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Non, messieurs: et, si vous aviez seuls entendu ces étranges théories, nous respectons assez la droiture et la fermeté de votre jugement, pour croire qu'il étoit superflu de répliquer à Michel; mais il se glisse dans un nombreux auditoire quelques individus sans principes et sans caractere, il est bon que le magistrat chargé des intérêts publics, et armé de la censure, prémunisse les foibles et les honimes enclins au mal, contre une morale dont probablement on n'a pas senti tous les dangers.

Est-il nécessaire, après cela, d'entrer dans les distinctions qui vous ont été présentées entre l'ancienne et la nouvelle loi ?

Les crimes de Michel se sont perpétués sous deux législations; mais ces législations sont entre elles en harmonic.

La premiere question qui vous sera proposée est absolument indépendante et de la qualité de la personne et de son état, et de la maniere dont l'accusé a procuré les révélations qu'il a fournies aux étrangers.

Il suffit qu'une personne quelconque ait entretenu des intelliligences, non pas avec les ennemis, mais avec des étrangers, à l'effet de leur procurer les moyens d'entreprendre la guerre contre la France, pour qu'elle soit dans le cas de la loi.

Ainsi vous le voyez, messieurs, cette disposition s'applique à Michel, soit qu'on le considere comme employé de la guerre, soit qu'on l'envisage comme un simple particulier; et les deux législations, à cet égard, sont absolument uniformes: celle de 1791, celle de 1810 n'ont aucune différence sur ce point; on n'a done pu essayer, sous ce premier point de vue, la justification de Michel, que sur la question intentionnelle; et vous savez comment on y a réussi.

Quant à l'autre question, qui vous sera également présentée, et qui est celle de savoir s'il est coupable d'avoir livré aux agents d'une puissance étrangere le secret des expéditions militaires de la France, dont il étoit instruit à raison de son état.

On a voulu équivoquer à cet égard, et prétendre que Michel n'étoit point instruit du secret à raison de son état; que d'abord l'ancienne législation parloit déterminément des fonctionnaires publics; mais que Michel n'étoit pas fonctionnaire public, attendu qu'avant la nouvelle loi on n'avoit jamais considéré comme tels les simples employés d'une administration; que, d'un autre côté, et depuis la nouvelle législation, Michel n'étoit pas instruit à raison de son état, attendu qu'il n'appartenoit plus au bureau du mouvement où s'étoient puisés les documents qu'il avoit fournis. Mais, messieurs, Michel lui-même, d'une part, avoit été longtemps an bureau du mouvement. Trois ans seulement se sont écoulés depuis qu'il en est sorti; alors il n'est point devenu étran

ger aux opérations de la guerre, puisqu'il est rentré dans l'administration de la guerre, bureau des habillements; de plus il a conservé ses anciennes relations dans le bureau du mouvement; la familiarité, l'habitude de l'y voir, son ancienne qualité lui en maintenoient l'entrée. Aussi est-ce uniquement en considération de son ancien titre qu'il a obtenu de Saget et Salmon, ainsi qu'ils vous l'ont déclaré, les communications qu'ils lui ont faites.

Enfin, ne vous a-t-il pas dit lui-même qu'il avoit puisé une partie de ces renseignements dans le livret qui existoit dans les différents bureaux, et notamment dans le sien? Or, comment avoit-il connoissance, de ce livret de son bureau? Il est bien évident que c'étoit à raison de son état; il ne peut donc éviter de tomber ni dans l'une ni dans l'autre disposition de la loi.

Saget a voulu repousser la complicité dont il est prévenu. Il a dit que Michel, qui a toujours soutenu que lui Saget étoit dans l'ignorance de l'usage des renseignements fournis, devoit en être

cru.

Car pourquoi croire Michel, s'est-il écrié, quand il s'accuse lui-même, et ne pas le croire quand il disculpe ses coaccusés?

La raison de différence est d'abord en fait que Michel a, dès le principe, accusé Saget, et que ce n'est qu'en se contredisant luimême qu'il vient le disculper.

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On lit, en effet, dans un de ses interrogatoires:

« La légèreté de cet homme, la vanité insupportable de monsieur Czernicheff me tourmentoient. Quelquefois, avec Saget, << nous nous faisions part de nos inquiétudes; Saget craignoit quelque indiscrétion, et les suites que cela pourroit avoir.

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Peut-on accuser d'une maniere plus formelle et plus explicite le nommé Saget d'avoir connu tout l'objet des instructions provoquées par Michel, et la destination des révélations qu'on lui faisoit!

Il est bien vrai qu'ensuite Michel a voulu revenir sur ses pas, et a prétendu que Saget étoit dans l'ignorance; il a voulu substituer Wustinger à Saget dans leurs épanchements confidentiels; mais Wustinger vous a dit lui-même, messieurs, que Michel ne lui. avoit témoigné aucune inquiétude de ce genre, avant que le secret de la trahison n'eût été éventé, et qu'on n'eût arrêté le domestique de monsieur Czernicheff, depuis le départ de son maître. C'est alors seulement que Michel lui a manifesté ses inquiétudes; mais jusques-là, loin de témoigner de l'appréhension et de la crainte, il avoit au contraire cherché à rassurer Wustinger, dans le cas où il auroit conçu quelques alarmes par lui

même.

Il lui disoit que «lui (Wustinger) n'avoit rien à craindre,

<< parcequ'il ne faisoit que servir son maître; que pour lui Michel, « il ne faisoit que ce qu'un autre auroit fait, que ce qui se pratiquoit ordinairement; que les ambassadeurs étoient payés pour cela; et que, s'il ne se livroit pas à ce genre d'industrie, un autre s'y livreroit >>

Et lors qu'ensuite de ce démenti donné à Michel, on rapproche toutes les circonstances de la conduite du nommé Saget; lorsqu'on voit l'étendue, la nature et la variété des communications qu'il faisoit au nommé Michel, doit-on croire sérieusement qu'il pouvoit rester dans l'aveuglement sur l'objet de ses communications, lui sur-tout qui connoissoit toutes les parties du service, qui avoit travaillé dans le bureau du mouvement et dans l'administration de la guerre, qui conséquemment savoit le genre de renseignements dont pouvoit avoir besoin un fournisseur, et spécialement un fournisseur d'habillements?

Est-il donc croyable, disons-nous, qu'un homme qui avoit tant de moyens d'instruction et une aussi longue expérience que Saget, n'ait pas vu qu'il n'étoit pas possible d'adapter à un fournisseur, le nombre et la diversité des renseignements qu'il donnoit à Michel? Car de quoi pouvoit-il être besoin pour un fournisseur, d'être instruit à point nommé de la promotion des différents généraux et de leur destination? Quel pressant intérêt pour lui de connoître si la Garde Impériale feroit partie intégrante de l'armée d'Allemagne? Que pouvoit-il faire de l'organisation des parcs de l'artillerie et du génie?

On sent donc bien qu'il est impossible de faire admettre par des personnes raisonnables des suppositions de ce genre.

C'est donc, messieurs, d'après cette réunion de circonstances, d'après l'activité prodigieuse que mettoit Saget à servir Michel, d'après le danger auquel il s'exposoit, en enlevant les minutes des cartons de ses camarades, que l'on doit conclure qu'il étoit parfaitement au fait de l'objet de ces diverses communications.

Et qu'on ne se rattache point à dire que le profit qu'il en retiroit ne pouvoit être suffisant pour compenser ce péril, et que par conséquent il est impossible d'après cela qu'il ait connu le erime dans lequel on le faisoit tremper.

Mais où est la preuve que Saget n'ait reçu réellement que quatre cents fr.? L'essentiel est de savoir que Saget ne se livroit point gratuitement; quant à la quotité du prix, c'est à ceux qui argumentent de sa modicité à vérifier sur ce point l'exactitude de leur assertion, et l'on doit croire jusques-là qu'il étoit proportionné à l'importance du travail. I se peut, au surplus, que, dans le principe, on ent employé auprès de Saget cette fable du fournisseur, qui est aujourd'hui reproduite; mais avec l'expé

rience qu'avoit cet employé, il a dû bientôt démêler toute l'intrigue. Aussi n'a-t-il pu dissimuler entierement que du moins il avoit eu des soupçons sur la fausseté du motif que l'on avoit mis

en avant.

« Quelquefois, a-t-il dit, j'observois à Michel qu'il étoit éton« nant qu'un fournisseur eût besoin de tous ces renseignements. » Or, peut-on croire que Saget, ainsi tombé sur la voie, se soit contenté de témoigner à Michel de la surprise, s'agissant d'objets qui touchoient de si près son intérêt, et qui le compromettoient d'une maniere aussi essentielle? Il est clair qu'alors les explications ont été forcées entre ces deux employés, et qu'ainsi Saget a fini par tout savoir.

C'est encore ici qu'il est bon de se rappeler les dénégations obstinées de Saget sur les soustractions des minutes de ses camarades, et sur tous les objets importants de ses communications à Michel, telle, par exemple, que la derniere organisation de la garde; lors donc qu'à des indices déja si violents par eux-même, on vient à réunir la premiere déclaration de Michel, qui nous montre si manifestement Saget comme ayant été dans son intime confidence, est-il permis de rejeter ce témoignage d'autant plus précieux qu'il est comme échappé à la force de la vérité? peut-on, disons-nous, recuser ce témoignage pour lui préférer les contradictions de Michel?

Vous voyez par ces rapprochements, messieurs, l'énorme différence qui se trouve entre la situation de Salmon et celle du nommé Saget. C'est bien relativement à Salmon que l'ignorance paroît probable; c'est bien lui qui a pu, comme nous en sommes intimement persuadés, et comme nous nous sommes fait un devoir de vous l'exprimer hier, c'est lui qui a pu être entraîné par la légèreté de son caractere, et par son inconséquence naturelle.

Cette légèreté, au surplus, messieurs, il faut en déterminer l'objet: nous ne la faisons pas consister à avoir trahi les devoirs de son état, en divulguant des secrets qu'il lui étoit défendu de compromettre nous la bornons uniquement à la facilité avec laquelle il a admis comme vraies les fables qu'on lui présentoit; fables qui prenoient une espece de réalité à ses yeux par toutes les circonstances dont on les enveloppoit; et notamment par la proposition qui lui étoit faite au nom du prétendu fournisseur, de payer son travail pour ainsi dire en nature, savoir en draps ou en habits.

Vous appercevez donc, messieurs, tous les motifs de la distance prodigieuse à laquelle nous plaçons ces deux accusés, et pourquoi nous ne pouvons voir dans Salmon un complice de haute-trahi

son.

Nous aurions desiré pouvoir nous convaincre de même de

l'innocence de Saget à cet égard, et qu'il n'avoit péché que par imprudence.

Mais plus nous avons examiné, plus nous avons percé cet odieux mystere, et plus nous nous sommes convaincus que Saget n'a rien ignoré des intelligences que Michel entretenoit avec la Russie.

RÉPLIQUE

De Me PETIT-D'AUTERIVE, pour Michel Michel.

MESSIEURS,

D'après l'acte d'accusation présenté contre Michel, il me sembloit incontestable que s'il avoit agi comme employé au bureau du mouvement sous la législation de 1791, il ne pouvoit être prévenu, accusé, condamné, quepar les termes mêmes de cette législation. J'ai donc cru qu'on devoit décider, d'après elle, s'il étoit fonctionnaire public chargé d'un secret à cette époque, et s'il avoit agi traîtreusement et méchamment; que Michel ayant fourni depuis des renseignements sur notre situation militaire par le moyen des autres accusés, si ces renseignements pouvoient caractériser le secret d'une expédition militaire, on devoit décider encore s'il auroit agi dans le but, ou d'engager la Russie à commettre des hostilités, ou d'entreprendre la guerre contre la France, ou dans l'intention criminelle de procurer les moyens de la lui faire avec succès.

Pour repousser l'idée de la criminalité intentionnelle de Michel, j'avois rappelé son inexpérience, résultant, selon moi, de son peu d'instruction, de son emploi subalterne lui-même, et de la probabilité qu'on l'auroit induit facilement en erreur sur les résultats de sa conduite, sur les véritables caracteres qui lui appartenoient.

Pour justifier entièrement Michel à cet égard, j'aurois pu me servir du propos qui lui est attribné par un témoin qui n'est pas suspect, par Jean Wustinger, que vous avez entendu hier:

R

Si je ne le faisois pas, lui auroit dit Michel, un autre le feroit." «< Rien n'est plus simple et plus naturel; cela se fait dans tous les « pays.»

En effet, Messieurs, s'il faut en croire Michel, on lui auroit persuadé que tout consul de la Russie, que tout envoyé sur les

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