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La trahison est le fléau de la société entiere. Le traître ne viole pas seulement les devoirs de citoyen et de sujet; il viole encore ceux de fils, d'époux, de pere, et d'ami: il commet le plus affreux des parricides.

Michel est-il coupable d'un pareil attentat? a-t-il entretenu des intelligences criminelles avec les agents de la Russie? Leur a-t-il livré le secret de notre situation militaire? S'est-il vendu à cette puissance, pendant huit à neuf années, avec une persévérance sans exemple?

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Qu'il eût été consolant pour nous de tirer ici le voile sur les actes et les faits qui lui sont imputés! Au commencement des débats, nous l'avions invité à s'expliquer avec la franchise qu'il avoit montrée à la police et devant M. le conseiller de la cour; il n'a pas répondu à notre invitation. Quoi qu'il nous en coûte, Messieurs, nous allons vous retracer le tableau de cette trop mémorable affaire.

Antérieures à la guerre de 1805, discontinuées pendant la guerre, reprises à la paix, poussées avec plus d'activité dans ces derniers temps, les relations de Michel n'ont fini qu'au moment de son arrestation.

Quatre agents de la Russie, MM. d'Oubril, de Nesselrode, Krafft, et de Czernicheff se sont, pour ainsi dire, légué sa per

sonne.

Michel a débuté avec M. d'Oubril, secrétaire de la légation

russe.

Alors Michel étoit au bureau du mouvement. Là il pouvoit connoître, là il connoissoit les opérations et expéditions militaires, dont le secret lui étoit recommandé presque tous les jours, sous peine capitale. Il pouvoit donc donner, et il auroit donné, suivant l'acte d'accusation et d'après les débats, tous les renseignements qui lui auroient été demandés: il les puisoit, soit dans son propre travail, soit dans celui des autres employés du même bureau.

On voit, en effet, que M. d'Oubril obtient de Michel, toutes les connoissances qu'il desire.

Michel lui fait connoître, notamment, la situation des divisions militaires de la France, et le nombre des troupes qui se trou

voient dans l'intérieur.

Michel emploie quinze jours à composer ce travail. Quelle fut l'importance des révélations de Michel à M. d'Oubril? Vous en jugerez, Messieurs, par l'empressement que M. d'Oubril mit à le mander aussitôt après son retour à Paris, et par le soin qu'il eut de le signaler à ses successeurs, comme un homme précieux pour la Russie.

D'après ces particularités, d'après les faits ultérieurs, en croirez

vous Michel vous disant aux débats, et pour la premiere fois : Je trompois la Russie!

En 1805 la guerre se déclare, et M. d'Oubril part avec les instructions qu'il avoit reçues de Michel et qu'il lui avoit payées. Qui pourroit en calculer les résultats?

Sans doute la victoire, toujours fidele à SA MAJESTÉ, attendoit nos braves; mais ne leur aura-t-elle pas coûté plus cher par trahison de Michel?

la

La paix faite, M. d'Oubril revient à Paris; il fait prier Michel de passer chez lui: celui-ci s'y rend. L'instruction et les débats n'offrent aucune lumiere sur les renseignements alors demandés et obtenus.

M. d'Oubril retourne en Russie.

Paroît M. de Nesselrode en qualité de conseiller d'ambassade.

Il fait appeler Michel par Jean Wustinger, concierge. Ecoutez Michel, Messieurs; et, ici, nous vous observons que, toutes les fois que nous le ferons parler, ce seront ses propres expressions que nous répéterons, telles qu'elles sont consignées dans ses déclarations et dans son interrogatoire. « Je me rendis chez lui (M. de Nesselrode). « Il me rappela les services que j'avois rendus à M. d'Oubril, et « me pria de lui en rendre de pareils, en me faisant entendre « que, la paix étant conclue, je ne m'exposois à rien. »

à

A cette époque, Michel étoit-il passé du bureau du mouvement l'administration de la guerre ?

Quelle fut sa ressource?

Ecoutez encore Michel, Messieurs: « Outre ce que je pouvois « PERSONNELLEMENT, comme EMPLOYÉ, dans le bureau du mou«vement, mon premier moyen a été de gagner le nommé Mira<«< beau, garçon de ce bureau, chargé de porter chez le relieur le « cahier général de la situation des troupes, que l'on fait car<< tonner pour S. M. l'EMPEREUR. Je l'engageai, lorsqu'il portoit «< ce cahier, à monter chez moi; et là, pendant une heure, je me << hâtois de relever les articles qui pouvoient m'être demandés. »

Vous n'aurez point oublié, Messieurs, que Michel s'est permis une fois de changer, sur le bulletin de Mosès, l'heure du départ de се garçon de chez le relieur pour revenir au bureau, afin que l'on ne s'aperçût pas qu'il s'étoit arrêté en chemin.

Le second moyen de Michel fut de pratiquer et de corrompre Saget et Salmon. Avec ses propres ressources et à l'aide de ces deux individus, employés, l'un au bureau du mouvement, et l'autre à celui des revues, il étoit à même de se procurer, comme vous l'a déclaré un des chefs de bureau, et il s'est effectivement procuré toutes les notes et instructions, tous les états et travaux que les agents de la Russie pouvoient exiger et ont exigés de lui.

M. de Nesselrode lui demande d'abord, et Michel lui donne la liste des officiers supérieurs employés dans l'armée d'Alle

magne.

M. de Nesselrode lui demande ensuite la situation de l'armée d'Allemagne, et Michel lui fournit cet état de situation. M. de Nesselrode s'absente.

Vous dirons-nous, Messieurs, que, pendant son absence et sur sa priece, Michel lui prépare, fait et met sous enveloppe le relevé et l'état des nouvelles promotions d'officiers supérieurs?

Il paroit que ce travail, retiré, déchiré ou brûlé par Michel, ne seroit pas parvenu à sa destination.

« M. de Nesselrode de retour à Paris, dit Michel, me fit de<«mander par Jean. J'ai continué à le voir, mais à de longs inter« valles, durant lesquels je lui ai remis quelques notes qu'il m'a « demandées sur les officiers, et peut-être un autre état de situa<< tion; ce dont je ne me rappelle pas précisément. Souvent il me « faisoit appeler pour des choses très insignifiantes. Il me donnoit, « tous les quatre à cinq mois, environ 500 fr. »

M. de Nesselrode, avant de quitter la France, avoit parlé de Michel à M. Krafft, secrétaire de la légation russe.

«Celui-ci, ajoute Michel, me fit demander par Jean, et me pria « de continuer avec lui les mêmes relations que j'avois eues avec « M. de Nesselrode, parceque ce dernier lui avoit laissé les ren<< seignements que je lui avois fournis. >>

Depuis environ cinq mois, M. Krafft exigeoit de Michel des relations beaucoup plus actives, et Michel paroît avoir bien secondé ses desirs.

C'est ici que Michel, embarrassé, pressé, revenant contre ses déclarations, ses aveux, s'est appliqué à dénaturer et même à nier les faits.

Vous avez entendu Salmon, qui lui a été confronté.

D'après cette confrontation, ne demeurez-vous pas convaincus, Messieurs, que Michel a d'abord fourni à M. Krafft un relevé général de l'artillerie, dressé et écrit par Salmon?

Qu'en octobre dernier, Michel lui a remis la copie, faite par Salmon, d'un état de tous les corps militaires ayant droit à la masse d'habillement et divisés par armes?

Qu'en décembre, il lui a procuré un état général de l'armée d'Allemagne, divisée alors en deux corps, sous la dénomination de 1er et 2e corps d'armée d'observation de l'Elbe, état confectionné par Salmon sur des notes provenues du bureau du mouvement et communiquées par Saget?

Qu'en janvier, il lui a fourni d'autres renseignements sur l'em

placement et la force de plusieurs corps devant faire partie de l'armée d'Allemagne, que l'on organisoit de nouveau?

Qu'enfin Michel a remis à M. Krafft, après le quinze février dernier, un cahier qu'il appeloit le grand travail, dont Salmon a été le rédacteur et le copiste sur les feuilles minutes soustraites par Saget du bureau du mouvement: travail qui comprenoit la nouvelle organisation de l'armée d'Allemagne divisée en quatre corps, savoir; le nombre des divisions d'infanterie, le nombre des réserves de cavalerie, les parcs du génie, de l'artillerie et des équipages, les noms des généraux en chef de chaque corps d'armée, des généraux de division, de ceux de brigade, des commandants des équipages, des ponts et parcs d'artillerie, et l'énonciation des forces de chaque corps, complétées par Salmon approximativement pour les parties que Saget avoit omises? Quelques jours après, M. Krafft, satisfait de Michel, lui a compté, comme ce dernier l'a avoué, la somme de six mille fr. Pendant que Michel travailloit ainsi avec M. Krafft, vous savez, Messieurs, qu'il se rendoit encore intéressant auprès de M. de Czernicheff, aide-de-camp de l'empereur de Russie; et que cet officier russe, favori de son maître, flattoit Michel de l'espoir d'une pension considérable.

Qui avoit indiqué Michel à M. de Czernicheff?

M. d'Oubril.

M. de Czernicheff a proposé à Michel de lui communiquer, à l'insçu de M. Krafft, et Michel lui a en effet communiqué leş pieces et renseignements qu'il procuroit à ce dernier.

Il lui a communiqué, nommément, le grand travail.

Sur le tout, M. de Czernicheff prenoit des notes ou faisoit des extraits.

- Il est

« J'ai vu, dit Michel, M. de Czernicheff trois ou quatre fois << chez lui, et cinq à six fois dans la chambre de Jean. « venu trois ou quatre fois chez moi. M. de Czernicheff est «< celui de tous qui m'a le plus tourmenté par ses demandes et par « ses persécutions>>.

Ici se place la lettre de Michel à M. de Czernicheff; lettre qui a dévoilé tout le fatal mystere. Nous ne vous la relirons pas ; elle sera mise sous vos yeux.

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M. de Czernicheff étoit pressant.
Michel étoit trop avancé.
D'après les menaces mêmes de M. de Czernicheff, pouvoit-il

reculer ?

C'est pour M. de Czernicheff que Michel s'est procuré l'état général de la situation des corps de toutes armes composant la Garde Impériale : état que Michel a remis à M. de Czernicheff,

le jour même de son départ pour la Russie, le vingt-six février, et qu'il avoit passé la nuit, ou une partie de la nuit, à copier sur les minutes que Saget avoit déplacées de son bureau et soustraites des cartons des autres employés.

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Entendons Michel sur ce fait : « L'avant-veille du départ de M. de Czernicheff, Saget apporta chez moi la minute du travail « sur la situation générale de la Garde Impériale; et je passai une partie de la nuit pour en faire la copie ›

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Saget avoit d'abord nié avoir donné ce travail; depuis et devant vous, Messieurs, il a prétendu ne l'avoir donné que par méprise. Sur cette prétention, M. le Procureur-Général vous a lu un passage de la déclaration de Michel, du cinq mars, portant: « Peu de jours après, M. de Czernicheff vint chez moi, le soir, et me << dit qu'il avoit vu l'Empereur ce jour-là; qu'il alloit partir le lendemain, d'après les ordres de S. M.; et il me demanda, pour le << lendemain, un travail sur la situation générale de la Garde Impériale, qu'il m'avoit déjà demandé depuis quelque temps. Saget, auquel je le demandai, me le fit de suite....»

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Pour tant de révélations faites, pour tant de services rendus aux divers agents de la Russie, Michel n'auroit reçu que vingt mille francs! le croirez-vous ?

On a élevé une discussion de droit en faveur de Michel, Messieurs, lorsque l'on auroit dû ne vous entretenir que du fait. Sous ce rapport, nous croyons devoir éclairer votre religion.

Michel est accusé de deux crimes.

En premier lieu, il est accusé d'avoir, moyennant des rétributions pécuniaires, entretenu des intelligences avec les agents d'une puissance étrangere, pour procurer à cette puissance les moyens d'entreprendre la guerre contre la France.

Ce crime est prévu par le code pénal de 1791 et par celui

de 1810.

Nous vous observons que les dispositions de ces deux codes, relatives à ce crime, ne s'appliquent pas seulement aux fonctionnaires publics, mais à quiconque aura entretenu des intelligences avec les agents d'une puissance étrangere, pour indiquer ou procurer à cette puissance les moyens d'entreprendre la guerre contre la France. Ce sont les expressions littérales de l'ancien et du nouveau code.

Or, Messieurs, si vous êtes convaincus, par le résultat de l'instruction et des débats, et par les propres aveux de Michel, qu'il a entretenu des intelligences avec les agents d'une puissance étrangere, et que ces intelligences étoient de nature à indiquer, à procu rer à cette puissance les moyens d'entreprendre la guerre contre la France, vous n'aurez point à examiner si Michel étoit ou non

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