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nommé, c'était le grand aumônier de la reine Anne d'Autriche, l'évêque de Rennes, de La Mothe-Houdancour.

Voilà beaucoup plus de raisons qu'il n'en fallait pour motiver le voyage, et Jean d'Aignan partit le 20 ou le 21 mars; le 24 il était à Bordeaux. Le 7 avril il arrivait à Paris. Jusqu'à la fin juillet il eut beaucoup d'occupations. Solliciter un peu partout afin d'obtenir que son procès intenté devant le Parlement de Paris fût transféré au Parlement de Toulouse; essayer d'obtenir que l'anneau pastoral, à lui légué, lui fût enfin remis; se défendre contre les libelles, les factums qui pleuvaient chez le nouvel archevêque, auquel on le dénonçait comme ayant vendu la justice, et je tais de pires accusations, essayer aussi sans doute de se faire maintenir dans ses charges, ce qui arriva; mais il faut reconnaître que ses mérites et sa vertu suffisaient à le recommander.

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Cependant il trouvait le loisir de donner des nouvelles, ou, comme il disait, de faire des almanachs.

Ce qu'il écrivait pour satisfaire la curiosité provinciale de ses correspondants a pour nous un autre mérite. La principale cause du procès intenté à Jean d'Aignan était dans la faveur dont il avait joui sous l'épiscopat de Dominique de Vic. Il existe des preuves incontestables de la confiance et de l'amitié du prélat envers son vicaire général. L'une et l'autre s'exprimaient dans la correspondance avec une sincérité que ne réussit pas à dissimuler la forme quelquefois fort tourmentée et bizarre de son style. Je transcris les rares lettres trouvées aux archives d'Aignan. Elles montrent les rapports affectueux que Dominique de Vic entretenait avec Jean d'Aignan et expliquent les

inimitiés qui se levèrent contre lui après la mort du prélat. L'archevêque d'Auch, malade à Ermenonville, apprend que son vicaire général est souffrant; il lui écrit aussitôt de sa propre main :

Monsieur,

Ne trouvés (1) estrange que je vous escrive de ma main affligée de mon mal ordinaire, parce que les moindres passions de lesprit vinquent les plus fortes du corps. Votre très chère lettre (mais très douloureuse) du 3° de ce mois ma comblé de la plus forte. douleur qui me pouvoit arriver. Vous ne pouvez doubter que je ne vous aye tousjours aymé des plus tendres affections de mon cœur et forces aussi, quelles ne vieillissent jamais en moy que pour y prendre de plus fortes racines parce que je ne les desvoue jamais qua la vertu et loyauté dont vous mavés donné tant de preuves quil faudroit que toutes choses reprissent leur centre (2) si je ne vous aymois avec lardeur et la force que je faix. Juges de la la douleur que ma causé votre lettre et en quel estat je puis être vous escrivant celle-cy. Quil vous suffise dans la douleur que je suis quon vous dise que lamitié que jay pour vous est sans borne et que vous voulés me rendre la réciproque vous le pouvez en me conservant la vie par la conservation de la votre. Jen continueray les ardentes prières que j'en ay faites à Dieu, et si mon esloignement moste les moyens de vous rendre mes assistances personnelles, je vous conjure et tous les votres duser de tout ce que je puis de de là plus librement que du votre, parce que je suis plus a vous qua moy mesme.

D.

si

Je prie Mons. votre frère d'excuser ma douleur si elle ne ma pas pu permettre de luy faire response par cette voie ce sera Dieu aydant par la premiere et qu'il maura donné sil luy plaist les nouvelles si désirées de votre santé.

D'Ermenonvile, ce 14 janvier 1659.

(1) Il va sans dire qu'ici comme pour les lettres de d'Aignan je respecte la graphie de l'original. Je ne m'interdis pas cependant de rectifier des fautes dues à l'inattention et d'ajouter la ponctuation et des accents.

(2) Idée inspirée par la physique du temps.

Par le courrier suivant, il écrit son chagrin à Paul d'Aignan et ses recommandations pour les soins à donner à son cher malade, sans se priver d'ailleurs d'une allusion aux querelles capitulaires :

Monsieur,

Je vous aurois plustot fait connoistre l'extreme douleur de laquelle je suis de la maladie de Monsieur votre frere, mon loyal et tres aymé grand vicaire, sans que l'extrémité de la mesme douleur m'en a arraché la plume des mains, car laymant avec la juste ardeur que je fais, sa maladie m'est un coup le plus rude qui me pouvoit arriver après la perte que jay faicte de ma sœur plus que très aymée. Mais la confiance que jay extrême de la miséricorde de Dieu me fait espérer que par le premier courrier japprendrai de vous la santé parfaite que je lui souhaite autant et plus que la mienne propre. Votre famille vous tient tous liez dun amour si parfait quil n'est pas besoing que je vous recommande sa personne. Lamitié aussi que j'ay extrême pour luy vous est assés connue pour n'espargner pour lui quoy que ce soit au monde qui dépende de moy; par conséquent si je suis si heureux de pouvoir contribuer à sa convalessence par tout ce que jay de de là qu'il en use comme maistre sans que vous m'en escriviés un seul mot. Le trouble qu'on vous donne en votre chanoynie ne m'est pas peu douloureux. Je vous ay envoyé les lettres que Mons. votre frère avoit désiré de moy pour Messieurs de Massoran (?) et Chassan, lesquelles je prie Dieu de faire cesser ce trouble, me soubmettant de plus très volontiers de me rendre caution audit sieur de Chassan pour ce que vous luy aurés baillé en eschange, sinon il faut vous défendre fortement et au cas que lesdits lettres nayent rien opéré ou le droit me manquera je vous enverrois des provisions d'un bénéfice de la Sainte-Chapelle. Je desmeureray cependant avec les recommandations que je fais à votre bonne et vertueuse mère,

Monsieur,

D'Ermenonville, janvier 1659.

Votre très affectionné serviteur,

DOMINIQUE, arch. d'Aux.

Presque tout de suite après, le même mois, il écrit encore cette lettre touchante. Il « estouffe » ses propres

douleurs pour ne songer qu'à celles de Jean d'Aignan. Il demande à Dieu sa guérison avec une ferveur qui est autant à la louange de son coeur que de sa piété :

Monsieur,

Vous m'aymés trop pour hésiter le moins du monde sur lamour extrême que j'ay pour vous dont le contre coup de la nouvelle de votre maladie ne m'a pû estre que très rigoureux. Mais comme je ne respire que le renouvellement de votre santé, j'estouffe mes douleurs pour vous conjurér de n'obmettre quoy que ce soit qui vous la puisse redonner. Ce que vous devés à Dieu pour sa gloire et son service dans le diocèze vous y oblige aussi bien que la loyalle affection que vous m'avés promise, car vous ayant esprouvé en tant d'occasions et vous aymant autant que je fais, considérés mes déplaisirs si javois à travailler sans vous. Ainsi par ces considérations du ciel et de celuy qui vous ayme de toutes les tendresses de son cœur, n'obmettés rien, je vous prie pour revenir bientost en santé. Je continueray pour cella d'implorer la miséricorde de Dieu, mesme ozé je me promettre que ne m'ayant jamais desnié l'abondance de ses grâces, il me les continuera encor en ce rencontre si désiré et utile pour sa gloire. Croyés-moy cependant comme je suis et seray,

Monsieur,

Votre très affectionné serviteur,

D'Ermenonville, janvier 1659.

DOMINIQUE, arch. d'Aux.

Et sur cette page affectueuse dictée à son secrétaire, le vénérable prélat écrit d'une main que la maladie fait encore trembler:

Si vous voulés que je vive, faites que votre frère m'apprenne bientost votre guairison, car je vous ayme et suis à vous plus qu'à moy mesme.

Je ne sais si Dominique de Vic rentra à Auch de cette année, toujours est-il que, l'année suivante, nous

le trouvons à Paris où il sacre l'orateur Le Boux promu à l'évêché de Dax, le dimanche 4 avril 1660 (1).

Le 26 août 1661, il est encore à Ermenonville. Il est toujours souffrant, mais il songe à revenir à Auch, sauf à aller, tout de suite après, se reposer à Mazères. Il ne veut pas que son vicaire général compromette sa santé en allant à sa rencontre. Il termine cette lettre affectueuse en lui donnant des instructions pour le << sieur Seguin », chargé d'un envoi de poiriers bon chrétien ».

Le «sieur Seguin » était un chanoine de Sos, résidant à Mazères et chargé de l'administration de ce domaine. A remarquer le début ampoulé de cette lettre, que nous retrouverons plus loin:

Les tranchées de l'acouchement de mon retour à vous redoublent tous les jours, j'oze dire presque toutes les heures, jugés de là de l'enfentement auquel je suis résolu, avec l'ayde de Dieu, de toutes mes affections. Je ne veux point qu'alors vous veniés au-devant de moy parce que votre personne et santé me sont trop chères; donnés ordre seulement qu'à Aux et à Mazères nos meu. bles et toutes choses y soient en si bon estat que je n'aye point d'occasion de doleur. Ma pensée est d'arriver premier à Aux qu'à Mazères parce qu'estant obligé de recevoir tous ceux qui me voudront accueillir, je le fairay plus comodément pour tous à la ville qu'à la campagne. Sept ou huit jours après, j'yray me reposer à Mazères de la fatigue du voyage. J'yray par Bourdeaux avec tout notre train à Condom, si je puis à Aux, car de me reposer un jour à Mazères pour aller le lendemain à Aux, je ne croy pas que je puisse me donner se jour de quiétude avec assurance.

Si l'affection que j'ay pour vous m'est plus douce que ne m'est mon mal douloureux, je vous laisse à en tirer la conclusion de ce qu'en commençant ceste lettre je vous ay dit qu'à cause de mon

(1) La cérémonie eut lieu dans l'église Saint-Honoré de l'Oratoire et attira dit Loret, « quantité d'évêques fameux, maintes gens à balustres, surtout des duchesses illustres, Eguillon, Villeroy, Créquy. » (Cf. A. DEGERT, Hist. des Evêques de Dax, p. 337.)

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