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profonde du péché qui a altéré et qui altère de jour en jour votre ouvrage. Car vous aviez mis au cœur du père et surtout de la mère un attachement pour leurs enfants plus puissant qu'aucun autre de la terre. Et, comme Rachel, ils n'auraient pu se consoler de les abandonner à d'autres ou de la perdre si jeune Noluit consolari, quia non sunt.

Dans cette action du péché qui affaiblit et éteint graduellement la nature, vous nous montrez encore ici, ô mon Dieu, que l'esprit a été bien plus altéré que le reste de la création. Car, d'où vient que les parents résistent à ce penchant si doux d'élever et de former le cœur de leurs jeunes enfants? C'est que l'exemple de quelques-uns est là; c'est que l'opinion, le ton, la mode s'en mêlent c'est que les soucis, les complications d'une vie commode et artificielle commandent. Or, qu'est-ce que tout cela ? C'est autant de choses qui viennent de l'esprit bien plus que de la création matérielle. D'ailleurs, voyons-nous s'affaiblir et s'éteindre l'attachement naturel des animaux pour leurs petits? Non; ils sont aujourd'hui ce qu'ils étaient au commencement.

Vers la fin du dernier siècle, un écrivain célèbre, dans un livre sur l'éducation, a revendiqué avec une rare éloquence les droits méconnus de la nature, en prescrivant aux mères l'obligation de nourrir leurs enfants de leur lait. O Dieu! ne me donnerez-vous pas la même éloquence alors que

je viens revendiquer pour les enfants des droits bien autrement plus sacrés, les droits à la nourriture de l'âme, au lait de l'esprit, les droits, dis-je, à la parole douce et insinuante d'une mère, parole pleine de tendresse et d'amour, qui imprime votre nom, ô mon Dieu, et celui du Sauveur Jésus si avant dans le cœur, qu'on ne les peut jamais oublier. Le philosophe de Genève a fait un appel aux mères, et l'on dit qu'il a été écouté, que plusieurs, touchées par ses paroles, ont nourri leurs enfants de leur sein. Et permettrez-vous, mon Dieu! vous qui êtes pur esprit et qui avez envoyé votre Verbe, votre splendeur spirituelle s'incarner et mourir pour racheter les esprits de l'asservissement des corps, permettrez-vous, dis-je, que mon appel aux mères chrétiennes ne soit point entendu? Ah! donnez-moi, ô grand maître des cœurs, la voix la plus douce et la plus suave pour m'insinuer dans leurs cœurs, la voix de l'austère vérité pour frapper leur âme, et au besoin la voix terrible de vos jugements pour émouvoir leurs entrailles. Et je leur dirai :

« O mères! sur la terre et dans le ciel, le bonheur est d'aimer. Dieu nous a faits ses enfants pour nous aimer tendrement et recevoir, comme ce qui lui est le plus doux au cœur, le nom de père. Mais vous, où portez-vous donc ces enfants, loin de la maison, dans une école où vous ne les verrez plus de quelques jours,... non, de plusieurs

mois, d'années entières ! Mais ne voulez-vous donc plus les aimer et être appelées du si doux nom de mères?« Nous les aimerons absents, répondezvous. » Comme si cela se pouvait ! Comme si Dieu, ce modèle parfait de l'amour, parce qu'il nous aime bien réellement, n'était pas toujours présent, ne nous témoignait pas son amour à chaque jour... non! à chaque instant du jour, par ses dons et ses bienfaits de toutes sortes. Mais si l'amour maternel que vous ne nourrissez pas, peut ne pas encore périr dans vos cœurs, l'amour filial de l'enfant, élevé hors de la famille, n'est-il pas comme une jeune plante, qu'on sortirait d'une terre de couche pour la transplanter dans un sol ingrat?

Non,

écoutez la voix de la vérité : vous vous laissez aller au courant du mauvais exemple, aimant mieux les satisfactions de l'amour-propre, de la vanité, de la fortune, et aussi vos aises, que le fruit de vos entrailles; et parce que le monde ne flétrit pas cet épouvantable usage de se débarrasser de son enfant dès qu'il a trois ou quatre ans, et le trafic indigne qui l'encourage, vous n'y prenez point de mal. Eh bien! moi, je vous dis, ô mères chrétiennes, qu'il y a là un mal effrayant, et que vous outragez les droits de la nature, de la morale et de la religion. Mais qu'est-ce qui répand donc sur l'enfant un si doux charme, qu'il peut réveiller le cœur glacé et endurci du plus grand coupable? Son innocence, sa pureté. Et ne devez-vous pas être

les gardiennes vigilantes de cette pureté, que peut flétrir le léger vent d'une parole légère? Ah! s'il vous faut faire entendre la terrible voix du jugement, je vous rapporterai les paroles de celui qui sera votre juge et le mien : « Quiconque scandalise un de ces innocents qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui d'avoir une meule de moulin suspendue à son cou, et d'être plongé au fond de la mer 1. » Et un peu après : « Malheur à celui par qui arrive le scandale 2!» Or dites-moi, pères et mères, car c'est la question qui vous sera un jour posée : le scandale n'arrive-t-il pas plutôt par vous qui livrez vos enfants, que par les marchands qui les reçoivent de vos mains?

Nous n'entrerons dans aucun détail touchant le vice des maisons d'éducation pour les jeunes enfants et les abus qui s'y rencontrent. Nous croyons que le mal se fait là par ignorance et par la force des choses, sans mauvaises intentions. D'ailleurs, s'il n'y avait point de parents pour trahir leurs premiers devoirs, il n'y aurait point d'établissements de ce genre. Animé envers tous des sentiments de la compassion chrétienne pour un mal qui a sa cause dans un profond aveuglement, qu'à Dieu ne plaise que je sois accusé de manquer de charité ! N'y aurait-il pas aussi de l'orgueil de ma

Matth., c. XVIII, v. 6.

2 Ibid., v. 7.

part? Si je suis plus éclairé que d'autres, dois-je les accuser? N'est-ce pas Dieu qui a touché mon cœur et opéré le bien ? Et s'il veut se servir de moi pour toucher d'autres cœurs, ne dois-je pas commencer par avoir compassion d'eux comme il a eu compassion de moi? Oui, je ferai ainsi. Et si j'étais assez malheureux pour m'égarer en des paroles dures et acerbes, ou piquantes et malignes, eh bien! je les désavoue d'avance, et je déclare à la face du ciel et de la terre qu'elles ne sont pas de moi, qu'elles peuvent être échappées à ma plume', mais non jamais à mon cœur. Oui! qu'on m'accuse d'ignorance, d'ânerie, de bêtise, de stupidité, et que le ridicule qui tue, dit-on, ne m'épargne pas; mais puissé-je, ô mon Dieu, ne jamais être accusé de manquer de charité !

CHAPITRE II.

Conséquences funestes de l'éducation hors de la famille.

L'éducation du jeune enfant hors de la famille détruit toute l'économie de la loi naturelle, et de la loi évangélique qui est la correction et la perfection de la première.

Ainsi, comme nous l'avons établi, la famille est l'école du cœur : l'enfant y apprend à aimer Dieu, ses parents et ses proches, pour arriver un jour à aimer le prochain ou tous les hommes et par là aussi

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