lieux verroit ce qui se passoit comme Michel lui-même. Qu'ai-je donc dit en défendant ses intentions? Que l'état de paix entre la France et la Russie avoit pu éloigner de sa pensée toute idée d'un but nuisible dans la demande qui lui étoit faite de renseignements dont il n'étoit point à même de juger l'importance: que Michel avoit pu se laisser séduire par ce prétexte plausible de l'artificieux diplomate, que ces renseignements devoient servir à perfectionner l'organisation militaire de la Russie. pu J'ai dit que Michel a pu facilement penser que donner approximativement et même réellement la nomenclature de nos forces, et la composition d'une armée dont il n'a jamais connu la destination, dans un état de paix où nous nous trouvons encore, n'étoit pas procurer les moyens de faire la guerre. J'ai dit que si cela pouvoit avoir ce résultat connu de l'étranger, au moins il pouvoit être ignoré de Michel. J'ai dit que le sentiment de la cupidité même avoit pu déterminer Michel à faire ce qu'il a fait, sans qu'il vît tout ce que sa conduite pouvoit avoir de repréhensible. J'en ai conclu que la défense de Michel étoit présentable sous ce rapport, de le justifier de l'intention du crime, si on ne pouvoit songer à excuser la gravité de ses imprudences, la gravité de ses fautes, d'avoir cédé à un sentiment d'intérêt et aux insinuations de quelques membres de la légation russe et d'un grand per sonnage. Je croyois qu'il étoit dans l'intérêt de Michel et de la vérité, de prévoir que la question de savoir s'il a été le corrupteur de Saget, Salmon, et Mosès, pouvoit être ajoutée comme paroissant ressortir des débats et je devois produire sa justification fondée, vous le "savez, sur le silence de l'acte d'accusation à cet égard, sur les moyens de la défense principale des autres accusés, sur ce que les sommes ont été données moins pour les renseignements obtenus, que pour le prix d'un travail manuel. Voilà quel a été le résultat de la défense que j'ai eu l'honneur de vous proposer hier. Aujourd'hui, Messieurs, après avoir rétabli quelques faits, on insiste sur un premier moyen, et on soutient que le but de nuire à son pays, résultant de l'action, est indépendant de l'intention même de Michel, qui n'étoit que de gagner de l'or. On convient qu'il n'avoit point en vue de procurer le saccagement de la France; on convient qu'il ne vouloit point la destruction des armées : mais on prétend qu'il n'en étoit pas moins coupable. On dit enfin que Michel est toujours dépositaire du secret de l'Etat, à raison de la profession qu'il exerçoit; qu'ainsi, sous l'empire de la loi nouvelle comine sous l'empire de la loi ancienne, Michel est criminel, et ne peut prétendre à aucune espece de faveur. On vous a ajouté, Messieurs, qu'on avoit dû prémunir les esprits foibles contre les conséquences d'une morale qui, dans la bouche de l'avocat qui n'en avoit pas senti le danger, pouvoit en avoir un réel. Je dois tout d'abord, Messieurs, un remerciement personnel de la maniere dont on a jugé mes intentions; et je puis dire avec franchise et vérité, devant Dieu et devant les hommes, qu'il n'en fut jamais de plus pures. Si je me suis trompé, MM. les Jurés, vous êtes juges du fait, juges des conséquences; et c'est à vos lumieres, comme à celles de la Cour, que j'ai soumis l'examen de ma défense. Je dois examiner avec brièveté les faits qu'on a cru devoir relever pour en induire la criminalité, même intentionnelle, de Michel. On a rappelé que Michel avoit dit dans sa défense, et seulement aux débats, qu'il avoit donné des éclaircissements approximatifs; qu'on lui avoit observé qu'il trompoit donc les agents de la Russie; qu'il avoit répondu aux débats, pour la premiere fois, que c'étoit son desir. On a opposé à Michel ses propres déclarations dans d'autres temps, et vous en avez entendu le détail. . Ce que j'ai dû vous dire, Messieurs, c'est qu'il est vrai, ou du moins il me semble tel, que, dans le nombre des renseignements fournis par Michel aux agents diplomatiques de la Russie, il y en avoit de parfaitement exacts; mais ce qui me paroît véritable aussi, à en croire l'accusé Michel et même le résultat des débats, c'est qu'il a dû y en avoir beaucoup plus d'inexacts. Vous avez entendu à cet égard la déclaration des témoins Gérard et Chappuis, qui justifie mon assertion. Toujours est-il que Michel, dans d'autres temps, avoit soutenu avoir fait un travail approximatif, sinon pour la situation militaire de la France dans l'intérieur, c'est-à-dire à l'égard des divisions militaires, ce qu'il a ajouté au débat, au moins pour d'autres objets. L'acte d'accusation en fait foi. « Il a déclaré notamment avoir « fourni par approximation, un état de situation de l'armée d'Al<«<lemagne. » Tels sont les termes de l'accusation. Ce n'est donc pas pour la premiere fois, à l'audience d'hier, que Michel a prétendu qu'il n'avoit donné que des renseignements approximatifs. On a dit, Messieurs, que le travail livré par Michel étoit nécessairement un travail exact; car il a été refait par Saget et Salmon, et depuis on l'a vérifié. Sur ce point, je dois vous dire ce que Michel lui-même vous dira, ce qu'il me disoit ce matin : S'il étoit possible, avançoit-il, de vérifier ce travail qui a été refait, demandez-le, et on verra qu'il est inexact et incomplet sur bien des points. Telle est sa défense que j'ai dû rapporter, et vous l'avez entendue pour ainsi dire de sa propre bouche. On vous a articulé que Michel ne peut se faire un moyen de la surprise. Ce moyen appartenoit à sa défense; il a été reproduit par l'accusé, il est rappelé dans l'acte d'accusation lui-même dans des termes beaucoup plus énergiques, peut-être, que je n'ai pu le reproduire; et je crois devoir vous le remettre sous les yeux d'une maniere textuelle. " Michel, dans l'intention de justifier sa conduite, déclare << qu'il sent toute l'étendue de sa faute; seulement il cherche à l'at« ténuer,en disant qu'il a été circonvenu, et d'abord dans le prin«cipe, par l'assurance que les communications qu'il faisoit ne t pouvoient nuire à son pays, puisque la Russie étoit alors en « paix avec la France. Il n'a pas d'expressions, ajoute-t-il, pour « détailler tous les discours fallacieux, tous les moyens employé << pour l'envelopper. Plusieurs fois, il a voulu rompre, et refuser « les renseignements qu'on lui a demandé ; mais alors cet envoyés << l'intimidoit, en le menaçant de le dénoncer s'il ne continuoit « point à le satisfaire. » Telle est, Messieurs, la défense de l'accusé. Elle existoit dans l'interrogatoire qu'il a subi avant que le conseil de Michel eût pu avoir aucune communication avec lui; il étoit de mon devoir de la rapporter, je l'ai reproduite. Il se plaint de la surprise qui a été faite à son caractere simple et loyal de la part des agents diplomatiques de la Russie: c'est à vous à juger de l'effet de ces moyens de défense. On s'est sur-tout demandé si c'étoit dans une intention pure que Michel agissoit, puisqu'on vouloit soutenir que ce n'étoit pas dans une intention criminelle? Messieurs, à Dieu ne plaise que j'aie jamais eu la pensée de plaider que ce fût dans une intention pure que l'accusé Michel agissoit. Il avoue lui-même sa faute, et je vous ai fait voir, dans la fatale lettre de l'accusé, qu'il la déploroit dans un moment où il n'étoit point encore accusé, où par conséquent c'étoit son cœur qui parloit, où il s'expliquoit avec franchise. Sans doute, Michel a toujours su qu'il agissoit mal; mais il est un intervalle immense entre le domaine de la morale et celui de la justice criminelle, et c'est ce domaine dont il s'agit de déterminer l'étendue. Ce que j'ai plaidé, c'est que ce n'étoit point dans l'intention de trahir la patrie et de lui nuire que Michel avoit agi. C'est là sa défense, et il faudra bien examiner en effet si l'on doit avoir agi dans l'in tention de trahir la patrie ou de lui nuire, pour être criminel aux yeux de la loi. On vous a dit que le défaut de volonté précise de nuire n'étoit point une excuse intentionnelle. Je puis me tromper, mais je précise d'une autre maniere quelle est l'intention criminelle de l'accusé, qui doit le faire réputer coupable, ou le défaut d'intention qui doit l'absoudre. Sans doute, Messieurs, je ne serai pas suspect dans la nature des arguments que je produirai, lorsque j'irai chercher dans les écrits du magistrat lui-même, du jurisconsulte profond qui a instruit le procès contre Michel, la définition de cette intention sur les principes de laquelle nous ne sommes point aujourd'hui d'accord. Voici ce que disoit M. Bourguignon dans un ouvrage revêtu de la sanction de tous les hommes instruits, de tous les criminalistes les plus éclairés, tant à raison des lumieres de son auteur que de la pureté des principes qu'il a puisés lui-même dans les meilleures sources pour les développer. » Lorsqu'il s'agit d'appliquer la loi à une action placée par le <«<législateur dans la classe des crimes, il faut s'attacher à connoître quelle a été l'intention de celui qui l'a commis, parce qu'il ne peut être déclaré coupable, s'il n'est établi qu'il a agi « en connoissance de cause, et qu'il a eu la volonté de le «< « commettre. Pour bien déterminer ce qu'il faut entendre par le mot vo« lonté, nous dirons avec Filangieri, qu'elle est cette faculté de « l'ame qui nous détermine à agir d'après les mouvements du « cœur et les calculs de la raison. «La passion excite, la raison compare, la volonté détermine. « Pour vouloir, il faut donc desirer et connoître. Connoître une « action, c'est en apercevoir le but et les circonstances qui l'ac compagnent. Nous appelons done action volontaire, celle qui « naît de la détermination de la volonté, précédée du desir et « de la connoissance du but, ainsi que des circonstances de l'ac«tion; et action involontaire, celle qui naît de la violence on de Tignorance. « « La violence est l'impression d'une force étrangere, qui nous « entraîne malgré notre volonté. L'ignorance est cet état de l'ame qui ne permet d'apercevoir « ni le but, ni les circonstances d'une action. « Dans ces deux cas, l'homme qui a violé la loi ne peut être regardé comme coupable. » Faisons maintenant, Messieurs, l'application de ces principes à la cause de Michel. A-t-il connu le but dans lequel il agissoit? S'il étoit question d'établir ou de justifier l'accusation contre les agents diplomatiques qui l'ont surpris, oui, sans doute, ils connoissoient le but dans lequel ils agissoient. Mais Michel, homme simple, employé subalterne, n'a pu connoître l'utilité des renseignements qui lui étoient demandés : c'est un vil motif de cupidité qui l'a entraîné; mais il ne connoissoit pas le but de čes renseignements. Il n'y a point eu d'intention de la part de Michel, car il n'y a point eu de volonté de sa part. C'est là où je puise sa défense sous le rapport de la question intentionnelle. Je n'examinerai point, Messieurs, si l'accusé Michel n'a pas cédé à l'impression d'une force étrangere qui l'entraînoit malgré sa volonté; vous êtes bien à même de le juger, et s'il n'y avoit pas de volonté, il n'y auroit point de crime. Vous connoissez toute sa défense à cet égard, vous avez entendu ce que Michel retraçoit' lui-même des moyens captieux, des moyens menaçants qui ont été employés contre lui pour le déterminer à continuer d'agir: c'est à vous à apprécier cette question intentionnelle; c'est à vous à mûrir dans votre sagesse et à peser dans vos consciences, à côté du grand intérêt de la loi qui ne veut pas qu'un grand crime soit' impuni, l'intérêt de la société, qui ne veut pas qu'un homme qui a pu être imprudent, soit considéré comme criminel, si son intention n'a point été coupable, s'il n'a point connu le but dans lequel il agissoit et vers lequel on l'entraînoit, par le moyen des premières imprudences qu'on lui avoit fait commettre. Hé! s'il étoit besoin d'invoquer un témoignage irrécusable, je dirois que le vengeur public lui-même n'a pu se dissimuler que l'accusé Michel n'a pas voulu le saccagement de la France, que l'accusé Michel n'a pas voulu la destruction de nos armées; et bientôt, lorsque nous ferons l'examen du point de droit, si nous sommes convaincus que ce que la loi punit de la peine capitale c'est cette seule intention, cette volonté seule criminelle, le pro-' cès est jugé en faveur de Michel. Je vous ai dit en droit que la question qui devra vous être soumise sera de savoir si Michel est coupable d'avoir provoqué des intelligences avec les puissances étrangeres; et peut-être est-il nécessaire de remettre sous vos yeux les termes mêmes de la disposition pénale, pour voir dans la volonté du législateur quel a été le but intentionnel du crime. Que dit la loi ancienne? Sera puni de mort: <«< Quiconque sera convaincu d'avoir pratiqué des machinations << et entretenu des intelligences avec les puissances étrangeres, ou <<< avec leurs agents Voilà le fait criminel. Le but et la volonté, quel est-il? C'est la loi qui l'a ainsi précisé : « Pour les engager à commettre des hostilités ou leur indiquer « les moyens d'entreprendre la guerre contre la France. » |