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fense. Il devoit être mis en accusation, il devoit figurer dans cette enceinte, pour y expier du moins la légereté, l'inconséquence dont il s'étoit rendu coupable, et pour apprendre à mieux déplorer les torts involontairesqu'il avoit eus : il a donc été justement mis

en accusation.

Ainsi, c'est l'acte d'accusation qui fournit un second ordre d'éléments dans lesquels nous devons aller puiser les preuves de la culpabilité ou de l'innocence de Salmon.

Si nous nous reportons à cet acte, nous y trouvons encore le germe salutaire de sa défense, le germe salutaire des preuves de son innocence.

L'acte d'accusation contient, d'après les déclarations, le détail des notes qu'il a fournies, des renseignements qu'il a donnés, des états qu'il a dressés; mais cet acte, rédigé avec la justice et l'impartialité qui caractérisent tous ceux qui émanent de la Cour Impériale, après avoir exposé les circonstances qui pouvoient incriminer Salmon, met en même temps sur sa plaie le baume salutaire de l'espérance; il contient aussi les motifs qui doivent venir à sa décharge.

C'est ainsi que l'on retrouve dans cet acte d'accusation ce propos qui avoit été tenu par l'accusé Michel à Salmon, pour lui prouver qu'il ne s'agissoit d'autres relations que celles qu'il avoit annoncé exister entre lui et Delpont:

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L'armée va toute entiere en Allemagne; cette armée se four«<nira là-bas : le crédit de la maison Delpont va s'écrouler; adieu « les rétributions que je tirois de mes travaux pour elle; adieu "mon aisance je vais être réduit à mes appointements ! »

C'est ainsi que, par suite du même esprit de justice, on retrouve dans l'acte d'accusation cet autre fait, que « Michel avoit proposé « à Salmon, pour le salaire de ses travaux manuels, deux aunes « de drap ou une redingotte tous les six mois ». Fait accompagné de cette juste réflexion du rédacteur:

« Cette proposition étoit propre à entretenir Salmon dans la « croyance que tout les objets dont il se mêloit, ne pouvoient être « relatifs qu'à l'entrepreneur Delpont ».

En effet, remarquez ici, Messieurs, le concours de circonstances propres à le tromper; c'est un employé au bureau de l'habillement qui lui propose une redingotte de la part d'un fournis ́seur d'habits. Il étoit impossible qu'il ne fût pas persuadé qu'il n'étoit question que de relations avec un fournisseur d'habille

'ments.

C'est d'après ce même esprit de justice et d'impartialité, que l'on trouve encore dans l'acte d'accusation cette antre réflexion : Qu'il y a une grande différence entre Salmon et un autre des

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prévenus; que Salmon, dès le commencement de ses interro «< gatoires, n'a cessé de révéler toute la vérité; que Salmon est allé << même au devant des questions qui lui étoient faites, et a fourni « à la justice tous les renseignements qui lui étoient nécessaires arriver à la découverte de la vérité ».

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Oh ! je l'avoue, Messieurs, ce n'étoit qu'en tremblant que j'avois abordé la lecture de l'acte d'accusation qui frappoit sur le malheureux Salmon. L'estime dont sa famille jouit dans le pays qu'elle habite, m'avoit d'abord tranquillisé, mais je n'ai pu jeter les yeux sur cet acte,sans un certain frémissement d'inquiétude; il n'est. pas un de nous qui ne l'éprouve, lorsque nous sommes obligés de nous livrer à cette espece de travail; nous connoissons tous l'espece d'oppression dont nous sommes atteints, à mesure que nous voyons la progression des charges qui s'élevent contre l'infortuné que nous sommes appelés à défendre.

Semblables à un voyageur qui gravit avec peine une montagne extrêmement escarpée, nous sommes prêts à succomber sous le poids de la fatigue; mais quand nous trouvons dans l'acte d'accusation quelques réflexions rassurantes, nous ne sentons plus que le bonheur de défendre l'innocence.

Telle est l'impression que j'ai éprouvée à la lecture progressive de tous les faits consignés dans cet acte d'accusation rédigé avec tant de justice, avec tant d'impartialité. Dès-lors je n'ai plus balancé à venir devant vous défendre Salmon ; et je remplis ce devoir avec d'autant plus de satisfaction, que je suis convaincu que déja vos consciences me disputent la tâche honorable que je me suis imposée.

Ainsi, les deux premiers éléments dans lesquels nous avons cherché des renseignements, sont tout-à-fait favorables à la justification de l'infortuné Salmon, et à mesure que nous avançons les nuages qui planoient sur sa tête se dissipent, et son innocence jaillit de toutes parts.

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Quel est le troisiemé élément dans lequel nous devons encore aller puiser quelques moyens de justification ?

Oh! sans doute, c'est dans les débats; et c'est ce que porte l'acte

d'accusation:

« C'est aux débats que Messieurs les Jurés seront à même d'ap«précier les moyens de justification de Salmon ».

Eh bien! Messieurs, ces débats ont eu lieu devant vous; vous avez entendu les dépositions de tous les témoins, il y en avoit dix: pas un seul ne s'est exprimé de maniere à élever le moindre soup. çon sur l'innocence de Salmon.

Vous avez entendu l'accusé Michel persister dans les déclara

tions qu'il avoit faites dès le commencement de la cause, persister dans cette déclaration que Salmon n'avoit jamais eu aucune espece de connoissance de l'objet des travaux qu'il avoit faits pour lui.

Il étoit possible que cette déclaration de Michel fût considérée comme la suite et l'effet d'un de ces principes de générosité qui se retrouvent quelquefois jusque dans l'extrémité du malheur; il étoit possible de croire qu'il n'avoit pas voulu entraîner avec lui et dans sa chûte le malheureux Salmon. Mais tout s'est éclairci dans les débats; vous avez entendu le témoin Wustinger. Vous avez vu l'aigreur qui a existé entre lui et Michel.... Mais il y a eu du moins cela de consolant pour Salmon, que Wustinger est venu confirmer cette vérité bien essentielle pour sa défense, qu'il avoit cru travailler pour le fournisseur Delpont. Tout est éclairci. La déclaration de Michel corroborée d'ailleurs par toutes les circonstances de la cause, et qui eût été vainement contraire à la vérité, s'est trouvée confirmée par celle de Wustinger.

Tous les soupçons se sont dissipés, Salmon est innocent.

Il est cependant encore un quatrieme point dans lequel nous pouvons encore aller puiser les éléments de sa justification.

Si quelques doutes pouvoient encore s'élever sur cette justification, ils seroient bientôt dissipés. J'ai été précédé dans la carriere de sa défense par l'éloquent organe de la justice elle-même, qui, dans l'exposition qu'il vous a fait de cette affaire, a mis le sceau à la démonstration de cette vérité, que Salmon ne peut plus être considéré comme complice du crime d'intelligence imputé à Michel.

Vous avez entendu; Messieurs, vous avez recueilli dans vos consciences, et vous n'oublirez pas dans l'examen des questions qui vous seront soumises, ces paroles aussi intéressantes que rémarquables:

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Quant à Salmon, il est certain qu'il n'a fourni que son propre travail, qu'il n'a pas fouillé dans les cartons de ses confreres. Il <«< est certain qu'il a toujours dit vrai. Il n'a jamais varié. Le 16 février il avoit promis de revenir le lendemain, et il attachoit si peu d'importance au travail dont il étoit chargé, qu'il fallut << courir toute la ville pour le trouver.

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« Le genre de récompense, savoir, deux aunes de drap ou « une redingotte, prouve qu'il étoit dans la bonne foi. Michel lui « disoit : Voilà les troupes qui s'en vont toutes en Allemagne, elles vont bientôt se fournir là-bas ; et alors cette maison Delpont s'écroulera. Adieu mon aisance! je resterai avec mes appointe

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«ments.

• On voit, vous a-t-on dit encore, que Michel a suivi avec Sal

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<< mon, et jusqu'à la fin, la même dissimulation. On ne peut donc reprocher à Salmon que la légereté et l'inconséquence avec lesquelles il a cru Michel ».

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Telles sont les paroles précieuses que j'ai recueillies hier dans cette enceinte ; et à Dieu ne plaise que je cherche à les altérer par des explications qui ne pourroient que diminuer la force des conséquences qui en résultent.

Le premier sentiment qui doit animer l'infortuné Salmon, c'est de concentrer dans son cœur la reconnoissance que lui a inspiré cet acte de justice auquel il doit sa justification. Mais un autre devoir aussi impérieux pour lui, c'est de déplorer toute sa vie les erreurs où sa crédulité a pu l'entraîner; c'est de regretter les conséquences funestes qui pouvoient résulter pour sa patrie de la légereté avec laquelle il avoit agi; et ce sentiment gravé profondément dans son cœur durera autant que celui de la reconnoissance qui lui a été inspirée par la justice et les soins qui ont été employés pour parvenir à la découverte de la vérité.

Ainsi s'écarte donc toute présomption de complicité envers l'infortuné Salmon; il en est complètement justifié, et son innocence va reparoître dans tout son jour. Il pourra encore retourner dans Vertus, sa patrie, il pourra encore aller se jeter avec honneur dans les bras d'un pere, dont les larmes lui ont déja fait cruellement expier les suites funestes de son inconséquence.

Il pourra reparoître parmi tous ses concitoyens avec l'honneur, qui est le premier besoin d'un cœur françois; il y reparoîtrà avec gloire, lorsque l'on saura que le soupçon de trahison qui avoit plané quelques instants sur sa tête, n'étoit que le résultat d'apparences trompeuses, qui l'avoient confondu avec le crime, quand il étoit innocent.

Pourquoi faut-il qu'après avoir rempli cette premiere partie de la tâche qui m'est imposée, après être parvenu à démontrer l'innocence de mon malheureux client, sous le rapport de la complicité de trahison, je sois encore obligé de le justifier d'un autre crime qui lui est imputé, d'avoir, en sa qualité de préposé d'une administration publique, reçu de l'argent pour faire des actes de son emploi non licites et non sujets à salaire ?

Ah! Messieurs, combien ce second chef d'accusation empoisonne la satisfaction qu'avoit donnée à tous les cœurs la discussion sur le premier !

Tel est donc, nous disons-nous, l'effet funeste d'un premier écart, l'effet d'une premiere inconséquence et d'une légereté même à laquelle nous pouvons nous abandonner, qu'un premier précipice - n'est pas plutôt ouvert sous nos pas, qu'un autre se présente encore, et que quand on s'est écarté un instant de cette prudence

qui, comme une sentinelle vigilante, devroit sans cesse présider à toutes nos actions, on s'expose à tous les dangers, à toutes les humiliations, et que, semblable à un vaisseau sans voile et sans mâts, on erre dans la vie comme ce vaisseau même, au gré des vents et des flots..

Passons maintenant, Messieurs, au second chef d'accusation dirigé contre l'infortuné Salmon: sur-tout ne perdez pas de vue que s'il n'a agi, relativement au premier chef, qu'avec inconséquence, qu'avec légereté, il est impossible de supposer que l'intention du crime ait pu entrer dans son ame, relativement à un chef d'accusation qui a beaucoup moins de gravité.

Examinons la loi.

<< Tout fonctionnaire public (dit l'art. 177) de l'ordre admi<< nistratif ou judiciaire, tout agent ou préposé d'une adminis<< tration publique, qui aura agréé des offres ou promesses, ou reçu « des dons ou présents pour faire un acte de sa fonction ou de << son emploi, même juste et non sujet à salaire, sera puni, etc. » Telles sont les dispositions de cette loi; et si nous les rapprochons de la conduite de Salmon, il semble, au premier coupd'œil, que ces expressions de l'art. 177, ne peuvent y recevoir aucune application.

Quelle a été l'intention du législateur dans cet art. 177? Elle est manifeste. Elle a eu pour objet d'empêcher, par exemple, un employé au bureau de l'administration de la guerre, de recevoir des offres, des promesses, des dons ou présents, pour faire un acte de sa fonction.

Si nous examinons quelle est la nature de l'acte qui a été fait par Salmon dans les relations qui se sont malheureusement établies entre lui et l'accusé Michel, nous n'y voyons pas que l'accusé Salmon ait fait un acte ou fonction qui fût de son emploi.

Les travaux qui ont été faits chez Michel l'ont été à des heures où les fonctions de Salmon, comme employé au bureau, étoient terminées ; c'étoit un temps qui étoit absolument à sa disposition. Il n'a point fait un acte de son emploi en copiant des tableaux, quoiqu'ils eussent pour objet des relations avec un fournisseur.

D'un autre côté, Messieurs, il faut considérer quelles étoient, dans ce moment, que nous pouvons appeler de liberté, les occupations de l'infortuné Salmon.

Salmon, ayant une très belle main, faisoit des grosses pour les avoués, des mémoires pour toutes personnes qui l'en chargeoient, et il en tiroit une rétribution qui étoit innocente.

Je n'ai pu, a-t-il dit dans ses interrogatoires et dans sa défense, je n'ai pu jamais soupçonner que le salaire que je recevois de la part de Michel, pour les travaux manuels que je faisois pour

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