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dèrent sans interruption, et l'heureuse découverte de conspirations réelles ou imaginaires, ourdies contre la vie du prince, était célébrée jusque dans les provinces les plus éloignées par de nombreux monuments. Sur celui de Sicca, après les titres de Septime-Sévère, de Caracalla et de l'impératrice Julie, on a gravé ces mots (p. 62): OB CONSERVATAM EORVM SALVTEM DETECTIS INSIDIIS HOSTIVM PVBLICORVM. Au nombre de ces ennemis il fallait sans doute, quelques années plus tard, ajouter le second fils de Sévère, Géta, tué par son frère; aussi le nom de Géta, qu'on lisait sur la pierre après celui de Caracalla, a-t-il été effacé avec soin.

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A une petite journée de Sicca, M. Guérin atteignit une ville romaine dont une inscription lui donna le nom véritable: COLONIA · AELIA AVGusta·LARES (p. 73). Par une erreur étrange, Procope, écrivain grec élégant, mais médiocrement versé, à ce qu'il paraît, dans la flexion des noms latins, a pris Laribus pour un nominatif singulier; il décline Λάριβος, Λαρίβου 1, forme qui semble avoir prévalu depuis, car c'est évidemment d'elle que dérive le nom actuel de Lorbès. Des vallées profondes, des forêts et des murs que Justinien avait fait relever défendaient Larès, comme nous l'apprend Corippus, ce poëte contemporain que nous avons déjà eu l'occasion de citer 2. Cette enceinte fortifiée est encore en partie debout. Le patrice Jean y rallia son armée, qui se retirait en toute hâte devant les Maures idolâtres mais victorieux. Le courage et la subordination, qualités essentielles à la guerre, manquaient aux soldats de Jean; cependant son obscur et verbeux panégyriste assure qu'à partir de son séjour à Larès, la Providence, exauçant les prières ferventes du général éploré, fut favorable aux armes romaines :

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Hic Pater omnipotens, lacrimas et verba dolentis
Suscipiens, Latias voluit revalescere vires.

(Joannéide, VI, 107-8.)

L'ouvrage de Mannert 3 est un vaste monument étayé d'érudition

ριξον.

De bello Vand. II, xxi, vol. 1, p. 308, 1. 2, ἐν τῇ πόλει Λαρίβῳ; 1. 13, ἐς Λά

* Urbs Laribus mediis surgit tutissima silvis

Et muris munita novis, quos condidit ipse
Justinianus apex.

(Joannéide, VI, 143–145.)

3

Voyez aussi notre premier article, cahier de juin, p. 338. — Geographie der

positive; tout ce qui se trouve épars dans les auteurs anciens sur des objets qui peuvent intéresser la géographie comparée y est rassemblé avec soin et souvent discuté avec une critique judicieuse. Mais quant à l'intérieur de l'Afrique septentrionale, les cartes dont Mannert pouvait disposer n'offraient, vers la fin du siècle dernier, que des points mal déterminés et des tracés informes; aussi ce savant, se guidant principalement sur les distances données par les itinéraires anciens, est-il tombé quelquefois dans d'étranges erreurs. Il nie l'existence de la ville de Bisica Lucana 1; il n'admet point 2 qu'El-Kef puisse être Sicca Veneria, identité soupçonnée déjà par Shaw et prouvée par M. Guérin; enfin il pense qu'El-Kef représente l'ancienne Assura. Mais c'est aux ruines considérables de Zanfour, au sud-est de Lorbès, que notre voyageur a copié et habilement restitué (p. 90) une inscription en l'honneur de Septime-Sévère et de Caracalla: OPTIMO MAXIMOQVE PRINCIPI; elle montre que ces ruines sont celles de la COLonia IVLIA ASSVRAS, cité jadis importante, puisque M. Guérin y reconnut les restes de trois portes triomphales, d'un temple, d'un théâtre et de plusieurs mausolées.

Musti, aujourd'hui Mest, est la ville près de laquelle, lors de la première guerre punique, un serpent d'une grandeur prodigieuse empêcha l'armée de Régulus d'approcher du Bagrada pour y puiser de l'cau; il fallut, dit-on, des machines de guerre pour écraser ce monstre, qui, selon Valère-Maxime 3, semblait aux légions plus terrible que Carthage même. Aujourd'hui de grands serpents se montrent encore quelquefois aux environs de Mest, mais ils ne sont rien en comparaison du reptile fabuleux dont nous venons de parler. Le seul nom de la mer Punique avait fait trembler d'épouvante les soldats de Régulus ; plus éclairé et plus courageux qu'eux, M. Guérin explora pendant deux jours les bords maintenant presque déserts du Bagrada, et, sur les débris d'un bel arc de triomphe, il lut le mot ethnique MVSTITANIS (p. 101), preuve incontestable de l'identité de Musti et de Mest.

Il fut, à certains égards, moins heureux à Dougga, où il arriva le

P.

Griechen und Römer, aus den Quellen bearbeitet. Nuremberg et Leipzig, 10 vol. in-8°. — ' Vol. X, part. II, 324. .2 P. 323. 3 Omnibusque et cohortibus et legionibus ipsa Carthagine visam terribiliorem. (I, VIII, 19.) La peau du serpent, envoyée à Rome, était longue de cent vingt pieds. Valère-Maxime prétend avoir tiré d'un livre de Tite-Live, aujourd'hui perdu, ces détails plus propres à figurer dans un roman de chevalerie du moyen âge, qu'à trouver place dans une histoire écrite au siècle d'Auguste. Nec deerant qui ipso Punici maris nomine ac terrore deficerent. (Florus, II, II, 17.)

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20 juin. Dans notre premier article nous avons parlé de la célèbre inscription bilingue, punique et libyque, découverte dans les vastes ruines de la colonie romaine de Thugga, inscription dont une copie a eu le privilége d'exercer la sagacité des plus savants orientalistes de l'Europe. Mais cette copie, due aux soins de sir Grenville Temple 2, reproduisait-elle avec toute l'exactitude désirable un monument épigraphique unique dans son genre? Un archéologue illustre, qui ne cesse d'enrichir la science et d'encourager les lettres par la généreuse protection qu'il leur accorde, par le goût éclairé avec lequel il les cultive et par ses propres travaux, M. le duc de Luynes, résolut de faire cesser les doutes qui s'étaient manifestés. Il chargea M. Guérin de se rendre en Tunisie, d'examiner attentivement l'inscription, d'en rapporter une copie exécutée avec la fidélité la plus scrupuleuse; et il fournit aux frais du voyage avec sa munificence ordinaire. Malheureusement, lorsque notre jeune épigraphiste arriva à Dougga, l'inscription avait disparu. Elle était gravée sur un magnifique mausolée aux trois quarts intact, il y a une vingtaine d'années, mais détruit en partie depuis cette époque. Sir Thomas Reade, alors consul général d'Angleterre à Tunis, désirait emporter ce mémorable document épigraphique, et, comme celui-ci se trouvait sur un énorme bloc engagé dans la façade orientale de l'édifice, il fallut d'abord détacher ce bloc et ensuite le faire scier en tablettes pour rendre l'inscription transportable. Par malheur, les Arabes chargés de cette opération barbare s'y prirent si mal, qu'aujourd'hui le mausolée n'est presque plus qu'un monceau de débris gigantesques; toutefois l'inscription elle-même a pu être sauvée et se trouve actuellement au Musée britannique, à Londres. M. Samuel Birch, l'un des conservateurs de cet établissement, s'est empressé d'en envoyer l'estampage à M. le duc de Luynes, et celui-ci en a fait graver la copie réduite à 16/100 de l'original. L'inscription punique forme sept lignes assez bien conservées; l'inscription libyque en avait autant, mais elle offre de grandes lacunes. La planche jointe au volume qui nous occupe (p. 122) a été exécutée avec le soin le plus minutieux; c'est maintenant aux orientalistes, comparant les deux textes, dont l'un semble être la traduction de l'autre, d'en tirer toutes les conclusions que l'on peut en déduire.

M. Guérin séjourna quatre jours à Dougga. Il y recueillit de nombreuses inscriptions latines, parmi lesquelles nous en avons remarqué une (p. 123) qui donne les noms complets et pour ainsi dire officiels de la

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respublica colonia Licinie Septimia Aurelie Alexandriane Thuggensium. Puis, marchant dans la direction du nord-est, notre voyageur continua ses explorations en suivant le cours du Bagrada. Il visita les villes romaines d'Agdia (Hedjah), Thignica (Aïn-Tunga), Bisica Lucana (Tastour), Vallis (Sidi-Médian) 1, Thuburbo minus (Tebourba). On sent bien que je dois m'en tenir à cette indication rapide; j'extrairai cependant du journal de M. Guérin deux faits qui me semblent avoir un intérêt particulier :

A Hedjah (p. 145), il parvint à déchiffrer une longue inscription qui, avant lui, n'avait été lue qu'en partie. Elle nous apprend que, sous le règne d'Antonin le Pieux, Cincius Victor releva un portique tombant de vétusté: PORTICVM TEMPLI CERERVM VETVSTATE CONSVMPTAM A SOLO RESTITVIT. Ce nom de Cérès au pluriel peut paraître assez surprenant, mais notre épigraphiste rappelle fort à propos que Proserpine est appelée quelquefois la Cérès des enfers, Anunnp xlovín, et que probablement le temple d'Agdia était dédié aux deux déesses, l'une habitant le ciel, l'autre les enfers. On sait, d'ailleurs, que le polythéisme ancien associait ces deux divinités, la mère et la fille, invoquées par les femmes grecques dans les locutions consacrées νὴ τώ θεώ, μὰ τω Θεώ 2.

On ne doit pas non plus s'étonner que, dans une inscription estampée par M. Guérin à Vallis (Sidi-Médian), Constantin le Grand, converti déjà au christianisme, prenne néanmoins le titre de grand pontife, PONTIFICI MAXIMO (p. 177). Ce prince habile avait à ménager un nombre considérable de ses sujets, dont les sentiments religieux, il est vrai, étaient variés, vagues, incertains, mais qui cependant ne se sentaient nullement disposés à rompre les liens de l'éducation et de l'habitude. Il retint donc une dignité fort respectable à leurs yeux, et ses successeurs imitèrent son exemple jusqu'à Gratien, qui, vers 382, rejeta ce titre d'adorateur des faux dieux et refusa la robe de grand pontife que les prêtres lui apportèrent. Un historien superstitieux a recueilli l'équivoque assez puérile par laquelle un de ces prêtres se vengea de ce qu'il regardait comme un outrage fait aux institutions religieuses de sa patrie 3.

'L'identité de la colonie romaine de Vallis et des ruines de Sidi-Médian est maintenant invinciblement démontrée. Elle avait été déjà soupçonnée par M. Tissot, vice-consul de France à Tunis. (Voyez sa lettre adressée à M. Cherbonneau et publiée dans l'Annuaire de la société archéologique de la province de Constantine, année 1855, p. 93.) — ' Μὰ τὰ Θεὼ, γυναικεῖος ὅρκος· δυικῶς δὲ ὀμνύουσι τὴν Κόρην καὶ Thν Anuntρav. — Un usurpateur, Maxime, menaçant alors le pouvoir ébranlé de τὴν Δήμητραν.

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M. Guérin rentra à Tunis, le 4 juillet 1860, après avoir exploré la vallée du Bagrada; mais il n'avait pas encore visité la partie occidentale de l'ancienne Zeugitane, formant une péninsule qui sépare le golfe de Carthage de celui de Néapolis; elle se termine par le cap Bon, anciennement promontoire de Mercure. Les monuments de cette presqu'île avaient été déjà examinés par des voyageurs et des archéologues distingués, par Shaw, Desfontaines, sir Grenville Temple, MM. Pellissier et Berbrugger. Néanmoins M. Guérin se décida à suivre leurs traces et à compléter, s'il était possible, les notions dont ils ont enrichi la géographie et l'histoire. Son espérance ne fut point trompée. Après quelques jours de repos passés à Tunis, il se remit en route le 13 juillet, et c'est dans la troisième partie de son ouvrage (p. 195-270) qu'il a consigné les résultats obtenus par cette nouvelle excursion. Nous allons faire connaître quelques-uns de ces résultats sans craindre de fatiguer nos lecteurs par une énumération minutieuse. Elle prouvera que M. Guérin possède le talent d'observation; ce talent, destiné à éclaircir les détails des sciences positives, est peut-être plus nécessaire à leurs progrès que le génie même qui s'égare quelquefois dans les routes nouvelles qu'il a osé se frayer.

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Ce sont encore des inscriptions recherchées avec persévérance par notre voyageur qui, pendant cette troisième excursion, lui ont permis de fixer, d'une manière péremptoire, la position de plusieurs villes anciennes. Elles lui ont révélé le véritable emplacement de Missua (Daoud-Noubi, p. 219); elles lui ont appris que ce n'est pas à Hammamet, comme le croyait Mannert 1, mais à trois lieues plus au nord, au village de Souk-el-Abyâd, qu'il faut chercher la Putput de l'Itinéraire d'Autonin (p. 261). Un bloc ayant servi de piédestal à une statue de l'impératrice Salonine, femme de Gallien, lui permit de déterminer la position de la ville de Vina, qu'on n'avait point encore retrouvée; notre infatigable voyageur y déchiffra les mots MVNICipium AVRELIA VINA DEVOTa NVMINI MAIESTATIQVE EIVS (p. 264). Enfin aux environs de Kourba, l'ancienne Curubis, il estampa une inscription qui semble dater du règne de Caligula et de l'an 39 de notre ère; ce serait alors l'un des plus anciens monuments d'épigraphie latine recueillis jusqu'à présent en Tunisie. Signes imperceptibles mais infaillibles de l'augmentation et des progrès de la popu

Gratien, le chef de la députation des prètres dit : Εἰ μὴ βούλεται ποντίφηξ ὁ βασι λεὺς ὀνομάζεσθαι, τάχιστα γενήσεται ποντίφης Μάξιμος. (Zosime, IV, XXXVI.) 1 Vol. X, part. II, p. 247.

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