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SILVESTRE.

Ma foi, je m'y trouve autant embarraffé que vous ; & j'aurois bon befoin que l'on me conseillât moi

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Lorfque mon pere apprendra les chofes, je vais voir fondre fur moi un orage foudain d'impétueufes répri mandes.

SILVESTRE..

Les réprimandes ne font rien ; & plût au ciel que j'en fuffe quitte à ce prix ! Mais j'ai bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos folies, & je vois fe former, de loin, un nuage de coups de bâton, qui crévera fur mes épaulés.

OCTAV E.

O ciel ! Par où fortir de l'embarras où je me trouve ? SILVESTRE.

C'est à quoi vous deviez fonger, avant que de vous y jetter.

OCTAVE.

Ah! Tu me fais mourir par tes leçons hors de faifon. SILVESTRE.

Vous me faites bien plus mourir par vos actions étourdies.

2

A

OCTAVE.

Que dois-je faire? Quelle réfolution prendre? A quef reméde recourir?

SCENE I I.

OCTAVE, SCAPIN, SILVESTRE

Q

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U'eft-ce, Seigneur Octave ? Qu'avez-vous ? Qu'y a-t-il ? Quel déforde eft-ce là? Je vous vois tout troublé.

OCTAV E.

Ah! Mon pauvre Scapin, je fuis perdu, je suis défefpéré, je fuis le plus infortuné de tous les hommes.

Comment?

SCAPIN.

OCTAVE.

N'as-tu rien appris de ce qui me regarde?

Non.

SCAPIN

OCTAV E.

Mon pere arrive avec le Seigneur Géronte, & ils me

veulent marier.

SCAPIN.

Hé bien? Qu'y a-t-il là de fi funefte?

OCTAVE.

Hélas! Tu ne fais pas la caufe de mon inquiétude. SCAPIN.

Non; mais il ne tiendra qu'à vous que je la fache bien-tôt ; & je fuis homme confolatif, homme à m'in téreffer aux affaires des jeunes gens.

OCTAV E.

'Ah! Scapin, fi tu pouvois trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je fuis, je croirois t'être redevable de plus que de la vie.

SCAPIN.

A vous dire la vérité, il y a peu de chofes qui me foient impoffibles, quand je m'en veux mêler. J'ai fans doute reçû du ciel un génie affez beau pour toutes les fabriques de ces gentilleffes d'efprit, de ces galanteries ingénieufes à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies; & je puis dire, fans vanité, qu'on n'a gueres vû d'homme qui fût plus habile ouvrier de refforts & d'intrigues, qui alt acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier. Mais, ma foi, le mérite eft trop maltraité aujourd'hui ; & j'ai renoncé à toutes chofes, depuis certain chagrin d'une affaire qui m'ar

riva.

OCTAVE.

Comment! Quelle affaire, Scapin?

SCAPIN.

Une aventure où je me brouillai avec la justice.

OCTAVE.

La justice?

SCAPIN.

Oui. Nous eûmes un petit démêlé ensemble.

SILVESTRE.

Toi, & la juftice?

SCAPIN.

Oui. Elle en ufa fort mal avec moi, & je me dépitai de telle forte contre l'ingratitude du fiécle, que je réfolus de ne plus rien faire. Baste. Ne laissez pas de me

conter votre aventure.

OCTAVE.

Tu fais, Scapin, qu'il y a deux mois que le Seigneur Géronte, & mon pere s'embarquérent enfemble pour un voyage qui regarde certain commerce où leurs intérêts font mêlés.

SCAPIN.

Je fais cela.

Et

OCTAVE.

que Léandre & moi nous fûmes laiffés pár nos peres; moi, fous la conduite de Silveftre, & Léandre, fous ta direction.

SCAPIN.

Oui. Je me fuis fort bien acquitté de ma charge.
OCTAVE.

Quelque-temps après, Léandre fit rencontre d'une
jeune Egyptienne, dont il devint amoureux.

Je fais cela encore.

SCAPIN.

OCTAVE.

Comme nous fommes grands amis, il me fit auffi-tôt
confidence de fon amour, & me mena voir cette fille,
que je trouvai belle à la vérité, mais non pas tant qu'il
vouloit que je la trouvaffe. Il ne m'entretenoit que
d'elle chaque jour, m'éxageroit à tous momens fa
beauté & fa grace, me louoit fon efprit, & me parloit
avec transport des charmes de fon entretien, dont il me
rapportoit jufqu'aux moindres paroles, qu'il s'efforçoit
toujours de me faire trouver les plus fpirituelles du
monde.Il me querelloit quelquefois de n'être pas affez
fenfible aux chofes qu'il me venoit de dire, & me blâ-
moit fans ceffe de l'indifférence où j'étois pour les
feux de l'amour.

SCAPIN.
Je ne vois pas encore où ceci veut aller.

OCTAVE.

Un jour que je l'accompagnois pour aller chez les gens qui gardent l'objet de fes vœux, nous entendîmes, dans une petite maifon d'une rue écartée, quelques plaintes mêlées de beaucoup de fanglots. Nous demandons ce que c'eft; une femme nous dit, en foupirant, que nous pouvions voir là quelque chofe de pitoyable en des perfonnes étrangeres ; & qu'à moins que d'être infenfibles, nous en ferions touchés.

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SCAPIN.

Où eft-ce que cela nous méne?

OCTAVE.

La curiofité me fit preffer Léandre de voir ce que c'étoit. Nous entrons dans une falle, où nous voyons une vieille femme mourante, affiftée d'une fervante qui faifoit des regrets, & d'une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle & la plus touchante qu'on puiffe jamais voir.

Ah, ah!

SCAPIN.

OCTAVE.

Une autre auroit paru effroyable en l'état où elle étoit; car elle n'avoit pour habillement qu'une méchante petite juppe, avec des braffiéres de nuit, qui étoient de fimple futaine; & fa coëffure étoit une cornette jaûne, retrouffée au haut de fa tête, qui laiffoit tomber en défordre fes cheveux fur fes épaules; & cependant, faite comme cela, elle brilloit de mille attraits, & ce n'étoit qu'agrémens & que charmes, que touts fa perfonne.

SCAPIN.

Je fens venir les choses.

OCTAV E.

Si tu l'avois vûe, Scapin, en l'état que je dis, tu l'aur rois trouvée admirable.

SCAPIN.

Oh! Je n'en doute point ; &, fans l'avoir vûe, je vois bien qu'elle étoit tout-à-fait charmante.

OCTAVE.

Ses larmes n'étoient point de ces larmes défagréables, qui défigurent un vifage; elle avoit à pleurer une grace touchante, & fa douleur étoit la plus belle du monde.

Je vois tout cela.

SCAPIN

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