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Michel ne s'adressoit pas seulement à Saget, mais encore à Salmon, mais aussi à Mosès; mais il les consultoit séparément, jamais il ne les a réunis, jamais il ne leur a donné à entendre que tous ensemble concouroient à réunir au profit d'une puis sance étrangere, les éléments d'un travail complet sur les forces militaires de la France : chacun d'eux, en un mot, ignoroit les communications que Michel tiroit des autres.

Si les coaccusés de Michel n'ont jamais agi de concert entreeux, ils n'ont pas davantage agi d'intelligence avec les agents de la Russie; jamais ils n'ont parlé à aucun de ces agents; jamais ils n'en ont reçu aucun argent; jamais il n'ont soupçonné que' Michel fût en rapport avec eux.

Eh! comment 'se seroient-ils défiés de Michel, de Michel employé au ministere de la guerre depuis plus de 20 ans, de' Michel en possession de la confiance de ses chefs; de Michel qu'ils aimoient comme un camarade, qu'ils respectoient comme lenr ancien ? comment s'en seroient-ils défiés surtout, lorsque Michel à l'aide d'un adroit roman, les dépaysoit en leur faisant croire qu'ils ne rendoient qu'un bon office à un fournisseur exact à s'en montrer reconnoissant.

Ainsi toutes les circonstances eonnues, du fait tel qu'il est présenté, loin d'établir la culpabilité de Saget, se réunissent pour écarter toute idée de complicité entre lui et Michel.

Voyons maintenant quels renseignements il a donué.

Suivant l'arrêt de mise en accusation, Saget a procuré à Michel, depuis environ 6 mois, des états de situation de l'armée›› d'Allemagne, d'après les dernieres organisations; il a fourni des renseignements sur les officiers supérieurs qui y sont ou qui doivent y être employés; il a même porté l'infidélité jusqu'à extraire de son bureau et à confier à Michel les travaux sur l'organisation et la situation de cette armée en général et de la Garde-Impériale en particulier.

Au reproche d'avoir donné un tableau de l'Etat-Major de l'armée d'Allemagne, Saget fait observer que ce tableau ou plutôt ce croquis n'étoit que sur deux feuilles, et qu'il étoit impossible qu'un tel travail, si, comme on le prétend, il eût été complet, pût tenir aussi peu d'espace.

et

Au reproche d'avoir pris dans les cartons de son bureau, d'avoir livré à Michel des minutes concernant la Garde-Impé→: iale; il répond, qu'à la vérité, il s'est permis une ou deux fois d'emporter le travail qui se trouvoit dans les cartons de son burcau, mais qu'il l'a fait avec tant de précipitation, que soit en le prenant, soit en le confiant à. Michel, soit en le réinté

grand, il n'a jamais ni le loisir ni la curiosité de s'assurer sí ce travail concernoit ou non la Garde-Impériale.

Il me semble, Messieurs, que Saget aurait pu ne point s'exposer sur ce point, aux contradictions qu'on lui reproche, et ne se livrer à aucune dénégation des faits: car, une fois avéré, une fois prouvé qu'il a donné quelques renseignements même de détail, qu'il a pris dans un seul ou dans plusieurs cartons, il me semble qu'on ne peut ni l'inculper davantage, ni le défendre mieux par la raison que cette indiscrétion auroit été répétée plus ou moins souvent.

Tout un ou tout autre il faut qu'il ait su ou qu'il n'ait pas su l'emploi criminel qu'on faisoit des renseignements qu'il donnoit ou procuroit; au premier cas il est complice; au second cas, il ne l'est point.

Je sais qu'on argumente contre lui de la multiplicité et de l'étendue des renseignements qu'il a donné. Mais vous savez aussi, Messieurs, puisque le point est demeuré constant aux débats, vous savez avec quelle sagesse on avait dans les bureaux du ministere tellement départi et divisé la besogne entre tous les employés, que chacun d'eux ne pouvoit avoir que des notions incomplettes, et se trouvoit par conséquent dans l'heu reuse impuissance de livrer le secret d'une opération entiere.

Ainsi par la déposition du chef même de Saget, il est demeuré constant que ce dernier, employé au bureau du mouvement, n'avoit à sa disposition que des cadres ou talons sans forces ; où se trouvoient seulement numérotés les divers corps. Or c'étoit surtout les forces qu'il importoit à la Russie de connoitre, et voilà pourquoi Michel avoit recouru à Salmon qui comme employé au bureau des revúes pouvoit aisément suppléer à ce qui manquoit aux renseignements de Saget.

Qu'on ne dise donc plus que Saget a donné à Michel des renseignements complets; il ne lui a jamais procuré que des états sans forces, que Michel remplissait ensuite, soit à l'aide des communications qu'il obtenoit de Salmon et de Moses, soit avec les renseignements qu'il se procuroit lui même en consultant le livret qu'il dit avoir eu à sa disposition.

Ainsi tombent toutes les inductions tirées contre Saget, de ce que, à la nature, à l'étendue, à la multiplicité des ren-. seignements qu'il donnoit, il auroit dû soupçonner que ces renseignements devoient intéresser plus qu'un fournisseur.. Ce qui acheve surtout de repousser toute idée que Saget ait crû travailler pour la Russie, c'est la modicité des sommes qu'il a reçues.

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Concevez-vous, en effet, Messieurs, qu'un employé à qui

son prince donne 2000 fr. par an d'appointements, aille révé, ler le secret de l'Etat, c'est-à-dire, commettre le plus grand et le plus funeste de tous les crimes pour une somme de 400 francs?

Il résulte cependant, soit de la déclaration de Michel, soit de celle de Saget, que ce dernier n'a reçu que 400 fr,, dont moitié seulement pour les renseignemens qu'il fournissoit, et l'autre moitié pour des travaux étrangers au ministère, que Michel lui avoit d'abord procurés, pour mieux s'insinuer dans sa confiance. C'est donc pour 200 fr, que Saget auroit risqué sa place et sa tête; et encore MM., remarquez je vous prie, que si, à la longue et au bout de six mois, le total des sommes données à Saget, s'est élevé à 200 fr., cependant il n'a point reçu cette somme en un seul paiement : elle lui a été donnée par pièces de 5 fr. et même de 30 sous.

Or, le crime a été commis le premier jour où Saget a reçu la premiere somme pour le premier renseignement qu'il a donné: c'est donc pour 30 sous, ου si l'on veut pour 5 fr. que Saget auroit compromis le secret de l'Etat, et auroit luimême encouru la peine de mort!

Assurément si Saget, au lieu de croire ne servir qu'un fournisseur, eût cru servir une puissance telle que la Russie, il ne se serait pas contenté de ces minces rétributions; il auroit exigé de Michel le partage des sommes que celui-ci avoit reçues; et commettant le crime il eût voulu y mettre un prix moins disproportionné.

Mais, dit-on, cette modicité de prix n'est pas prouvée; peut-on, en effet, s'en rapporter à Saget qui dit n'avoir reçu que 200 fr., et à Michel qui soutient n'avoir pas donné davantage ?

Eh bien! Messieurs, ne croyez ni l'un ni l'autre, j'y consens; mais alors ne croyez rien du tout; car vous remarquerez que le fait d'une somme quelconque donnée par Michel et reçue par Saget, n'est établi que sur leurs décla rations; si donc vous n'y avez aucun égard, il s'ensuit que vous n'avez plus rien pour composer votre conviction. Que si, au contraire, en l'absence de toute autre preuve, vous reconnoissez qu'en effet, il n'est pas justifié que Saget ait reçu plus de 200 fr. qu'il avoue avoir touché, vous admettrez ma conséquence, et vous serez convaincus que si Saget a donné des renseignements pour cette somme, c'est qu'il ne savoit pas que Michel dût en faire un emploi criminel.

Quels ménagements, au contraire, quelles précautions Michel ne prenait-il pas pour lui faire accepter cette modique

somme. Je suis payé par Delpont, disoit il, c'est son argent que je vous donne, et je ne puis garder pour moi seul des sommes qui me sont données pour être réparties entre ceux qui m'aident de leurs renseignements.

Je sais que sous ce second point de vue Saget ne serait pas innocent du crime prévu par l'article 177 et dont il est subsidiairement accusé; mais autre chose est de recevoir de l'argent pour des actes illicites ou même licites qui ne sont pas sujets à salaire; autre chose est de trahir son prince et son pays.

Gardons-nous donc de confondre ce que la loi a distingué si soigneusement.

Elle suppose trois cas bien différents.

Le premier, lorsqu'un employé a fait un acte même illicite, mais l'a fait gratuitement.

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Le second, lorsqu'un employé ou fonctionnaire a reçu dons ou présens pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire.

Le troisième, lorsqu'un employé ou fonctionnaire a coopéré, sciemment, à l'exécution d'un crime ayant pour but de livrer le secret de l'Etat aux étrangers.

Dans le premier cas, la loi ne prononce aucune peine, seulement l'employé peut être destitué.

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Dans le second cas,

mante.

l'article

177 prononce une peine infa

Dans le troisieme cas, les articles 59, 60, 76 et 80 prononcent la peine de mort, tant contre celui qui a trahi l'état, que contre ceux qui l'ont, avec connoissance de cause, aidé à le trahir. Saget n'est donc pas dans le premier de ces trois cas ; point agi gratuitement.

il n'a

Il est dans le second, puisqu'il a reçu de l'argent; Mais il n'est pas dans le troisieme, puisque rien ne prouve qu'il ait agi avec connoissance du crime imputé à Michel, et que tout, au contraire, donne à penser qu'il a toujours ignoré les rapports de Michel avec les agents de la Russie.

Ainsi donc, alors même que vous déclarerez qu'un crime -d'Etat a été commis, vous déclarerez en même temps qu'il n'est point constant que Saget y ait coopéré avec connoissance de

cause.

c'est

Ce crime est horrible sans doute; mais plus un exemple est nécessaire ici, plus il importe de ne le donner qu'avec certitude. Quand le crime est prouvé et l'accusé convaincu, alors que la punition est efficace, parceque le peuple, convaincu -lui-même, unit ses exécrations à la sentence des juges : mais si, au contraire, on s'est contenté de présomptions vagues, d'indices

peu certains, de conjectures hasardées, l'effet n'est plus le même; et le peuple, passant subitement de l'indignation à la pitié, cesse d'applaudir à la mort des coupables, pour ne plaindre que le sort de ceux qu'il regarde comme innocents.

Telles sont les dernieres pensées auxquelles je m'abandonne devant vous, Messieurs; vous les peserez dans votre sagesse; et, quelle que soit l'horreur que vous inspire la trahison, vous ne croirez pas la France intéressée à trouver plus d'un coupable là où il sera trop malheureux d'en rencontrer un senl.

Séance du 14 avril 1812.

PLAIDOYER

De M. PRIEUR (de la Marne) pour l'accusé Salmon.

MESSIEURS,

Salmon, que je suis chargé de défendre, doit-il être considéré comme complice des intelligences criminelles dont est accusé le nommé Michel?

Telle est la premiere question que j'ai à discuter devant vous.

Discuter devant vous! l'expression est peut-être hasardée. En effet, soit que la loi considere l'instruction antérieure à l'acte d'accusation, soit que l'on se reporte à cette accusation même, soit qu'on se rappelle les débats qui ont eu lieu dans cette enceinte, et sur-tout cette exposition lumineuse qui vous a été faite de l'affaire, nulle part on ne trouve la moindre trace de la complicité de Salmon; et déja, j'ose le dire, dans vos consciences son innocence est re

connue.

Mais il est un autre aspect sous lequel il doit être défendu : et alors se présente une seconde question, celle de savoir, si, en sa qualité de préposé d'une administration publique, il a reçu de l'argent pour faire des actes de son emploi non licites et non su jets à salaire, et s'il est exposé aux conséquences prévues par l'article 177 du Code pénal.

Avant de me charger, messieurs, de la défense de Salmon, j'ai examiné avec l'attention la plus scrupuleuse quels étoient les

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