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CHAPITRE PREMIER.

Ministère Polignac. - Politique extérieure de la Restauration à cette époque. La Russie à Constantinople et la France sur le Rhin. - Origine de l'expédition d'Alger. - Propositions faites au nom de Méhémet-Ali. Situation intérieure de la monarchie. Adresse des 221. Prorogation des Chambres. Portrait de Charles X. Menaces de l'Angleterre. - Attitude du Cabinet des Tuileries. Tentatives de lord Stuart de Rothsay auprès de MM. de Polignac et d'Haussez. Préparatifs de l'expédition d'Alger: difficultés suscitées par la bourgeoisie; vive opposition des amiraux.- Brevet de l'amiral Roussin déchiré; hésitations de l'amiral Duperré. Départ de la flotte: intrigues de l'Angleterre. - Dissolution de la Chambre des députés. - Agitation. Caractère de l'Opposition libérale : le roi et la loi. Charles X chez le duc d'Orléans. Effet produit par la conquête d'Alger. Le ministre de la marine veut traduire l'amiral Duperré devant un conseil de guerre. - Vues de la Restauration sur Alger. - Allures démagogiques de la royauté; attaques dirigées par des libéraux contre le peuple. Situation de la bourgeoisie; elle redoute une révolution. Dispositions de ses chefs. trait de M. Laffitte. Indifférence politique du peuple. en deux partis les hommes de l'Empire et les émigrés. - Influence du clergé. — Charles X se décide à un coup d'État. - Appréhensions du corps diplomatique. — Les hommes de Bourse et M. de Talleyrand. - Discussion secrète des ordonnances: opinions des divers ministres. - Confidence à Casimir Périer. - Signature des ordonnances.

Por

Division des royalistes

Depuis l'entrée de M. de Polignac aux affaires, la bourgeoisie vivait dans l'attente d'une révolution, et elle s'agitait partagée entre la colère et l'épouvante.

La Cour avait tout l'aveuglement du fanatisme, mais elle en déployait l'audace. Des missionnaires s'étaient

répandus sur toute la surface de la France, remuant les esprits par de sombres prédications, promenant sous les yeux des femmes les pompes d'une religion redoutable, et élevant sur les places publiques l'image de Jésus crucifié. On méditait des mesures propres à exalter l'esprit militaire. Et la royauté se préparait à tout oser, appuyée qu'elle était sur des soldats et sur des prêtres.

Lorsqu'un roi passe, que ce soit sur la route du trône ou sur celle de l'échafaud, il s'élève presque toujours du sein de la foule quelques clameurs confuses. Ces clameurs, Charles X les avaient entendues dans son voyage en Alsace; il les avait interprétées dans le sens de son orgueil : il se crut aimé.

Ce voyage, pourtant, avait été marqué par des scènes de sinistre augure. A Varennes, la famille royale avait dû s'arrêter pour changer de chevaux, au même endroit d'où fut jadis ramené Louis XVI fuyant sa capitale et désertant la royauté. Tout-à-coup, et à l'aspect du relai fatal, la Dauphine éprouve un tressaillement convulsif; elle ordonne à ses gens de passer outre, et laisse pour adieux au peuple rassemblé quelques-unes de ces paroles qui perdent les princes. Plus loin, à Nancy, la famille royale se montre sur un balcon pour saluer la multitude. Des sifflets retentissent. A qui s'adresse l'injure? La Dauphine s'en émeut et fait brusquement fermer les fenêtres, après être rentrée dans ses appartements, frémissante et tout éplorée.

Cependant, considéré dans son ensemble, le voyage d'Alsace n'était pas un trop malheureux essai de popularité, et Charles X en avait rapporté un surcroît de confiance.

Mais avant de dire à quelles extrémités cette confiance devait le pousser, il importe de jeter un coup-d'œil sur la politique extérieure de la France à cette époque.

C'était dans un intérêt de dynastie que les traités de 1815 avaient été imposés à la France par les Bourbons. Ce fut dans un intérêt de dynastie que, dès 1829. on parla de les modifier profondément. Car, que les destins d'un peuple suivent les affaires d'une famille, c'est la règle dans les monarchies.

L'honneur de ce projet appartenait en partie à M. de Reyneval M. de Polignac en fit la base de sa politique extérieure.

Ainsi, en 1830, un grand changement diplomatique se préparait dans le monde. Il s'agissait de rendre le Rhin à la France.

Des négociations avaient commencé à ce sujet entre le Cabinet de Saint-Pétersbourg et celui des Tuileries. Voici quelles en auraient été les bases :

La France et la Russie contractaient une alliance étroite, spécialement dirigée contre l'Angleterre. La France re'prenait les provinces rhénanes. Du Hanovre, enlevé à la Grande-Bretagne, on faisait deux parts, destinées, l'une à indemniser la Hollande, l'autre à désintéresser la Prusse, dont on aurait, en outre, arrondi le domaine par l'adjonction d'une partie de la Saxe aux provinces prussiennes de la Silésie. Le roi de Saxe aurait été dédommagé aux dépens de la Pologne. On assurait à l'Autriche la Servie, une partie non possédée par elle de la Dalmatie et l'une des deux Rives du Danube. De son côté, maîtresse de la rive opposée, la Russie dominait la mer Noire, s'installait à Constantinople, sauf à s'élancer de là sur l'Asie.

Depuis Pierre Ier, on le sait, la Russie n'avait cessé de convoiter la possession du Bosphore, et son ambition n'avait été que trop bien secondée par la France et par l'Angleterre trompées. C'était à son profit exclusif qu'avait eu lieu le fait d'armes de Navarin. Elle en avait poursuivi les conséquences avec une vivacité menaçante pour nous et cependant applaudie. Mais elle ne devait pas même s'arrêter au traité d'Andrinople..

Mahmoud avait essayé la réforme de son empire. Vaine tentative! L'originalité des races fait leur force. Mahmoud, en brisant les vieilles traditions, énerva son peuple sans le rajeunir; et l'épuisement de la race jadis si vigoureuse des Osmanlis n'était lui-même qu'un symptôme de la décadence de l'Islamisme.

Déjà le dogme du fatalisme, admis par l'Orient, avait laissé reconnaître à des signes certains sa désastreuse influence. Condamné par ce dogme à rester immobile pendant que le dogme opposé de la liberté humaine versait au sein des nations occidentales d'irrésistibles ardeurs, l'Orient semblait redemander à l'Europe la vie qu'autrefois il lui avait donnée, et il se présentait comme un domaine riche et sans bornes, mais inculte et sans posses

seurs.

Y appeler la Russie, c'était lui livrer tout l'avenir.

Quant à la France, la révolution de 1789 l'avait rendue essentiellement industrielle, et avait donné à son génie nouveau les ailes de la concurrence. Elle ne pouvait plus, par conséquent, contracter que des alliances continentales. Car étendre devant une production toujours croissante un marché toujours plus vaste, courir de comptoirs en comptoirs, conquérir des consommateurs, asservir la mer,

glisser en un mot sur la pente qu'avait descendue le génie britannique, telles étaient les nécessités de la situation que lui avait faite le triomphe de la bourgeoisie. En renonçant à toute alliance avec l'Angleterre, elle ne faisait donc qu'obéir aux lois d'une rivalité inévitable: elle renonçait à l'impossible.

Mais pour la Russie à Constantinople, était-ce donc assez que la France sur le Rhin? Était-il digne d'une nation telle que la nôtre, d'abandonner à un peuple nouveau venu en Europe et encore à demi-barbare, le soin des affaires du monde et le règlement des destinées universelles? Fallait-il fermer à l'activité française la carrière que semblait lui ouvrir le vide immense fait en Orient? Était-ce trop d'une semblable issue pour cette force d'expansion qui, sous la République, avait éclaté en catastrophes immortelles, et, sous l'Empire, en prodigieuses conquêtes? La Russie, placée sur les routes de l'Inde, ne pourrait-elle pas un jour, même comme puissance maritime, remplacer l'Angleterre et nous causer de mortelles angoisses? La Restauration ne voyait ni de si haut, ni si loin. Les traités de 1815 avaient laissé dans les cœurs une trace ardente: on espérait l'effacer en nous rendant le Rhin pour frontière.

Dans cet état de choses, une grave détermination fut prise par Charles X et ses ministres. Le coup d'éventail donné par le dey d'Alger au consul français était jusquelà resté impuni. Encouragé par la faiblesse que révélaient dans le gouvernement français trois ans d'un blocus inutile, le dey d'Alger avait fait canonner le vaisseau d'un parlementaire, et forcé notre consul à Tripoli de quitter son poste en toute hâte. Où s'arrêterait l'outrage? Com

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