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hommes religieux et éminents du grand siècle, et de leur peu de pénétration de l'avenir, on la trouvera dans l'éducation et l'esprit littéraires. Bossuet recevait au fond la même éducation que Voiture ou Gassendi. Il faisait ses humanités de collége, où le style et la forme du langage étaient plus cultivés que la pensée car il faut reconnaître que l'esprit de copier et d'imiter les anciens dans leurs tours les plus minutieux s'était introduit dans l'enseignement, et qu'on abandonnait de plus en plus l'ancienne méthode. Notre littérature, dans ses plus heureux essais, s'inspirait des traditions de l'antiquité grecque ou romaine. Donc, par l'esprit du dedans et du dehors, les élèves suçaient comme avec le lait cet amour des formes du langage. Et quand, dans le monde, on voulait faire d'eux ce qu'on appelait l'honnête homme, ils y étaient tout disposés et préparés. Et voilà comment le préjugé de l'éducation leur voilait l'opposition qu'il y avait entre leur manière d'être et l'Évangile, l'affaiblissement de la vie et de l'esprit chrétien, enfin la décadence religieuse et morale qui devait s'ensuivre.

La décadence rapide du grand siècle est, à mon sens, la plus grande condamnation de l'éducation de cette époque. A peine le grand Roi eut-il fermé les yeux, qu'on vit un changement surprenant: mœurs, lettres, arts, morale et religion, tout s'affaissa, tomba ou se déprava. Or, cela tenait à ce que les croyances chrétiennes s'en étaient allées

pour être remplacées par un enthousiasme plus ou moins factice pour l'antiquité et ses institutions. Ainsi, Montesquieu, le plus grand et le plus fidèle représentant de cette époque, publie, d'une part, les Lettres persanes, qui sont en beaucoup d'endroits une satire contre l'Église et son chef, et accusent un homme irréligieux; et, d'autre part, il donne son ouvrage sur la Cause de la grandeur et de la décadence des Romains, puis son Esprit des Lois, livres dans lesquels il exalte prodigieusement les vertus païennes aux dépens des vertus chrétiennes.

L'amour de toutes les qualités brillantes qui faisaient l'honnêteté au temps de Louis XIV, ne pouvait être de longue durée, car il n'y a pas là de quoi remplir le cœur de l'homme. Il faut à l'homme aussi bien qu'à la société quelque chose de plus grand pour aimer, comme la religion et la patrie. Aussi voyez-vous la génération du commencement du dix-huitième siècle être dégoûtée d'une vertu qui était plus dans la forme que dans le fond; et Montesquieu se fait le fidèle écho de ce sentiment, quand il dit, en parlant des monarchies : « On n'y juge pas les actions des hommes comme bonnes, mais comme belles; comme justes, mais comme grandes; comme raisonnables, mais comme extraordinaires'. A cette époque, les hommes commencent, en France, à se passionner aveuglément

Esprit des Lois, I. IV, c. 2.

pour les institutions et les gouvernements de l'antiquité païenne.

Il est des personnes qui s'imaginent qu'il est trèsinnocent de concentrer toute l'intelligence des enfants sur les pages brûlantes du feu de la liberté des Démosthènes, des Cicéron, des Caton, sauf à dresser alors les élèves aux pratiques extérieures de la vie chrétienne, à les faire défiler sur deux lignes (qu'on me passe cette expression) aux messes, aux vêpres et aux autres offices. Cette voie, dans laquelle nous sommes pleinement entrés avec le célèbre Rollin, a produit cette génération des Brutus de 93. Et il ne pouvait pas en être autrement, à moins que Jésus-Christ ou la vérité même ne se fût trompé lorsqu'il a dit qu'on ne peut servir deux maîtres; car, pour celui qui donne à ces paroles leur sens élevé et profond, il s'agit ici de l'âme, de la raison que si la raison, encore tendre et n'inclinant alors vers aucun objet, cultive et la fausse liberté et la fausse sagesse, comment voulez-vous qu'elle s'affectionne en même temps aux vertus chrétiennes, à la vraie liberté et à la vraie sagesse? Mais encore le partage n'est-il pas égal, et la préférence est-elle sensiblement donnée aux lettres païennes : le Christianisme dégénère en discipline extérieure. Nous ne voulons point enfler ce court exposé du catalogue des Brutus, des déistes et même des athées, coryphées du dernier siècle, dont les Jésuites ont fait l'éducation. Comme Rollin, ces bons

pères ont fait de leur mieux, mais ils ne pouvaient rien contre la nature même des choses, contre le virus que recélait leur enseignement.

Résumons-nous. Quatre-vingt-treize peut être considéré comme l'époque où la greffe de l'éducation païenne sur une société et des institutions catholiques a porté chez nous ses fruits. Comme nous le disions, le propre d'une greffe, c'est de faire circuler bientôt dans l'arbre une autre sève qui change et les fleurs et les fruits. Il est incontestable que l'esprit qui a dominé la révolution française est celui de la liberté antique et du déisme philosophique, lesquels avaient leur source dans l'éducation classique de nos colléges. Nous accorderons tant qu'on voudra qu'il y avait bien là quelque chose de faux et de factice; que les fêtes civiques du Champ-de-Mars et le culte de la raison prêtaient au rire au moins autant qu'à l'enthousiasme; mais par cela même qu'on les a pu substituer quelque temps aux fêtes nationales et au culte catholique, il faut reconnaître l'empire de l'esprit païen.

CHAPITRE III.

Conclusion. Procès moderne de l'éducation en France.

Depuis quatre-vingt-treize, l'arbre de l'enseignement païen a certainement continué à porter des fruits: on peut dire qu'il en est aujourd'hui chargé et

qu'ils sont plus mûrs encore qu'à cette première époque. En effet, le propre de la fausse liberté c'est de tout engloutir dans les jouissances matérielles: on ne veut plus être libre à cause de la dignité qu'il y a en cet état, mais pour pouvoir jouir le plus possible des basses jouissances de la terre, qu'on déguise sous le nom honnête de bien-être. Ce bien-être est à cette heure au fond de tous les cœurs, quand la liberté n'est plus que sur les lèvres. Mais que devient la vertu, qui est le fondement de toute société, le mobile de tout progrès? Elle disparaît. Nous n'avons plus même la vertu païenne: comme à Rome, sous Auguste et ses successeurs, elle fait place à une vie luxueuse et raffinée. Le propre du déisme est de conduire ses sectateurs à n'avoir bientôt plus que l'indifférence la plus complète en matière de croyance religieuse, à devenir en pratique des athées, puisqu'ils agissent alors comme s'ils niaient la Divinité.

Ce serait perdre du temps et en faire perdre au lecteur que d'insister sur ces deux points, qui sont les faits les plus saillants de notre lamentable histoire contemporaine. Nous tenons pour accordée, comme vérité évidente et par là incontestable, la perte de plus en plus grande de la vertu, soit païenne, soit chrétienne, et des croyances religieuses.

Dans cet état de choses, voilà que l'opinion intente un procès à l'Université: on l'accuse de ne former la jeune génération ni à la vertu, ni à la

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