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le secret dans lequel le Gouvernement enveloppoit ses expéditions et ses moyens d'exécution, qui en font nécessairement partie.

Vous vous rappelez, Messieurs, les précautions prises pour empêcher la communication du livret de la situation générale des armées; les recommandations faites aux employés des bureaux, pour prévenir toute indiscrétion; le mode de distribution des feuilles d'un même travail, pour en laisser l'ensemble et l'objet couverts d'un voile impénétrable.

On sait au surplus qu'il regne un tel secret dans le mouvement des troupes, que le plus souvent et les corps et les généraux en particulier, se mettent en marche sans connoître leur destination; qu'ils ne l'apprennent quelquefois qu'après y être parvenus et par de longs détours, détours adroits et combinés par la prudence, à l'effet de déjouer la curiosité des puissances intéressées à prévoir l'emplacement définitif de nos différents

corps.

Que Michel ait été instruit, à raison de son état, du secret de nos expéditions, c'est ce qui est par trop évident et n'exige aucun examen. Que fera-t-il done valoir en sa faveur? Hélas! nous l'ignorons. Il a travaillé neuf années à ces amas monstrueux de crimes et de trahisons, dont il falloit bien qu'un jour il fût enfin accablé. Il a négligé toutes les voies de salut et de repentir qui lui ont été ouvertes pendant ce long intervalle; il a étouffé les cris de sa conscience pour justifier par une morale perverse le plus affreux des attentats; enfin, il n'a rien négligé, jusqu'au dernier moment, pour bannir à son égard jusqu'à cette pitié stérile qu'inspire quelquefois un coupable qu'on est forcé de condamner.

Il a prétendu dans ses interrogatoires, qu'il s'étoit réjoui à l'avance du départ de M. de Czernicheff, et de la liberté qu'il auroit par-là d'abandonner un genre de vie dont il étoit fatigué.

Mais tont au contraire, Messieurs, et loin de souhaiter des circonstances qui pouvoient interrompre le cours de ses forfaits, il déploroit dans les événements politiques et dans le départ des troupes, l'impossibilité où il seroit bientôt réduit de continuer son commerce infâme.

Voilà, a-t-il dit plusieurs fois à Salmon, voilà les troupes qui s'en vont toutes en Allemagne; elles vont bientôt se fournir là bas, et alors cette maison Delpont s'écroulera, et adieu mon aisance; je resterai avec mes appointements.

Ce n'est que depuis l'arrestation du domestique saxon de de M. de Czernicheff, que prévoyant, comme il est arrivé, que

la sienne alloit s'en suivre, il a paru ouvrir les yeux sur l'énormité de son crime. Puisse, hélas! ce tardif repentir paroître pur aux yeux de la justice divine!

Saget et Salmon, dont nous avons actuellement à nous occuper, ne sont pas accusés du crime principal, de celui de trahison; ils n'ont point eu de communication immédiate et directe avec les agents de la Russie; ce n'est point à eux qu'ils ont remis les notes qu'ils rédigeoient, ou que Saget enlevoit des

cartons.

Aussi la prévention à leur égard se borne-t-elle à s'être rendus complices des intelligences pratiquées par Michel, comme lui ayant fourni tous les renseignements qu'il a transmis aux agents de la Russie, sachant l'usage et l'emploi auquel ils étoient destinés.

Ces deux accusés prétendent avoir été dans la bonne foi sur l'objet des demandes de Michel, qui leur avoit persuadé que toutes ces indications étoient pour un fournisseur dont il faisoit la correspondance, et à l'effet de lui donner les moyens de mettre plus d'activité dans ses expéditions. Ils ignoroient d'ailleurs les rapports de Michel avec les Russes; ils ne connoissoient aucun de ces étrangers; il leur étoit donc impossible de soupçonner que Michel, qu'ils consideroient comme étant leur ancien, qu'ils regardoient comme plein de bienveillance pour eux, voulût abuser cruellement de leur confiance.

Et ce qui prouve leur entiere bonne foi, c'est la modicité des sommes qu'ils ont reçues. Saget n'a eu en tout qu'environ 400 fr., payés par petites portions, dans un espace de cinq mois; et Salmon n'a touché qu'environ 300 fr., aussi en une multitude de petites sommes, pour ses transcriptions, pour ses notes, pour ses nuits passées; ensorte, dit-il, qu'il est évident qu'il n'a entendu que se faire payer son travail manuel, de même qu'il le faisoit payer des copies d'actes et de pieces que, dans les intervalles de son service de bureau, il avoit coutume de faire pour des avoués, des maçons, des architectes, pour tous ceux en un mot qui avoient besoin de son service.

Ils ajoutent que si la nature des renseignements que l'on exigeoit d'eux, leur a quelquefois paru surprenante et superflue pour les besoins d'un fournisseur, Michel, lorsqu'il leur est arrivé d'en faire l'observation, ne manquoit pas de les ras

surer et de les entretenir dans leur erreur.

Michel convient d'avoir ainsi trompé ses camarades.

Tels sont les moyens communs à Salmon et à Saget, pour écarter la complicité.

Sans doute, Messieurs, il est possible et même probable que

dans le principe, Michel se sera servi de différents prétextes, même de ceux qui sont allégués, pour tirer de ses camarades les services qu'ils lui ont rendus; mais il n'est pas possible qu'il ait pu persister envers eux dans cette simulation; Saget et Salmon ont dû être désabusés par la multiplicité, par la nature, par la diversité des renseignements que leur demandoit Michel.

Comment Saget notamment pouvoit - il croire nécessaires à un fournisseur les promotions des généraux, les noms des différens officiers, l'organisation de la Garde, celle de l'artillerie, des équipages et du génie? Il est forcé d'avouer qu'il en a fait plusieurs fois l'observation à Michel; et certes la réponse qu'il prête à cet accusé, et qui n'étoit que la question par la question, n'étoit pas faite, à beaucoup près, pour prolonger son erreur.

Il a donc fallu. nécessairement que Michel le mît dans sa confidence ; et ce qui prouve qu'il y étoit réellement, c'est le zele extrordinaire qu'il apportoit à servir les intentions de Michel par les voies les plus criminelles. Il falloit un bien puissant motif pour l'aider à braver les défenses de ses chefs, et violer les devoirs les plus impérieux, non seulement en fournissant les notes de son travail personnel, mais encore en enlevant frauduleusement des cartons des autres employés, et même des chefs, tel que M. Chappuis, les minutes du travail d'organisation, pour les porter chez Michel!

On se rappelle avec quelle activité il déroba, la veille du départ de M. Czernicheff, les minutes de l'organisation de la Garde Impériale, demandées par Michel même.

Or, se prête-t-on à des actes si criminels, légèrement et sans en bien connoître l'objet ? Mais quand il seroit vrai que Michel et Saget ne se fussent pas expliqués franchement, par un reste de pudeur ou peut-être de précaution, cela n'empêcheroit pas qu'ils ne se fussent parfaitement entendus; et que Saget, ayant pénétré tout cet odieux mystère, n'eût agi tacitement dans les intentions de Michel. Que faudroit il donc de plus pour établir la complicité de Saget? Et ne suffit-il pas, pour l'en rendre coupable, qu'il ait connu de quelque maniere que ce soit l'objet des révélations auxquelles il se prêtoit?

Saget sent bien la force de ces objections; il voit que toute sa conduite l'accuse aussi a-t-il dénié, autant qu'il a pu, ses communications les plus importantes; par exemple, d'avoir remis la liste des officiers de l'état-major de l'armée d'Allemagne et du corps d'observation de l'Elbe; d'avoir remis des

notes sur la destination des officiers-généraux en particulier. Il a feint de ne pas savoir qu'il eût remis, du 12 au 15 février, l'organisation des corps de la grande armée d'Allemagne ; il a nié d'avoir déplacé les minutes de son bureau ; enfin il a nié qu'il eût jamais fourni le grand travail sur la Garde Impériale.

Ensuite de ces dénégations, il a cependant été contraint de tout avouer. Puis aujourd'hui, et à votre audience, il en est revenu à mutiler la vérité sur les points les plus essentiels.

Or, que prouvent, Messieurs, ces tergiversations et ces mensonges avérés, si non les anxiétés d'une conscience troublée et qui s'accuse elle-même ?

La seule considération qui s'éleveroit en sa faveur, si à cet égard on ne craignoit un nouveau mensonge, ce seroit la modicité du prix de sa complicité. Mais comment croire à Saget, comment croire à Michel, qui jamais ne sont d'accord avec eux-mêmes, et lorsque tout d'ailleurs accuse Saget d'avoir servi Michel sciemment dans ses intelligences? Comment se refuser de croire à la preuve qu'en a donné Michel dès le principe, par l'aveu involontaire qui lui est échappé sur ce point dans son premier interrogatoire?

En parlant des alarmes que par fois lui causoit son dangereux rôle auprès de M. Czernicheff : L'insupportable vanité, dit-il, la légèreté de cet homme me tourmentoient. « Quelque« fois, avec SAGET, nous nous faisions part de nos inquiétudes. << SAGET craignoit quelques indiscrétions, et les suites que cela « pouvoit avoir. »

Michel, dans ses interrogatoires subséquents, a ensuite voulu rétracter cette déclaration. Lorsqu'on lui a reproduit cette phrase, il a répondu : La phrase dont vous venez de me donner lecture, est le résultat du trouble, de l'agitation où j'étois à l'instant de ma premiere déclaration. Au lieu de Saget j'ai entendu parler de Jean, parceque c'est à Jean Wustinger que j'ai fait part, plusieurs fois, de mes inquiétudes sur les indiscrétions de M. de Czernichef. Jean Wustinger étoit le confident de cette intrigue, et il étoit naturel que je lui en parlasse. Quant à Saget, je ne lui ai jamais fait aucune confidence à cet égard, et je persiste à déclarer qu'il n'a jamais connu mes rapports avec M. de Czernicheff, ni aucune des personnes de la légation russe, ne lui ayant parlé que du fournisseur Delpont.

C'est donc Wustinger que l'on s'avise après coup de substituer à Saget; c'est à lui que plusieurs fois Michel a, dit-on, témoigné ses inquiétudes. Eh bien! à la suite de cette déclaration, et le lendemain, on demande à Jean Wustinger si Michel lui a té

moigné quelques alarmes par rapport à ses relations avec les personnes de la légation russe; Jean Wustinger répond:

« Il ne m'a témoigné ses inquiétudes qu'à la fin, c'est-à-dire, «< lorsqu'il a vu l'arrestation du domestique saxon de M. de « Czernicheff (la veille ou la surveille du jour où Michel a été <«< arrêté lui-même). Auparavant, il m'a dit quelquefois que <«< ce qu'il faisoit se faisoit partout; que les Ambassadeurs étoient « payés pour cela, et que s'il ne le faisoit pas, un autre le feroit. « Deux ou trois jours après le départ de M. de Czernicheff, <«< continue Wustinger, je remis à Michel une lettre de M. de << Czernicheff, et lui annonçai en même temps que le domestique saxon de M. de Czernicheff étoit arrêté. Il en parut « très affecté, et me dit que c'étoit bien malheureux pour lui. << Je lui rappelai alors ce qu'il m'avoit dit, que ce qu'il faisoit << n'étoit d'aucune importance, que les Ambassadeurs étoient payés pour prendre ces sortes de renseignements, et que si ce « n'étoit pas lui ce seroit un autre; il me répondit qu'à la vé« rité il avoit dit cela ; qu'il sentoit bien qu'il avoit fait une faute, « que lui seul étoit fautif; qu'il s'avouoit seul coupable; que ses « camarades qui l'avoient aidé ne l'étoient pas. >>

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Que conclure, Messieurs, de ces contradictions de Michel, de ces amendements, des explications qu'il donne de ses premieres réponses, de celles qui compromettoient Saget?

Pour peu qu'on ait donné d'attention aux débats qui se sont passés ce matin, il vous a été aisé de remarquer la maniere dont Michel et Saget lioient en quelque sorte leur cause. Il étoit difficile d'adresser une question à Saget, que Michel ne se chargeât de la réponse. Ainsi les motifs de sa rétractation sout suffisamment connus. Peut-être s'est-il fait une délicatesse de sauver celui qu'il avoit poussé lui-même dans le précipice; mais il n'en reste pas moins constant à vos yeux, Messieurs, que Saget entroit dans les intelligences de Michel, et qu'il étoit parfaitement au courant de l'objet des révélations qu'il lui fournissoit.

Quant à Salmon, il est certain qu'il n'a fourni que son propre travail; il n'a point fouillé dans les cartons de ses camarades; il a toujours dit vrai; il est allé au devant de toutes les questions qu'on pouvoit lui faire ; il n'a jamais varié ; il n'a point mis à son travail l'ardeur qu'y apportoit Saget.

Le 16 février, occupé du grand travail de l'organisation de la grande armée, il promet de revenir le lendemain, et il manque à sa parole, il faut que Michel courre la ville en voiture pour le chercher; négligence qu'il n'auroit point commise sans doute, s'il eût connu l'objet du travail qu'on exigeoit de lui.

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