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Que dit la loi nouvelle, article 76? absolument la même chose: « Quiconque aura pratiqué des machinations ou entretenu des <«< intelligences, etc. » (1)

Ainsi vous le voyez dans l'une comme dans l'autre législation, (et sur cette question du procès je n'ai point divisé le droit), le bu intentionnel, le but criminel de celui qui seroit déclaré coupable d'avoir pratiqué des machinations, d'avoir entretenu des intelligences avec les puissances étrangeres, auroit dû être de les engager à commettre des hostilités, ou de leur procurer les moyens d'entreprendre la guerre avec la France.

Certes! vous ne pensez pas que le malheureux Michel ait jamais eu la pensée, la volonté, l'intention criminelle, celle que la loi punit du dernier supplice, de vouloir engager la Russie à commettre des hostilités contre la France; de lui indiquer les moyens d'entreprendre la guerre contre elle avec quelque apparence de succès, à l'aide de la trahison qu'on l'accuse d'avoir exercée, et des renseignements qu'on l'accuse d'avoir livrés.

Sous ce premier rapport, vous apprécierez donc encore la défense purement intentionnelle de Michel.

Sous le second rapport, on vous a dit que Michel avoit voulu équivoquer, qu'il étoit vrai que d'après la loi ancienne, il falloit la réunion de ces deux circonstances, que le coupable fût un fonctionnaire public chargé du secret, et qu'il eût agi traîtreusement et méchamment, pour que la criminalité fût attachée à l'action, et qu'elle fût punissable de la peine portée par la loi; mais qu'il n'y avoit point ici de distinction à faire; que Michel ne pouvoit point, à l'aide d'une discussion du droit, se dérober à la conviction du fait qui lui étoit reproché; qu'il ne pouvoit point espérer de faire poser la question dans les termes fixés par la législation ancienne; et cela, Messieurs, par cette considération, a-t-on dit, Michel en sortant du bureau du mouvement des que troupes, étoit entré dans le bureau des habillements, à l'administration de la guerre, et que, comme employé de la guerre, le secret lui étoit toujours commandé.

C'est ici, Messieurs, que je dois étendre l'explication du droit. D'abord, seroit-il vrai que Michel pût être considéré comme ayant trahi personnellement le secret de l'Etat, par la raison qu'il étoit entré dans les bureaux de l'administration de la guerre?

Sans doute, Magistrats, vous serez juges de la question de savoir si l'accusation, qui n'a point présenté Michel sous ce rapport, peut être changée. Il m'a semblé par la lecture de l'acte d'accusa

(1) Voyez la loi.

tion (et je soumets avec respect cette réflexion aux hautes lumieres de la Cour), que l'accusation ne présente Michel comme ayant trahi le secret de l'Etat personnellement, et comme dépositaire de ce secret, que pour le laps de temps où il étoit employé au bureau du mouvement, et non pour le temps où d'autres individus en étoient dépositaires.

S'il en étoit ainsi, le point de droit que j'ai plaidé en sa faveur triompheroit; il y auroit nécessité de rapprocher les dispositions de la loi pénale ancienne, et de décider la criminalité suivant la loi qui l'a fixée.

Vous serez juges, en tous cas, Messieurs, de cette autre question de savoir si Michel, comme employé de la guerre dans une autre partie où le secret de l'Etat n'existoit pas, peut être considéré comme dépositaire par état de ce secret. Je pense qu'il n'en étoit dépositaire par état que dans le temps où il étoit employé au bureau du mouvement, et où il a pu donner personnellement des renseignements aux agents de la Russie.

Il sembleroit donc, par les termes de la législation pénale, celle même qui nous régit aujourd'hui, que c'est la qualité d'être dépositaire du secret à raison de son état qui fixe la criminalité.

La loi dit en effet que toute personne est punissable, qui est instruite officiellement ou à raison de son état, du secret d'une négociation ou d'une expédition, si ce secret est livré par elle: hé bien! Messieurs, j'ai distingué les temps; j'ai plaidé qu'il étoit possible de dire que l'accusé Michel, pour le temps ou il fut employé au bureau du mouvement, étoit instruit à raison de son état du secret qu'il auroit trahi, mais j'ai soutenu que le fait s'étant passé sous l'ancienne législation, il falloit prendre les caracteres de la criminalité dans cette législation ancienne.

J'ai soutenu et je soutiens dans l'intérêt de Michel, que depuis qu'il avoit cessé d'être au bureau du mouvement, que depuis qu'il a obtenu des renseignements des accusés Saget et Salmon, évidemment Michel ne peut être considéré comme instruit officiellement et à raison de son état du secret de l'expédition qu'on l'accuse d'avoir livré aux agents diplomatiques de la Russie.

La cour pesera ces réflexions; elle examinera si en effet la seule qualité d'employé de la guerre dans quelque partie que ce soit, quelque étrangere qu'elle soit au secret, peut faire considérer comme dépositaire par état de ce secret celui qui l'auroit trahi, quand sur-tout il est évident que Michel l'a obtenu, documents officiels qu'il avoit, non à raison de son état, mais qu'il l'a obtenu au contraire de ceux qui en étoient dépositaires officiellement ou à raison de leur état, c'est-à-dire, des accusés

non par

les

Saget et Salmon, qui déclarent d'ailleurs ne l'avoir pas communiqué dans une intention criminelle.

D'après la loi de 1791, la seule applicable à l'espece, il faut deux conditions, je le répete; il faut que l'accusé ait été un fonctionnaire public, chargé du secret d'une négociation, d'une expédition, d'une opération militaire, et ensuite qu'il soit convaincu de l'avoir livré méchamment et traîtreusement, c'est-à-dire, connoissant le but dans lequel on a pu demander ce secret.

Messieurs, il me semble que les réflexions que j'ai présentées en faveur de l'accusé Michel sont d'autant plus décisives en sa faveur, sur le premier point légal de criminalité, qu'elles reposent sur l'opinion bien motivée des orateurs du Conseil d'Etat qui ont présenté la loi au Corps législatif.

En parlant des crimes contre la sûreté extérieure de l'Etat, et en les définissant : « C'est ici, disent-ils, que figureront ces François « dénaturés qui portent les armes contre leur patrie, qui entre<«< tiennent des intelligences avec l'ennemi, qui recelent ses es<< pions, ou qui lui livrent soit des plans, soit le secret d'une négociation.

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«De si grands crimes n'admettent d'autre peine que la mort; peine terrible, que le législateur n'inflige qu'avec regret; mais qui, selon les expressions de Montesquieu, est le remede de la Société malade.

<< Toutefois, ajoutent-ils, il convenoit de bien caractériser les <«< intelligences criminelles, pour qu'elles ne fussent point confondues avec des correspondances imprudentes.

Il convenoit aussi de tracer une ligne de démarcation entre les «< communications données par les dépositaires eux-mêmes, ou « par d'autres personnes.

« C'est ce qui a été fait en punissant toujours, mais en punis<< sant moins ceux qui sont coupables à un moindre degré ».

J'avois donc raison, au moins dans l'opinion du législateur luimême, dans l'opinion de celui qui a indiqué le véritable sens de la loi en la portant au Corps législatif, lorsque je plaidois en faveur de Michel, que s'il n'avoit eu qu'une correspondance imprudente avec les agents de la Russie, que s'il n'avoit point eu le but de nuire à son pays, de procurer le saccagement de la France, la destruction de nos armées, cette correspondance ne pouvoit être confondue avec le crime de trahison.

J'avois donc eu raison de tracer, d'après le législateur lui-même, une ligne de démarcation entre les communications données par les dépositaires eux-mêmes, et celles données par d'autres per

sonnes;

Ainsi donc, Messieurs, la défense de Michel restera toute entiere dans vos esprits; ainsi donc, je le pense, la Cour adoptera les conclusions que je suis chargé par Michel de lui soumettre et de déposer sur le bureau, tendant à ce que la question de savoir si Michel a trahi le secret de l'Etat, comme en étant le dépositaire, soit posée dans les termes de l'ancienne législation criminelle.

J'avois donc raison de plaider, sinon la pureté des intentions de Michel, au moins sa non criminalité.

:

Lui-même, Messieurs, vous l'avoit proposée, cette défense, dès le premier moment. Il a eu la franchise de dire tout ce qui pouvoit le charger, tout ce qui pouvoit conduire à la découverte de la vérité penseriez-vous, en y réfléchissant, que Michel dût être puni du dernier supplice? déclareriez-vous qu'il auroit agi avec intention de nuire à son pays, de détruire la France, de détruire nos armées? Pour qu'il fût permis de le penser, il ne faudroit pas faire un parallele entre les dispositions diverses de la législation, entre les différents cas où des faits plus graves sont punis de moindres peines; car vous reconnoîtriez avec le législateur lui-même que la peine terrible provoquée contre Michel n'est pas celle qui devroit lui être réservée, si une peine doit l'atteindre.

En effet, Messieurs, toutes correspondances avec les sujets d'une puissance ennemie, qui ont eu pour résultat de fournir aux ennemis des instructions nuisibles à la situation militaire de la France, n'est punie que du bannissement par l'article 78 du code pénal.

du

L'acte si coupable du fonctionnaire public, de l'agent, du préposé du Gouvernement, chargé, à raison de ses fonctions, dépôt des plans de fortifications, arsenaux, ports ou rades, s'il n'a point livré ces plans à l'ennemi, mais aux agents d'une puissance étrangere, neutre ou alliée, n'est puni que du bannissement, par l'article 81.

La personne sans qualité, qui a employé la corruption, la fraude, la violence même, pour se procurer ces plans si importants, n'est punie que de la déportation, par la loi. Ce sont les dispositions de l'article 82 du Code pénal.

Si Michel avoit seulement livré des instructions sur la situation militaire de la France, si vous ne les considériez pas comme le secret d'une expédition militaire, si vous ne pouviez voir en Michel le dépositaire officiel ou par état du secret de cette expédition; bien coupable, sans doute, aux yeux de la morale, de l'honneur, de la loi, peut-être, sous d'autres rapports, je l'ai déja dit, Michel ne pourroit être impuni alors que ses intentions seroient par vous réputées criminelles; mais alors même, en confondant les accusations et les crimes, ses intentions ne seroient-elles pas

jugées plus rigoureusement que celles du traître qui auroit livré les plans de nos villes fortifiées, de nos arsenaux, de nos ports, de nos rades, qui auroit instruit jusqu'à l'ennemi de notre situation militaire P

Je devois ces réflexions à la défense de l'accusé.

Michel, en cédant aux offres, aux caresses, aux importunités tour-à-tour séduisantes et menaçantes des agents d'une nation alliée, ne dut jamais se trouver en paix avec sa conscience; mais il a certainement ignoré le but réel de l'expédition militaire dont il a indiqué les forces, et conséquemment il n'a pu révéler un secret tout entier dans la pensée du plus grand des guerriers.

S'il a donné le secret de la réunion de nos forces militaires, qui, sur les lieux et par la réunion des troupes en divers endroits, étoit peut-être alors connu de tant d'individus, ce fait peut être punissable; mais il n'est pas celui qu'on l'accuse d'avoir commis, et dès-lors l'accusation trop rigoureuse pourroit être atténuée par une position de questions accessoires sur de nouvelles circonstances que vous jugerez sans doute les véritables de ce grand procès :

C'est, magistrats, ce que je pense, et je soumets au surplus ces réflexions à votre haute sagesse vous les apprécierez dans votre délibération. Je crois devoir terminer en prenant les conclusions que voici en faveur de l'accusé Michel.

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"Attendu que l'acte d'accusation reporte au-delà de trois années à l'égard de Michel, et conséquemment avant l'époque de la mise « en activité du code pénal de 1810, le second point de l'accusation ainsi résumé d'avoir livré aux agents d'une puissance étrangere le secret des expéditions militaires de la France, dont « il étoit instruit à raison de son état.

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:

Que si, de droit commun, aucune loi ne peut avoir d'effet << rétroactif, c'est sur-tout en matiere criminelle que ce principe « a toujours été maintenu dans toute sa rigueur.

«

Que, d'ailleurs, la loi positive existante dans les termes du « décret impérial de S. M. sur la mise en activité du code pénal, << en décidant que les cours et tribunaux appliqueroient doréna<«< vant aux crimes et aux délits les peines prononcées par les lois pénales existantes au moment où ils ont été commis, et le code de 1810, dans le cas seulement où la peine portée par cette << derniere loi seroit la moins forte, a implicitement décidé que « le caractere de la criminalité doit être recherché dans la loi du temps où le crime est réputé avoir été commis;

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« Attendu que, sous l'empire du code de 1791, qui régissoit le « fait rapporté, la criminalité résulte à la fois 1o de la qualité de fonctionnaire public chargé du secret d'une expédition militaire;

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