Images de page
PDF
ePub

cuter le délit ou d'en assurer l'impunité; si, à l'inverse, c'est le délit qui a eu pour objet de faciliter ou exécuter le meurtre ou d'en assurer l'impunité, on n'est plus dans les termes de l'article; sauf les règles contre la préméditation, si préméditation il y a, ce n'est plus le cas de l'aggravation spécialement prévue ici. C'est par inattention que dans la discussion et même dans les rapports de commission devant les Chambres, en 1832, les deux hypothèses semblent avoir été confondues l'une avec l'autre. Le texte de l'article est précis.

CHAPITRE IV.

DE LA COMPLICITÉ.

1° Suivant la science rationnelle.

1254. La formation et le sens des mots complices, complicité, nous sont connus. La complicité n'est autre chose que l'existence d'un lien qui unit plusieurs agents dans un même délit, et qui doit les unir aussi dans le châtiment. Les complices ne sont autres que tous les agents ainsi liés dans un même délit et devant être liés dans le châtiment (ci-dess., n° 1240). Telle est la signification véritable de ces mots pris en toute leur étendue (lato sensu), conformément à leur origine philologique. Nous verrons que, dans l'usage et par abus, le mot de complice est employé en un sens plus étroit, qui a fait presque oublier l'idée générale.

Le caractère essentiel de la complicité, qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est l'unité de délit et la pluralité d'agents. Le problème pénal est de mesurer quelle est la part de responsabilité qui revient à chacun de ces agents.

1255. Nous nous servirons, pour arriver à la solution, d'une image qui ne manque pas de vérité. Le délit est ici un drame auquel concourent plusieurs acteurs. De même que dans les drames qui se jouent sur la scène théâtrale, chacun des acteurs y a son role, mais tous les rôles n'y sont pas de même importance les uns sont principaux (les premiers rôles), d'autres sont accessoires; entre ceux-ci il y a encore de nombreuses inégalités, et quoique tous servent à marcher vers le même dénoûment, serait-il juste de les placer indifféremment sous le même niveau?

1256. De même que les drames de la scène, le délit parcourt, dans ses péripéties, des phases diverses et peut se diviser en plusieurs actes, dont la donnée générale est celle-ci : - premier acte, résolution arrêtée du délit; second acte, préparation; troisième acte, exécution jusqu'au délit consommé. Or, comme il

[ocr errors]

peut y avoir dans un drame des acteurs qui figurent dans tous les actes, tandis que d'autres n'apparaissent que dans un seul ou dans quelques-uns, de même peut-il y avoir dans un délit des agents qui prennent part et à la résolution et à la préparation et à l'exécution, tandis que d'autres auront coopéré seulement à l'une ou à l'autre de ces phases diverses du délit. Tous sont néanmoins des acteurs du même délit; il s'agit d'apprécier l'importance du rôle que chacun y a joué.

1257. Cette appréciation est à faire de deux manières : - d'une manière abstraite, par la loi elle-même, en ce qui concerne la culpabilité absolue; d'une manière concrète, par le juge dans chaque cause et à l'égard de chaque personne, en ce qui concerne la culpabilité individuelle.

A travers les divergences d'opinions qui se sont produites pour poser les règles d'une telle appréciation, et les différences du langage employé pour en exprimer les nuances, voici les idées mères, puisées dans les fondements mêmes de l'imputabilité (cidess., n° 212 et suiv.), auxquelles il nous semble que la science pénale doit s'arrêter. Il faut distinguer, parmi ces agents, ceux dont on pourra dire qu'ils sont la cause première, la cause génèratrice, la cause efficiente du délit même; et ceux qui n'auront fait que prêter un secours qui, sans produire l'acte même constitutif du délit, y aura aidé. Puisque les premiers sont la cause efficiente, tandis que les seconds ne sont qu'une cause auxiliaire du délit, le rôle de ceux-ci est évidemment inférieur au rôle de ceux-là, et, par conséquent, la part de responsabilité moindre. Quant aux termes sous lesquels on peut les désigner, il ne saurait y en avoir de plus simples ni de plus exacts, pour les premiers que celui d'auteurs, et pour les seconds que celui d'auxiliaires (1). C'est à cela que nous réduirons, tant pour l'idée que pour le langage, les distinctions fondamentales à établir dans la

science.

1258. Les auteurs et les auxiliaires sont tous complices, c'està-dire liés entre eux dans le même délit et devant être liés dans le châtiment; cependant plus communément, en un sens étroit (stricto sensu) et dans un langage usuel, le mot de complices opposé à celui d'auteurs désigne seulement les auxiliaires (ci-dess., no 1253). Ce sont là des occasions d'équivoque et par suite d'obscurité contre lesquelles il est bon d'être prévenu.

1259. Mais en quoi consistera le rôle d'auteur, en quoi le rôle d'auxiliaire? La réponse doit se déduire par le seul raisonne

(1) Les termes techniques dans les codes et dans la jurisprudence de l'Allemagne correspondent à ces idées : Ceux qu'on nomme Urheberen (de la particule Ur, avec Heber, premier moteur) sont les auteurs, et ceux qu'on nomme Gehülfen (de la particule Ge, avec Hulfe, secours) sont les auxiliaires. Toutes ces personnes sont Mitschuldigen (coupables ensemble), ou, en notre langue, complices.

ment de la définition générale elle-même que nous venons de donner.

1260. L'idée qui se présente la première sous le nom d'auteur est celle d'un homme qui a conçu, arrêté et exécuté lui-même la résolution du crime: aucune difficulté n'existe dans cette hypothèse. Mais les rôles peuvent se diviser. Il est possible que celui même qui a conçu et résolu le crime l'ait fait exécuter par un autre, qui lui a servi d'instrument. Or, nous le savons, la cause première, la cause génératrice d'un délit n'est pas dans les actes physiques, elle est avant tout dans les actes moraux (ci-dess., art. 221 et suiv., 237 et suiv.). L'homme dont nous parlons, se fut-il tenu entièrement à l'écart de tout acte matériel de préparation ou d'exécution, n'en est pas moins la cause première, la cause génératrice du délit ; nous le qualifierons d'auteur du délit. Quant à celui qui lui a servi d'instrument, sans doute il a reçu d'autrui la résolution, mais il l'a adoptée et il l'a mise à exécution; il est la cause qui a produit matériellement le délit, il en est aussi un auteur. Il y a donc à distinguer parmi les auteurs ceux que nous appellerons auteurs intellectuels, et ceux que nous nommerons auteurs matériels les uns et les autres, cause productrice, cause efficiente du délit.

[ocr errors]

1261. Notez que cette expression auteurs matériels ne serait pas exacte si on la prenait dans un sens absolu et exclusif. Elle ne veut pas dire que l'auteur dont il s'agit ici ne soit qu'un agent physique, un instrument purement matériel, sans le concours de ses facultés morales: s'il en était ainsi, il ne serait pas responsable. L'expression n'est prise que par opposition à celle d'auteur intellectuel, pour indiquer que l'auteur dont il est question a fait les actes physiques d'exécution, tandis que l'autre n'y a pris au-, cune part.

1262. Si l'on suppose que celui que nous appelons l'auteur matériel n'ait été qu'un instrument physique irresponsable, par exemple c'est un fou, c'est un enfant sans discernement, que celui qui avait résolu le délit a mis en mouvement; ou bien il a été contraint par des menaces telles qu'il ne peut être considéré comme ayant été libre: aucune imputabilité n'existe à sa charge, et le crime retombe sur celui-là seul qui l'a fait agir; tant il est vrai que ce dernier, bien que s'étant abstenu de tout acte physique de préparation ou d'exécution, est un auteur du délit, et que nous avons raison de lui donner cette qualification.

1263. La distinction entre les auteurs intellectuels et les auteurs matériels étant établie, il reste à en préciser les détails.

Et d'abord, quant au rôle d'auteur intellectuel, il ne suffit pas, pour être en droit de l'attribuer à une personne, étrangère d'ailleurs à tous les actes physiques du délit, que cette personne ait pris une part quelconque à la résolution. Il faut que la résolution vienne d'elle, que ce soit elle qui l'ait arrêtée et fait exécuter par

autrui; autrement, comment dire qu'elle en est la cause première, la cause génératrice?

1264. Les formes qui se présentent ici et qui ont été le plus souvent discutées entre les écrivains s'occupant, même en théorie, de ces problèmes, sont celles du conseil, du mandat, de l'ordre donné pour l'exécution du délit. Mais, laissant de côté, pour un moment, ces formes, au sujet desquelles, surtout en ce qui concerne le mandat, trop de place a été accordée aux souvenirs du droit civil privé, nous croyons qu'il sera mieux d'aller droit au fond des choses, au principe même de la responsabilité pénale. Pour être la cause première, la cause génératrice de la résolution du délit, il ne suffit pas d'avoir eu l'initiative de l'idée, d'avoir suggéré cette idée, de l'avoir même conseillée à celui qui l'a mise à exécution: abandonné entièrement à son libre arbitre, celui-ci, s'il y a eu simplement suggestion ou conseil, est le seul auteur du délit. - Mais il n'en sera pas de même s'il a été exercé sur sa volonté quelque action déterminante, quelque pression, quelque influence décisive qui lui a fait adopter et exécuter celle résolution, dans laquelle il n'aura fait que suivre l'impulsion d'autrui. Or, on peut agir d'une telle manière sur la volonté de l'homme par la cupidité, éveillée à l'appât de dons ou de promesses, par la crainte que suscitent des violences ou des menaces, par l'autorité ou le pouvoir qu'on a sur lui et dont on abuse, par l'erreur qu'on fait naître dans son esprit au moyen d'artifices et de manœuvres frauduleuses, ou enfin si le conseil a été accompagné de renseignements et d'instructions sur la manière de sy prendre et d'agir pour l'exécution du délit. Alors on peut dire de celui qui a pris l'initiative et qui l'a appuyée par de telles influences, qu'il est la cause génératrice de la résolution du délit, ' et par conséquent l'auteur intellectuel.

: :

1265. Si l'on rapproche cette manière de caractériser le róle d'auteur intellectuel, des formes sous lesquelles les criminalistes l'envisagent le plus communément, celles de l'ordre, du mandat ou du conseil, on reconnaîtra que le caractère en est marqué ici avec plus de simplicité, avec plus de précision et d'une manière plus complète. Au lieu de la forme, nous nous attachons au mobile déterminant lui-même. L'ordre s'y trouve, mais avec cette circonstance qu'il a été appuyé sur une contrainte par violences ou par menaces, ou bien sur une sorte de pouvoir ou d'autorité dont il a été fait abus. Le mandat s'y trouve, mais avec cette circonstance qu'il a été accompagné de dons ou de promesses qui en ont déterminé l'adoption. Le conseil s'y trouve, mais avec cette circonstance qu'il a été corroboré de renseignements et d'instructions qui ont concouru à le faire adopter et mettre à effet. Il y a en plus l'influence produite par l'erreur, au moyen de manœuvres ou d'artifices coupables, dont cette trilogie, l'ordre, le mandat et le conseil, ne contient pas nettement la prévision. Cette manière

de définir le rôle d'auteur intellectuel, qui vient d'ailleurs de nos codes de pénalité de 1791 et de 1810, comme nous allons avoir à le montrer en traitant de notre droit positif, est bien supérieure à celle employée usuellement dans la doctrine criminelle, et c'est à celle-là qu'il faut se tenir.

1266. Nous employons, en notre langue, pour exprimer l'impulsion donnée, ou, en d'autres termes, l'appel fait à quelqu'un dans le but de lui faire commettre un délit auquel on l'incite, les mots de provoquer, provocateur, provocation, qui déjà figurent en notre droit pénal dans une acception differente, quoique analogue (ci-dess., no 446). Lorsque la provocation est appuyée par quelqu'un des moyens d'influence que nous venons d'indiquer, elle constitue le rôle d'auteur intellectuel du délit.

1267. A ces modes de provocation déterminante il en faut ajouter encore un autre. Si l'appel, par des discours proférés, par des affiches placardées ou par des imprimés répandus publiquement, a été adressé à des masses, à la foule, à qui que ce soit qui aura pu l'entendre, un tel appel, quoique non appuyé sur l'un des motifs d'influence signalés aux numéros précédents, se produit avec une énergie non moins grande en premier lieu, parce que les masses, la foule, le public sont plus impressionnables et plus faciles à exciter que les individus isolés; en second lieu, parce que entre tant de personnes il y a bien plus de chances que la provocation aille frapper sur quelqu'un disposé précisément à y répondre. Si donc il en a été ainsi, et que, sur cette provocation, le délit ait été commis, l'auteur d'une telle provocation pourra être justement qualifié d'auteur intellectuel du délit. Bien entendu qu'il ne s'agit pas ici seulement d'une excitation générale, d'un soulèvement de passions desquelles auraient pu résulter ensuite des actes coupables: ce serait là un tout autre cas. Il s'agit d'un appel direct à commettre tel délit déterminé, par exemple à aller mettre le feu à tel édifice, à telle forêt, à se porter sur tel établissement et à s'en emparer ou à le détruire, à envahir le domicile de telle personne, à la violenter ou à la tuer.

1268. Le rôle d'auteur intellectuel ainsi déterminé, la science a la même détermination à faire pour celui d'auteur matériel. --Cette dernière qualification appartiendra en première ligne à celui qui, agissant d'ailleurs dans l'exercice de ses facultés morales, aura exécuté physiquement les actes constitutifs du délit, c'està-dire les actes destinés à produire par eux-mêmes et sans opération intermédiaire l'effet préjudiciable du délit (ci-dess., no 1010): celui, par exemple, qui, en cas d'homicide, de coups ou blessures, aura frappé la victime, aura tiré sur elle son arme à feu; qui, en cas d'incendie, aura mis le feu aux objets à brûler; qui, en cas de vol, aura porté la main sur les objets à soustraire c'est de lui qu'on peut dire par-dessus tous, qu'il est physiquement la cause productrice, la cause efficiente du délit.

« PrécédentContinuer »