la nature de notre âme. Ces lueurs, quelque fugitives qu'elles soient dans le foyer original, se développent ensuite, et forment la théologie, qui est comme la philosophie et la métaphysique des religions. Le christianisme nous en offre un admirable exemple; et il a tiré peu à peu une théologie incomparable des germes que renfermaient ses livres saints. L'islâm n'a pas été à beaucoup près aussi fécond, et, quoique ce demi-avortement puisse tenir à bien d'autres causes, la principale c'est que le Coran lui-même était absolument stérile, et qu'il n'a pas fourni aux siècles postérieurs des éléments qu'ils pussent féconder. Dans l'âme de Mahomet, comme dans l'esprit de ces peuples, l'inspiration a été si brûlante, qu'elle a tout étouffé; et une spontanéité irrésistible et constante a empêché de naître

1 M. Gustave Weil, Mohammed der Prophet, p. 399, et M. A. Sprenger, Das Leben und die Lehre des Mohammad, t. II, p. 308.

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