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hommes qui la composent ne l'ont point fondée, et ils y ont trouvé ce morcellement des études et des connaissances, qui produit sans contredit cette effrayante confusion intellectuelle, dont la société souffre tant qu'elle est sur le point d'en périr.

En présence de l'anarchie qui règne dans les esprits, et qui produit de si grands maux à la société, les membres de l'Université peuvent et doivent invoquer cette excuse, qu'ils ne sont point les auteurs de la méthode universitaire, païenne au fond et anarchique, quand nous aurions tant besoin d'être chrétiens et d'être unis! Mais si, pour alléger le fardeau de cette responsabilité morale dont nous parlions, ils doivent invoquer cette excuse, il est pour eux aujourd'hui un devoir impérieux d'honneur et de conscience, c'est d'entrer dans une voie nouvelle, c'est de demander franchement et loyalement une réforme profonde et radicale de leur enseignement. S'ils ne le faisaient point, à présent qu'on s'occupe d'une nouvelle loi organisatrice de l'instruction publique, qu'ils y songent sérieusement, on les pourrait alors accuser de complicité morale avec les mauvais instincts anarchiques, qui sapent et ruinent l'édifice social.

CHAPITRE IV.

Sur le mouvement moderne de l'éducation.

L'humanité marche; et voilà ce que ne peuvent comprendre les institutions immobiles, les corps qui ne marchent point. Pendant que l'Université moderne de France refaisait les études classiques à la façon de Rollin, mais un peu moins bien que lui cependant, quelques hommes cherchaient une route nouvelle et y entraient. Et si une chose m'étonne, c'est que des efforts plus grands et plus nombreux n'aient point été tentés ; c'est que la société tout entière ne se soit pas encore réveillée de sa léthargie morale et religieuse, produite par l'enseignement classique, et qui va à la mort.

Sur la limite des deux siècles, à la fin du dixhuitième et au commencement du dix-neuvième, un homme tentait sérieusement de frayer une nouvelle voie à l'enseignement. Il avait sur l'éducation des idées grandes, profondes, originales; je me trompe, il avait infiniment mieux que des idées (car des idées, qui n'en a point aujourd'hui !), il avait des convictions. Quand Pestalozzi vint dire que l'éducation était une religion, qu'elle avait son idéal de perfection dans la mère de famille, c'est qu'instituteur, il devint à la fois pour ses élèves comme un prêtre et une mère de famille.

La pensée qui inspira Pestalozzi est simple comme toutes les pensées qui sortent du cœur, ce fut de ramener dans l'éducation la nature et la famille. Mais la nature, il la vit, hélas ! trop belle. Il était protestant; et, à cette époque, le naturalisme de l'Allemagne, à qui il appartenait par la langue, et celui de la Suisse, sa patrie, fortement imbue de l'esprit de Rousseau, eurent, avec l'aspect grandiose de la nature, où il se fixa, une influence considérable sur cet homme célèbre. Il saisit bien qu'il fallait aux enfants qu'on élève la vie et l'esprit de famille, qui peuvent seuls développer le cœur; voilà une idée vraie. Il saisit bien aussi que l'enfant n'est pas une simple capacité, qui doit retenir pêle-mêle tout ce qu'il perçoit; mais que, né pour produire et agir, ce qui est le fond même de son développement, il a besoin d'un enseignement pratique et gradué; ce qui est profondément vrai. Mais ce qui est faux, c'est de faire reposer cet enseignement sur l'intuition. Quand Pestalozzi veut que l'enfant se fasse des idées claires de toutes choses, il ne prend plus la nature humaine dans l'état de chute, avec une intelligence obscurcie par le péché, laquelle ne lui permet plus cette intuition qui était en Adam avant sa transgression, et qui disparut de la terre pour n'y plus reparaître qu'en Jésus-Christ, le Verbe divin. Le fondement des vérités les plus importantes, soit religieuses, soit morales, soit naturelles, c'est la foi ou la croyance.

Mais la croyance, on l'ignore trop aujourd'hui dans l'éducation, a sa racine dans le cœur: pour aimer, l'enfant est obligé de croire. C'est cette relation intime du cœur et de l'intelligence, cette puissance de celui-là sur celle-ci, qui n'ont pas été comprises de l'homme célèbre dont nous parlons. Et, par là même, il n'a pas bien compris non plus la vie de famille, qu'il fait consister trop exclusivement dans l'affection et l'attachement; il néglige le respect, l'autorité, parce qu'il ne voit pas que l'esprit d'amour étant plus ou moins altéré dans le plus jeune enfant, et remplacé par l'esprit de crainte, il faut, pour dompter ce cœur naturellement rebelle et égoïste, lui imprimer fortement le respect et la dépendance de l'autorité légitime.

Le vice des deux principes fondamentaux de l'enseignement de Pestalozzi signalé, nous reconnaissons qu'il y a d'excellentes choses dans son vaste système; et, plus tard, nous nous réservons bien d'y revenir et d'en faire notre profit.

Sous la Restauration, dans les beaux jours du libéralisme, nous avons aimé deux choses comme la politique l'enseignement mutuel et la méthode Jacotot. Mais précisément parce que nous les avons aimés comme la politique, c'est-à-dire d'une manière passionnée, exclusive, étroite, aveugle, j'avouerai en toute simplicité de cœur que je ne suis pas porté à les aimer. Ai-je tort?

Pestalozzi, qui a été, non pas l'inventeur, car

cela est aussi ancien que le monde, mais un grand propagateur de l'enseignement mutuel, comment y a-t-il été conduit? Par l'idée-mère de son système, l'esprit de famille et de société. Il a vu dans le moniteur un frère enseignant de plus jeunes frères, un enfant rendant service à ses semblables, et s'habituant à pratiquer cette maxime de nos saints Livres : Fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fût fait. Pour les Français, les libéraux de la Restauration, hélas! il est bien pénible et humiliant de le dire, ils n'ont vu que la partie mécanique de la méthode. Comment y auraient-ils vu l'esprit de charité? quand les bons frères de la doctrine chrétienne étaient alors appelés ignorantins, puis vexés, calomniés, injuriés, et même chassés de plusieurs écoles.

En proclamant que toutes les intelligences étaient égales, Jacotot, qui aimait à faire de l'esprit, a-t-il voulu rire, ou flatter la passion dominante de notre époque, la rivalité ou l'envie, qui se pare aujourd'hui des couleurs de l'égalité? Peut-être a-t-il voulu l'un et l'autre. Quant à nous, nous ne pouvons pas le prendre au sérieux. Ainsi fait le public depuis déjà un peu de temps; car c'est encore une gloire tombée au milieu de tant d'autres de cette époque, comme s'il était écrit là-haut qu'il ne devra rien rester de tout ce que le libéralisme a encensé.

Et nous ajouterons que c'est même une gloire

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