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OCTAVE.

Elle faifoit fondre chacun en larmes, en fe jettant amoureusement fur le corps de cette mourante, qu'elle appelloit fa chére mere ; & il n'y avoit perfonne qui n'eût l'ame percée de voir un fi bon naturel.

SCAPIN.

En effet, cela eft touchant, & je vois bien que ce bon naturel-là vous la fit aimer.

OCTAV E..

Ah! Scapin, un barbare l'auroit aimée.

SCAPIN.

Affurément. Le moyen de s'en empêcher?
OCTAVE.

Après quelques paroles, dont je tâchai d'adoucir la douleur de cette charmante affligée, nous fortîmes de là; & demandant à Léandre ce qu'il lui fembloit de cette perfonne, il me répondit froidement qu'il la trouvoit affez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m'en parloit, & je ne voulus point lui découvrir l'effet que fes beautés avoient fait fur mon ame. SILVESTRE à Octave.

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Si vous n'abrégez ce récit, nous en voilà pour jufqu'à (à Scapin.) demain. Laiffez-le moi finir en deux mots. Son cœur prend feu dès ce moment, il ne fauroit plus vivre, qu'il n'aille confoler fon aimable affligée.Ses fréquentes vifites font rejettées de la fervante devenue la gouvernante par le trépas de la mere. Voilà mon homme au défespoir. Il preffe, fupplie, conjure; point d'affaire. On lui dit que la fille, quoique fans bien, & fans appui, eft de famille honnête; & qu'à moins que de l'époufer, on ne peut fouffrir fes poursuites. Voilà fon amour augmenté par les difficultés. Il confulte dans fa tête, agite, raifonne, balance, prend fa réfolution; le voilà marié avec elle depuis trois jours.

J'entens.

SCAPIN.

SILVESTRE.

Maintenant mets avec cela le retour imprévû du pere qu'on n'attendoit que dans deux mois, la découverte que l'oncle a faite du fecret de notre mariage, & l'autre mariage qu'on veut faire de lui avec la fille que le Seigneur Géronte a eue d'une feconde femme qu'on dit qu'il a épousée à Tarente.

OCTAV E.

Et, par deffus tout cela, mets encore l'indigence où fe trouve cette aimable perfonne, & l'impuissance où je me vois d'avoir de quoi la fecourir.

SCAPIN.

Eft-ce là tout? Vous voilà bien embarraffés tous deux pour une bagatelle. C'eft bien là de quoi fe tant alarmer. N'as-tu point de honte, toi, de demeurer court à fi peu de chofe? Que diable, te voilà grand & gros comme pere & mere, & tu ne faurois trouver dans ta tête, forger dans ton efprit quelque rufe galante, quelque honnête petit ftratagême, pour ajufter vos affaires? Fi. Pefte foit du butord ! Je voudrois bien que l'on m'eût donné autrefois nos vieillards à duper, je les aurois joués tous deux par deffous la jambe ; & je n'étois pas plus grand que cela, que je me fignalois déjà par cent tours d'adreffe jolis.

SILVESTRE.

J'avoue que le ciel ne m'a pas donné tes talens, & que je n'ai pas l'efprit, comme toi, de me brouiller avec la juftice.

OCTAVE.

Voici mon aimable Hiacinte.

SCENE III.

HIACINTE, OCTAVE, SCAPIN, SILVESTRE.

A

HIACINTE.

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H! Octave, eft-il vrai ce que Silveftre vient de dire à Nérine, que votre pere eft de retour & qu'il veut vous marier? OCTAV E.

Oui, belle Hiacinte, & ces nouvelles m'ont donné une atteinte cruelle. Mais que vois-je ? Vous pleurez! Pourquoi ces larmes ? Me foupçonnez-vous, ditesmoi, de quelque infidélité, & n'étes-vous pas affurée de l'amour que j'ai pour vous?

HIACINTE.

Oui, Octave, je fuis fûre que vous m'aimez ; mais je ne le fuis pas que vous m'aimiez toujours.

OCTAVE.

Hé, peut-on vous aimer, qu'on ne vous aime toute fa vie?

HIACINTE.

J'ai oui dire, Octave, que votre fexe aime moins long-temps que le nôtre, & que les ardeurs que les hommes font voir, font des feux qui s'éteignent auffi facilement qu'ils naiffent.

OCTAV E.

pas

'Ah ! Ma chére Hiacinte, mon cœur n'est donc fait comme celui des autres hommes, & je fens bien, pour moi, que je vous aimerai jufqu'au tombeau.

HIACINTE.

Je veux croire que vous fentez ce que vous dites, & je ne doute point que vos paroles ne foient fincéres,

mais je crains un pouvoir qui combattra dans votre cœur les tendres fentimens que vous pouvez avoir pour moi. Vous dépendez d'un pere, qui veut vous marier à une autre perfonne; & je fuis fûre que je mourrai fi ce malheur m'arrive.

OCTAVE.

Non, belle Hiacinte, il n'y a point de pere qui puiffe me contraindre à vous manquer de foi, & je me réfoudrai à quitter mon pays, & le jour même, s'il eft befoin, pluftôt qu'à vous quitter. J'ai déjà pris, fans l'avoir vue, une averfion effroyable pour celle que l'on me deftine ; &, fans être cruel, je souhaiterois que la mer l'écartât d'ici pour jamais. Ne pleurez donc point, je vous prie, mon aimable Hiacinte, car vos larmes me tuent, & je ne les puis voir fans me fentir percer le cœur.

HIACINTE. Puifque vous le voulez, je veux bien effuyer mes pleurs, & j'attendrai d'un œil conftant ce qu'il plaira au ciel de réfoudre de moi.

OCTAVE.

Le ciel nous fera favorable.

HIACINTE.

Il ne fauroit m'être contraire, fi vous m'étes fidéle.

OCTAVE.

Je le ferai affurément.

HIACINTE.

Je ferai donc heureufe.

SCAPINà

part.

Elle n'eft point tant fotte, ma foi, & je la trouve affez paffable.

OCTAVE montrant Scapin.

Voici un homme qui pourroit bien, s'il le vouloit nous être, dans tous nos befoins, d'un fecours merveilleux.

SCAPIN.

J'ai fait de grands fermens de ne me mêler plus du monde; mais, fi vous m'en priez bien fort tous deux, peut-être...

OCTAVE.

Ah! S'il ne tient qu'à te prier bien fort pour obtenir ton aide, je te conjure de tout mon cœur de prendre la conduite de notre barque.

SCAPIN à Hiacinte.

Et, vous, ne dites-vous rien?

HIACINTE.

Je vous conjure, à fon exemple, par tout ce qui vous eft le plus cher au monde, de vouloir fervir notre

amour.

SCAPIN.

Il faut fe laiffer vaincre, & avoir de l'humanité.Allez, je veux m'employer pour vous.

Crois que..

OCTAVE.

SCAPIN.

(à Octave.) (à Hiacinte.)

Chut. Allez-vous-en, vous, & foyez en repos.

SCENE I V.

OCTAVE, SCAPIN, SILVESTRE.

E

SCAPIN à Octave.

T vous, préparez-vous à foutenir avec fermeté l'abord de votre pere.

Je t'avoue

OCTAVE.

que cet abord me fait trembler par avance," & j'ai une timidité naturelle que je ne faurois vain

cre.

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