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le caractère divin, on peut être à peu près sûr que la main du vice ne l'effacera jamais. Le jeune homme pourra s'écarter sans doute; mais il décrira, si vous me permettez cette expression, une courbe rentrante qui le ramènera au point dont il était parti1. » Suivant les théologiens et les moralistes, c'est de cinq à sept ans que les enfants, en général, ont conscience du bien et du mal; or, à cet âge, la conscience commence seulement à se former; mais, d'après tout ce que l'expérience a pu nous fournir, elle ne nous semble formée ou n'avoir un discernement clair et un choix fixe du bien et du mal qu'à dix ans.

Mais à quel âge commencera l'éducation? Quand l'enfant viendra au monde. J'en vois beaucoup s'étonner de ma réponse. Que de mères honnêtes et chrétiennes, en effet, abandonnent la première éducation de leurs enfants à des nourrices et à des bonnes grossières et libres en paroles, filles de mœurs souvent suspectes, quelquefois filles perdues, qui entretiennent devant les enfants un commerce criminel! Quoi! vous ne confieriez pas à ces filles la clef de votre buffet ou votre bourse pleine, et vous osez, ô mères imprudentes, sinon coupables, leur confier l'innocence de vos enfants! Oui, vous pouvez bien vous étonner de moi, qui fais commencer l'éducation à la naissance de l'enfant ;

Soirées de Saint-Pétersbourg; Lyon, 1842, 2a vol., p. 187.

mais moi, je m'étonnerai à bien meilleur droit de votre aveuglement; et surtout je le déplorerai avec larmes, entendez-vous.

Une simple question se pose ici : l'enfant a-t-il une âme alors qu'il vient au monde? Et s'il a une âme, doit-il être élevé comme s'il n'en avait pas ? Ne doit-on s'occuper que de son corps, que de sa pâture, comme on le ferait pour le jeune d'une bête? Dans ce corps naissant, l'âme est-elle sans vie, sans mouvement, sans impression? Ah! non. Cette âme ressent tout ce que vous faites au corps; les paroles grossières, les injures, les indécences et le libertinage laissent une impression sur les sens qui pénètre jusqu'à l'âme, car jamais plus grande dépendance n'exista entre celle-ci et ceux-là. Mais nous ne voulons point vous faire une dissertation philosophique touchant les premières impressions qui se reçoivent avec la vie, encore qu'on n'en ait pas conscience, et à cause de cela même, d'autant plus fortes et dangereuses; ni vous montrer qu'il n'est point jusqu'au temps et au lieu de la naissance, choses, cependant, bien indépendantes de la volonté, qui n'aient leur influence. Et nous ne voulons non plus nous appuyer, en cette matière, de l'autorité des philosophes proprement dits.

Mais écoutez, mères de famille, ce que l'illustre Fénelon, de vénérée et aimable mémoire, écrivait pour vous dans un petit livre que vous ne lisez plus.

« Pour remédier à tous ces maux (aux inconvénients des éducations ordinaires), c'est un grand avantage que de pouvoir commencer l'éducation des filles dès leur plus tendre enfance. Ce premier âge, qu'on abandonne à des femmes indiscrètes et quelquefois déréglées, est pourtant celui où se font les impressions les plus profondes, et qui, par conséquent, a un grand rapport à tout le reste de la vie.

« Considérez encore combien, dès cet âge, les enfants cherchent ceux qui les flattent, et fuient ceux qui les contraignent; combien ils savent crier ou se taire pour avoir ce qu'ils souhaitent; combien ils ont déjà d'artifice et de jalousie. J'ai vu, dit saint Augustin, un enfant jaloux : il ne savait pas encore parler, et déjà, avec un visage pâle et des yeux irrités, il regardait l'enfant qui tétait avec lui.

« Si peu que le naturel des enfants soit bon, on peut les rendre dociles, patients, fermes, gais et tranquilles; au lieu que si on néglige ce premier âge, ils y deviennent ardents et inquiets pour toute leur vie; leur sang se brûle, les habitudes se forment; le corps encore tendre, et l'âme qui n'a encore aucune pente vers aucun objet, se plie vers

1 La suite nous montre que Fénelon avait en vue l'enfance en général, sans distinction de sexe.

le mal; il se fait en eux une espèce de second péché originel, qui est la source de mille désordres, quand ils sont grands 1.»

Si nous n'avions solidement établi, d'après l'ordre naturel et religieux, que le père et la mère sont les précepteurs nés et obligés de l'enfant, il suffirait, pour leur assigner cette tâche, de cette impérieuse raison: Que l'éducation de l'enfant commence avec la vie. Or, quel autre que le père ou la mère se pourra charger de cette éducation?

CHAPITRE V.

Dans quelle mesure peut être modifié notre principe de l'éducation des enfants par les parents.

Nous ne sommes pas tellement absolu dans notre principe (car ce qui est absolu n'est pas pratique) que nous supprimions toutes les écoles primaires du premier âge. Il est clair que là où le père et la mère n'ont pas une connaissance suffisante de la religion et par conséquent de la morale, ne savent ni lire ni écrire, il est besoin que les enfants soient formés par d'autres mains; et, à plus forte raison, si les parents ne pratiquent ni religion ni morale, qu'ils les sachent ou non. Puis, que de parents même qui pratiquent n'auront,

1 OEuvres de Fénelon. Paris, 1823, J. A. Lebel, t. XVII, p. 10 et 13.

surtout à présent, ni la volonté, ni l'énergie, ni l'ouverture d'esprit qui conviendront pour l'éducation que je propose! Enfin, des écoles sont nécessaires pour le cas où l'enfant ne pourra pas être élevé dans la famille par suite de quelque empêchement.

Mais, comme l'a dit saint Paul, ce grand éducateur des nations, la lettre tue et l'esprit vivifie; ce n'est point précisément dans l'existence des écoles primaires qu'est le grand mal ou plutôt la grande plaie de l'éducation, c'est dans l'absence totale de l'esprit de famille. Dans les campagnes, c'est à qui pourra faire de son fils un instituteur, parce que, en moyenne, les instituteurs gagnent sensiblement plus que ceux qui travaillent la terre, et ont bien moins de mal. D'un autre côté, qui ne sait que le maître d'école devient aujourd'hui un personnage dans la commune; puis il y a certaines immunités attachées à l'exercice de ses fonctions, c'est-à-dire qu'on est dans l'usage de lui donner ceci et cela; et la mère qui ambitionne pour son fils la place d'instituteur, calcule déjà dans certains pays combien il aura de mouchoirs de poche au bout de l'année, car aux baptêmes et aux mariages, c'est un cadeau qui lui est assuré. Mais il est évident qu'avec cette manière de vouer des jeunes gens à l'enseignement, on ne peut avoir des écoles dignes de ce nom. La première condition pour faire un maître chrétien, devant laquelle

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