Images de page
PDF
ePub

exact, qu'il avoit été dressé par approximation seulement.' Les Jurés verront quel cas on peut faire de cette allégation et de ce palliatif.

Mr de Nesselrode se rendit ensuite à Erfurt avec Mr le comte de Tolstoy.

Michel s'étoit engagé à lui transmettre les promotions d'officiers supérieurs qui auroient lieu pendant son

absence.

Effectivement, deux mois après le départ de M. de Nesselrode, Michel fit un état de celles qui avoient eu lieu jusque - là; le ferma sous enveloppe, et remit le paquet à l'adresse de l'Ambassadeur; mais ayant apparemment conçu des craintes sur le sort de ces dépêches, il les reprit le même jour; et, s'il faut l'en croire, il les déchira ou les brûla.

M. de Nesselrode, de retour à Paris, desira quelques notes sur les officiers de l'armée, Michel les lui fournit.

M. de Nesselrode lui réitéra, à des intervalles assez éloignés, plusieurs demandes du même genre, et Michel chaque fois remplit ses intentions.

Enfin, il croit avoir rédigé, pour M. de Nesselrode et lui avoir remis un état de situation des différents corps de l'armée d'Allemagne.

Pour ces diverses communications, Michel dit avoir reçu quelques billets de cinq cents francs de la banque de France; il n'a pu en pu en préciser le nombre.

M. de Nesselrode fut rappelé par son Gouvernement; mais il paroît, qu'ainsi que M. d'Oubril', il avoit légué

Michel à ses successeurs.

Cet accusé a en effet déclaré que M. Krafft, secrétaire d'ambassade, le fit appeler, et le pria de continuer avec lui les mêmes relations qu'avec M. de Nesselrode.

On a vu qu'à l'époque où Michel s'étoit livré à M. d'Oubril, il étoit employé au bureau du mouvement des troupes; alors il pouvoit puiser les renseignements qui lui étoient demandés, soit dans le propre travail dont il étoit chargé, soit dans celui des autres employés du même bureau; mais il y a trois ans qu'il en fut renvoyé, après quoi il trouva moyen de se replacer dans l'administration de la guerre, bureau des habillements.

[ocr errors]

Dans cette position, il manquoit des moyens person. nels pour satisfaire aux sollicitations des agens de la

Russie.

Au lieu de tirer parti, pour son salut, de cette heureuse impuissance, il rouvrit l'abîme qu'une providence miséricordieuse avoit fermé sous ses pas, et, non content de s'y précipiter lui-même, il ne craignit pas d'y entraîner plusieurs de ses camarades.

Corrupteur à son tour, après avoir été corrompu, il s'adressa d'abord au garçon de bureau de la division du mouvement des troupes, et ne rougit pas de l'arracher à la fidélité dont jamais il ne s'étoit départi.

Michel savoit que deux fois par mois on dresse dans le bureau du mouvement des troupes un état général de la situation de toutes les armées d'après les derniers ordres de l'Empereur, et que le garçon de bureau, Mosès, dit Mirabeau, étoit chargé de porter chez le relieur, pour y être cartonné, et d'en rapporter au chef de la division ce cahier ainsi préparé, pour être remis sous les yeux de Sa Majesté.

C'est précisément ce travail important, dont Michel a imaginé d'intercepter le secret à l'Empereur, pour le livrer aux étrangers.

Quoique les pas et les instants du garçon de bureau fussent comptés scrupuleusement, Michel trouve le moyen, en lui faisant doubler de vitesse, de gagner trois quarts d'heure ou une heure, pendant laquelle il se rend

maître du secret de l'Etat et extrait du livret les notes les plus essentielles. Ce larcin fut répété plusieurs fois.

Mosès, qui ne sait pas lire, croyoit que Michel cher choit à découvrir dans ce livret un parent riche célibataire, dont il se disoit l'héritier présomptif, et chaque communication étoit récompensée par cinq ou six francs que Michel donnoit à Mosès, pour la revendre ensuite aux agents de la Russie.

Mais le chef de division crut s'apercevoir de quelque lenteur dans la marche du garçon de bureau, et ce ne fut plus Mosès qui fut chargé de porter le livret chez le relieur; cette mission fut donnée à un commis, à qui Michel craignit de demander la même communication,

parceque, sans doute, il le présuma inaccessible à la corruption; et néanmoins, il paroît que la négligence du commis, ou sa trop grande confiance dans Mosès, qui l'accompagnoit chez le relieur, donna encore à Michel l'occasion de fureter le mystérieux livret.

Au reste, Michel, ne pouvant plus compter sur cette ressource, s'en ouvrit de nouvelles dans le bureau des revues et dans celui des mouvements.

Il avoit connu le nommé Salmon, commis expéditionnaire dans le premier de ces bureaux, et le nommé Saget, employé dans le second.

Il se rapprocha de ces commis, et les attira chez lui. Il demanda d'abord à Salmon, au commencement de 1811, une note des régiments d'infanterie de l'armée d'Allemagne.

Salmon lui envoya cette note.

Depuis, Salmon lui communiqua très fréquemment, et tous les quinze jours au moins, un cahier sur lequel il tenoit note des ordres du départ des troupes de l'inté rieur, et des époques de leur arrivée à la destination qui leur étoit fixée.

M. Krafft voulut connoître la force du train d'artillerie; Salmon fit un relevé général qu'il donna à Michel, et ce dernier le transmit à M. Krafft.

Salmon remit à Michel, en octobre dernier, la copie d'un état de tous les corps militaires ayant droit à la masse d'habillements, et divisés par arme. Cette copie fut encore transmise à M. Krafft.

Dans le courant de décembre, Michel chargea Salmon de dresser un état général de l'armée d'Allemagne, divisée alors en deux corps, sous la dénomination de 1er et 2o corps d'armée d'observation de l'Elbe; Salmon fit le travail sur des notes qui étoient en la possession de Michel.

Ces notes provenoient du bureau des mouvements des troupes, et avoient été communiquées à Michel par Saget.

Aussitôt que cet état fut achevé, Michel l'apporta à M. Krafft. Vers le mois de janvier de la présente année, Saget fournit à Michel d'autres renseignements sur l'emplacement et la force de plusieurs corps devant faire

partie de l'armée d'Allemagne à l'organisation de laquelle on travailloit.

Ces renseignements étoient destinés pour M. Krafft; Michel les lui remit.

Vers la fin du même mois de janvier, Michel fut instruit que la nouvelle organisation de l'armée d'Allemagne étoit terminée, et M. Krafft sollicita Michel de lui en procurer le tableau.

Michel s'étoit jusque-là contenté de recevoir de temps à autre de M. Krafft diverses sommes de cinq cents francs chacune; mais lorsqu'il fut question de lui fournir l'état de cette derniere organisation de l'armée d'Allemagne, Michel obtint une rétribution bien plus considérable; car c'est à cette époque que se place le paiement des six mille fr. que, dans son interrogatoire du 11 mars, il a dit avoir reçus il y a un mois de M. Krafft.

Le travail de cette organisation avoit été fait dans le bureau des mouvements des troupes, où travailloit Saget. Les feuilles minutes de ce travail se trouvoient alors distribuées à des commis expéditionnaires, pour les mettre au net. Ces commis, lorsqu'ils quittoient le bureau, laissoient ces feuilles dans leurs cartons. Saget travailloit au bureau jusqu'après la sortie des autres employés, et quand il s'y trouvoit seul, il fouilloit dans les cartons de ses camarades, y prenoit les minutes de cette nouvelle organisation, et les portoit à l'instant chez Michel, qui s'occupoit de suite à en faire la copie. Saget les retiroit le lendemain matin des mains de Michel, et à l'arrivée des employés au bureau, ces feuilles étoient déjà rétablies dans les cartons. C'est ainsi que tout le travail de la nouvelle organisation de l'armée d'Allemagne, à l'exception de celui du quatrieme corps, a été mis à la disposition de Michel, qui en fit dresser un tableau par Salmon. Ce tableau comprenoit les noms des généraux en chef de chaque corps d'armée, des généraux commandants chaque division, et la nomenclature des corps de toutes armes, par régiments et par bataillons; et comme Saget n'avoit pu procurer à Michel la force de tous les corps, Salmon y suppléoit pour ceux où manquoit ce dénombrement.

C'est la confection de ce tableau, terminé le 17 février dernier, que Michel a designé sous la dénomination de grand travail, et qu'il a déclaré avoir remis à M. Krafft.

Saget a prétendu n'avoir donné aucun renseignement depuis cette époque. Il s'est sur-tout défendu avec obstination d'avoir jamais rien donné sur la Garde Impé riale, dont la derniere organisation a été remise à M. de Czernicheff, le jour de son départ, par Michel, qui avoit passé la nuit à copier ce travail, ainsi qu'il le déclare, sur les minutes que Saget avoit déplacées de son bureau et soustraites des cartons des autres employés. Saget, convaincu par cet aveu de Michel et par la déclaration du garçon de bureau, s'est retranche à dire qu'il ignoroit que ces minutes comprissent la Garde Impériale.

Salmon, de son côté, avoit remis à Michel un état du train d'artillerie par corps, le nom d'un bataillon partant de Paris pour se rendre à l'armée, et l'état général de la situation des corps de toutes armes composant la Garde Impériale; mais à une époque antérieure à la derniere organisation.

Toutes ces communications de la part de Michel ont nécessité une correspondance entre lui et les agents russes. C'est le nommé Wustinger, d'abord valet de chambre de M. de Nesselrode, et ensuite concierge de l'hôtel Telusson, qui a été constamment chargé de porter les dépêches respectives.

Dans le même temps que ces intelligences étoient suivies par l'entremise de M. Krafft, un autre agent de la Russie, M. de Czernicheff, venu de Pétersbourg avec des indications de M. d'Oubril pour entrer en relation directe avec Michel, chercha à le voir, se le fit amener, et dès la premiere conférence M. de Czernicheff le sollicita de lui communiquer, à l'insçu de M. Krafft, les mêmes renseignements qu'il donnoit à ce secrétaire; Michel n'y manqua pas, et sut mettre ainsi doublement à profit sa coupable industrie.

M. de Czernicheff ne craignit pas de s'annoncer à Michel comme le favori de l'Empereur de Russie, et de flatter ce commis de l'espoir d'une pension considérable de la part de son maître. Aussi Michel lui communiquoit-il

« PrécédentContinuer »