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VINGT-CINQUIÈME FAUTEUIL

CHATEAUBRIAND, ETC.

Lorsque le voyageur approche d'une grande cité, de la capitale d'un vaste royaume, il redouble de vitesse, et, désireux de toucher au but, il dédaigne de jeter même un regard sur les objets qui l'environnent; ce sont des monuments cependant qui ont leur beauté et leur valeur; n'importe! il passe sans détourner la tête, il court, il arrive!... Faisons ainsi, cher lecteur; le vingt-cinquième Fauteuil nous offre plusieurs noms célèbres; mais il en possède un qui les domine tous, et ce nom c'est Chateaubriand.

Chateaubriand! Les échos des solitudes savent ce nom; des forêts vierges de l'Amérique aux rochers sacrés de Sion, de l'Amazone au Jourdain, de l'Himalaya au Liban, ce nom a volé. Mais, s'il a retenti

dans toutes les parties du monde, il a surtout occupé l'Europe, ce cerveau du globe!

Mettons de l'ordre dans notre admiration. Peu de livres ont produit une émotion aussi profonde, aussi universelle que le Génie du Christianisme : c'est qu'il avait pour lui, outre l'éclat du style, deux mérites bien rares l'à-propos et l'originalité.

Quand il parut, la France cherchait à se dégager des ruines amoncelées sur son sol; les âmes, longtemps opprimées, aspiraient à la vie renaissante; il y avait dégoût, lassitude, épouvante en présence du vide affreux causé par une longue anarchie. Le xvII° siècle avait épuisé son œuvre de destruction, même sur la littérature et sur les arts, et le public attendait avec anxiété une idée nouvelle et réparatrice. Chateaubriand comprit qu'à des esprits énervés par l'habitude du sophisme il ne fallait pas offrir un aliment trop substantiel. Il jugea avec raison qu'il fallait s'adresser d'abord à l'imagination et à l'âme, ranimer la séve poétique refroidie, montrer la beauté de la religion avant d'en proposer la vérité, et l'entourer de tous les prestiges de l'art, des souvenirs, des passions épurées par la douleur, de l'histoire présentée sous un jour nouveau, de la nature peinte avec des couleurs plus vives. C'était le seul moyen de ramener au moins quelques sentiments vagues dans les profondeurs des consciences, afin que la raison, venant ensuite, trouvât des cœurs plus ouverts et des préventions moins hostiles.

Il réunit donc tout ce qu'il y a de plus doux détails, de plus touchants symboles dans le culte, dans la morale et dans les institutions du catholicisme, en sachant y mêler toutefois des considérations sérieuses et solides; et la splendeur des tableaux, la nouveauté de certaines idées sur l'esthétique chrétienne comparée à l'esthétique des anciens, les vastes paysages du NouveauMonde, le rôle merveilleux de ces Orphées de la religion qui attiraient autour d'eux les sauvages par la musique et par les cérémonies, la féerique évocation du moyen âge, enfin d'éloquentes lamentations sur les ruines, tout cela produisit un effet extraordinaire. L'auteur suivait l'impulsion naturelle de son talent singulièrement approprié à son temps, à son sujet et à son but. Lorsqu'il retrace les harmonies de la nature on sent l'influence de Bernardin de Saint-Pierre, mais sur un esprit plus positivement chrétien; on y trouve une tout autre grandeur, un tout autre éclat. Qui ne se souvient, à tout âge, d'avoir été ému profondément à la lecture de ce morceau d'un mouvement si noble, où le lyrisme précède la métaphysique :

<< Il est un Dieu! Les herbes de la vallée et les cèdres de la montagne le bénissent, l'insecte bourdonne ses louanges, l'éléphant le salue au lever du jour, l'oiseau le chante dans le feuillage, la foudre fait éclater sa puissance, et l'Océan déclare son immensité. L'homme seul a dit : Il n'y a point de Dieu.

« Il n'a donc jamais, celui-là, dans ses infortunes, levé les yeux vers le ciel, ou, dans son bonheur, abaissé ses regards vers la terre? La nature est-elle si loin de lui qu'il ne l'ait pu

contempler, ou la croit-il le simple résultat du hasard? Mais quel hasard a pu contraindre une matière désordonnée et rebelle à s'arranger dans un ordre si parfait? »

C'est Chateaubriand qui a ouvert ces grandes perspectives de la nature, inconnues à nos anciens écrivains :

a

Il nous arrivait souvent de nous lever au milieu de la nuit et d'aller nous asseoir sur le pont, où nous ne trouvions que l'officier de quart et quelques matelots qui fumaient leur pipe en silence. Pour tout bruit on entendait le froissement de la proue sur les flots, tandis que les étincelles de feu couraient avec une blanche écume le long des flancs du navire. Dieu des chrétiens! c'est surtout dans les eaux de l'abime et dans les profondeurs des cieux que tu as gravé bien fortement les traits de ta toutepuissance. Des millions d'étoiles rayonnent dans le sombre azur du dôme céleste, la lune au milieu du firmament, une mer sans rivage, l'infini dans le ciel et sur les flots! Jamais tu ne m'as plus troublé de ta grandeur que dans ces nuits où, suspendu entre les astres et l'Océan, j'avais l'immensité sur ma tête et l'immensité sous mes pieds! »

Et ce tableau des vieilles abbayes ruinées de l'É

cosse :

« Il n'est aucune ruine d'un effet plus pittoresque que ces débris: sous un ciel nébuleux, au milieu des vents et des tempêtes, au bord de cette mer dont Ossian a chanté les orages, leur architecture gothique a quelque chose de grand et de sombre comme le Dieu du Sinaï. Assis sur un autel brisé, dans les Orcades, le voyageur s'étonne de la tristesse de ces lieux; un océan sauvage, des syrtes embrumées, des vallées où s'élève la pierre d'un tombeau, des torrents qui coulent à travers la bruyère, quelques pins rougeâtres jetés sur la nudité d'un

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