Images de page
PDF
ePub

tous les états destinés pour M. Krafft, et M. de Czernicheff y prenoit des notes ou en faisoit des extraits.

Après ces premieres communications, il demanda des renseignements particuliers, et ce fut pour lui que Michel se procura en dernier lieu, par Saget, l'état général de la situation des corps de toutes armes composant la Garde Impériale.

Cet état lui fut remis, comme on l'a dit, le jour même de son départ pour la Russie.

Pour prix de ces communications, Michel dit qu'il a reçu de M. de Czernicheff environ 4000 fr.

M. de Czernicheff, avant de partir, proposa à Michel de lui faire passer pendant son absence des notes sur les changements qui seroient ordonnés dans la situation des armées françoises, en lui indiquant la maniere dont les dépêches pourroient lui parvenir. La même ouverture fut faite à Wustinger.

Plein de confiance en Michel, il lui avoit donné la commission de chercher à corrompre quelqu'un des bureaux de l'état-major de l'armée d'Allemagne, pour en obtenir la connoissance de toutes les opérations de l'ar

[ocr errors]

mée.

Enfin, il avoit chargé différentes personnes de le mettre en rapport avec le sieur Salamon, chargé du travail du mouvement des troupes dans les bureaux de S. E. le Prince major-général des armées françoises.

Michel étoit même autorisé à offrir quatre cent mille francs à ce chef de division; mais quoique le succès de cette négociation dût être magnifiquement récompensé, le respect qu'inspire le caractere et la probité de M. Salamon ne permirent pas à Michel de tenter une séduction qu'il savoit impraticable.

Michel a révélé ses turpitudes;

Il a déclaré les circonstances les plus remarquables de ses rapports avec M. de Czernicheff: non seulement l'employé séduit alloit chez l'officier russe, mais M. de Czernicheff se rendoit lui-même chez Michel à toutes les heures. Quand ils ne se voyoient pas ils s'écrivoient; et c'est précisément cette correspondance qui a dévoilé le mystere des trahisons de Michel.

aunes de drap à 30 fr. l'aune, ou 60 fr. tous les ans ou tous les six mois.

Ce mode de paiement proposé à Salmon pour son travail étoit propre à lui persuader davantage que les renseignements étoient pour un fournisseur.

Il y a au surplus cette différence entre la défense de Saget et celle de Salmon, que Saget a nié avec obstination presque toutes les communications importantes qu'il a faites, en sorte qu'il a fallu le convaincre sur tous les faits pour lui arracher l'aveu de la vérité; tandis que Salmon n'a employé nul déguisement, et qu'il est au contraire allé au-devant de toutes les questions qu'on auroit pu lui faire.

Mais c'est aux débats qu'on appréciera l'ignorance alléguée par ces deux accusés, quant à la destination des renseignements qu'ils fournissoient.

Če qui, dans tous les cas, doit fixer l'attention, c'est que le crime qui leur est imputé se présente sous un double aspect; car, quand il seroit possible et justifié que Saget et Salmon eussent vraiment été dans l'ignorance sur le commerce de Michel avec les agents de la Russie, resteroit à examiner la seconde prévention dont sont atteints ces employés, celle d'avoir trahi les devoirs de leur état, et d'avoir reçu de l'argent pour prix des communications illicites qu'ils ont faites à leurs camarades d'une autre partie ou d'un autre bureau, à l'égard desquels le secret ne leur étoit pas moins impérieusement prescrit qu'envers les étrangers de l'administration.

C'est particulièrement le cas où se trouve le garçon de bureau Mosès, dit Mirabeau. Il a rendu inutiles toutes les précautions prises pour empêcher la communication à qui que ce fût du livret de la situation générale des armées, renouvelé et cartonné tous les quinze jours pour Sa Majesté seule. Il a reçu de l'argent de Michel pour prix de cette infidélité; et son seul moyen de défense est de dire qu'il ne l'a commise que dans la vue de faciliter à Michel la recherche d'un parent dont il ignoroit la résidence et la destinée.

En conséquence de tous ces différents faits, Michel Michel, Louis Saget, Louis-François-Alexandre Salmon,

et Jean-Nicolas-Marie Mosès, dit Mirabeau, sont accusés, savoir:

Michel, d'avoir, moyennant des rétributions d'argent, entretenu des intelligences avec les agents d'une puissance étrangere pour procurer à cette puissance les moyens d'entreprendre la guerre contre la France;

Et d'avoir livré aux agents de cette puissance étrangere le secret des expéditions militaires de la France, dont il étoit instruit à raison de son état.

Saget et Salmon, de s'être rendus complices de ces crimes, en fournissant, à prix d'argent, partie des instructions, renseignements, notes, et pieces qui ont servi à les commettre, sachant qu'ils devoient y servir;

Et d'avoir, en leur qualité de préposés d'une administration publique, reçu de l'argent pour faire des actes de leur emploi non licites et non sujets à salaire;

Et Mosès, dit Mirabeau, d'avoir, en sa qualité de préposé d'une administration publique, reçu de l'argent pour faire des actes de son emploi non licites et non sujets à salaire.

Fait au Parquet de la Cour impériale à Paris, le 28 mars 1812.

Signé B. LEGOux.

EXPOSÉ

Des Faits contenus dans l'Acte d'accusation,

Par Monsieur le Procureur-Général.

MESSIEURS LES JURÉS,

Ce n'est plus sur des crimes privés, sur des atteintes por tées à la sûreté individuelle, que vous avez à fixer votre

attention.

La société, si souvent blessée dans ses membres, vient

Ainsi convaincu, il a avoué toutes les communica tions dont on a rendu compte, et particulièrement celle du grand travail de la situation de l'armée d'Allemagne à l'époque de février dernier, travail qui comprend, suivant le détail qu'en a donné Salmon, rédacteur du tableau de cette armée dans les journées des 16 et 17, l'entiere orga→ nisation de l'armée d'Allemagne, avec le nombre des divisions d'infanterie, celui des réserves de cavalerie, les parcs du génie de l'artillerie et des équipages, les noms des géné raux en chef de chaque corps d'armée, des généraux de division, de ceux de brigade, des commandants les équipages des ponts et parcs d'artillerie, et l'énonciation des forces de chaque corps complétées par Salmon, approxi mativement, pour les parties que Saget avoit omises.

Michel a également confessé qu'il avoit fourni aux agents russes un état général de situation de la Garde Impériale, d'après un travail du mois de février dernier, travail qu'il avoit copié la nuit qui a précédé le départ de M. de Czernicheff, sur les minutes que Saget avoit dépla cées furtivement des cartons de M. Delacroix.

Ce sont ces communications du secret de l'état et des opérations militaires de la France qui constituent le crime de Michel; et la preuve en existe, ainsi qu'on l'a dit, tant dans les écrits de Michel que dans ses aveux, et les déclarations de ceux qu'il a voulu associer à ses trahisons.

S'il faut l'en croire, les sommes qu'il a reçues, pour prix de ses intelligences, s'élevent à celle de 20,000 francs environ, sur laquelle il auroit donné partiellement 400 f. à Saget, et 300 à-peu-près à Salmon.

Michel, dans l'impuissance de justifier sa conduite, déclare qu'il sent toute l'étendue de sa faute; seulement il cherche à l'atténuer, en disant qu'il a été circonvenu d'abord et dans le principe par l'observation que les communications qu'il faisoit ne pouvoient nuire à son pays, puisque la Russie étoit alors en paix avec la France.

Il n'a point d'expression, dit-il, pour détailler tous les discours fallacieux, et les moyens employés pour l'envelopper.

Plusieurs fois, ajoute-t-il, il a voulu rompre et résister

Aux demandes de M. de Czernicheff; mais alors cet officier l'intimidoit, et le menaçoit de le déclarer et le dénoncer, s'il ne continuoit à le satisfaire.

Michel cite une circonstance dans laquelle il témoignoit ses inquiétudes à M. de Czernicheff sur les suites de leur intelligence, et lui laissoit apercevoir l'intention de les cesser; mais l'officier russe lui répondit qu'il étoit trop avancé et qu'il ne pouvoit plus reculer.

Il paroîtroit cependant que Michel tenoit bien plus qu'il ne le prétend aux avantages qu'il tiroit de ses rapports avec les agents de la Russie; on en jugera par ce propos qu'il a plusieurs fois répété à l'un de ses coaccusés: Voilà, disoit-il, les troupes qui s'en vont toutes en Allemagne; elles vont bientôt se fournir là-bas, et alors cette maison Delpont s'écroulant, adieu mon aisance, je resterai avec mes appointements.

On observe que le sieur Delpont est le fournisseur du nom duquel Michel avoit abusé, en cherchant à persuader à ses camarades que les renseignements qu'il leur deman. doit étoient uniquement pour ce fournisseur.

C'est aussi sur cette supposition mensongere de Michel et sur l'allégation d'avoir été ainsi trompé, que Saget et Salmon fondent leur moyen de défense. A les en croire, ils étoient dans la bonne foi sur l'objet des communications qu'ils faisoient à leur camarade; Michel leur avoit persuadé qu'il étoit chargé de faire la correspondance d'un fournisseur nommé Delpont, et que ces renseignements étoient utiles à ce Delpont pour le transport de ses fournitures, et pour qu'il sût précisément sur quel point il devoit les diriger; et, quoiqu'ils aient quelquefois témoigné de la surprise à Michel sur la nature et l'étendue des renseignements qu'exigeoit le fournisseur, cependant le ton d'assurance de Michel, leur confiance dans un employé plus ancien qu'eux dissipoient leur étonnement, et prévenoient tout soupçon sur l'abus criminel qu'on faisoit de leur crédulité.

Salmon, pour prouver de sa part combien elle étoit naturelle, rend compte des offres que Michel lui avoit faites au nom du fournisseur. Celui-ci vouloit s'engager à donner à Salmon une redingotte, un habit, ou deux

« PrécédentContinuer »