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CHAPITRE III.

De l'Education sociale ou publique.

JE remonte au principe. L'homme est esprit, cœur et sens: mais ses facultés ne se dévelopent que l'une après l'autre.

L'enfant, dans son bas âge, n'a que des sens. Il faut en régler ou en faciliter l'usage: plus tard, le le cœur se montre, il faut diriger ses affections.

L'un et l'autre doivent être l'objet de l'éducation domestique, parce que l'homme naturel ou l'homme de la famille n'a précisément besoin, dans sa famille, de son cœur et de ses sens.

que

Plus tard l'esprit se développe, et l'éducation domestique a facilité ce développement par les connoissances élémentaires qu'elle a données. Alors commence l'homme social. Il a des volontés, des opinions; il faut régler les unes, guider les autres, parce que l'esprit et la raison sont donnés à l'homme pour la société.

Mais l'homme porte dans la société son cœur et ses sens: la société a droit de faire tourner à son usage toutes les facultés de l'homme; elle doit donc former pour l'utilité générale sa faculté voulante, sa

faculté aimante, sa faculté agissante, son esprit, son cœur et ses sens : tel est l'objet de l'éducation sociale.

Toutes les facultés se forment ou se perfectionnent par l'exercice : or l'éducation domestique n'exerce aucune des facultés de l'homme d'une manière utile à la société.

Donc elle ne peut perfectionner les facultés de l'homme social; donc elle ne convient pas sous ce rapport à la société.

Comment l'éducation publique exerce-t-elle les facultés de l'homme social?

Quand l'homme veut employer un objet quelconque à son usage,

1° Il commence par savoir à quel usage il veut l'employer;

2o Il considère les qualités de son objet; il supprime celles qui sont contraires au but qu'il se propose, et qui peuvent être supprimées; il dirige vers ce même but celles qui s'en écartent, et qu'il ne peut détruire.

Qu'est-ce que la société veut faire de l'homme? un être qui lui soit utile. Comment et de quelle manière ? de toutes les manières dont un être qui a un esprit, un cœur et des sens, ou une faculté pensante, une faculté aimante et une faculté agissante, peut être utile à la société : c'est-à-dire qu'elle veut que l'esprit soit cultivé, le cœur dirigé, et les sens perfectionnés pour son utilité. « L'Egypte, dit

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Bossuet, n'oublioit rien pour polir l'esprit, ennoblir le cœur, et fortifier le corps. » La société considère l'homme; elle remarque en lui une qualité constante, indestructible: elle est dans l'homme, elle est dans tous les hommes, elle est dans tous les âges, dans tous les états de l'homme; elle est dans tout l'homme : c'est la volonté de dominer, et l'amour déréglé de soi. Cette volonté est dans son esprit; elle est dans son cœur, et il veut l'exercer par ses sens, ou sa force.

Former l'homme social, ou former l'homme pour la société, sera donc diriger, vers un but utile à la société, la volonté de dominer qui se trouve dans son esprit, et qu'il veut exercer par son cœur ou par

ses sens.

Ainsi former l'esprit, sera diriger son ambition vers un but utile: former le cœur, sera diriger ses affections vers des objets permis: former les sens, sera diriger l'emploi de leur force, d'une manière avantageuse à la société.

Or, l'éducation domestique ne peut diriger l'émulation, les affections, ni l'emploi de la force, parce que l'enfant est seul ou avec ses frères, et que l'émulation suppose rivalité, les affections préférence, et l'emploi de la force supériorité et quelquefois combat.

Elle ne peut donc pas former l'esprit, diriger le cœur, perfectionner les sens pour l'utilité de la société : elle ne peut donc former l'homme social ;

elle ne convient donc pas à l'homme de la société.

L'éducation domestique est dangereuse, parce que les enfans jugent leurs parens à l'âge auquel ils ne doivent que les aimer, et deviennent sévères avant que la raison leur ait appris à être indulgens; elle est dangereuse, parce que les parens, exigeans s'ils sont éclairés, foibles s'ils ne le sont pas, voient trop, ou ne voient pas assez les imperfections de leurs enfans, et contractent ainsi, pour toute leur vie, des préventions injustes, ou une mollesse déplorable: cette observation est extrêmement importante.

Elle est dangereuse, parce que les enfans y apprennent ou y devinent tout ce qu'ils doivent ignorer; parce qu'elle place un enfant au milieu des femmes et des domestiques; que s'il y apprend à saluer avec grâce, il y contracte l'habitude de penser avec petitesse; si on lui enseigne à manger proprement, on le forme à la vanité sans motif, à la curiosité sans objet, à l'humeur, à la médisance, à mettre un grand intérêt à de petites choses, à disserter gravement sur des riens; on fait entrer, dans les moyens d'éducation, des observations critiques sur les personnes qu'il a accoutumé de voir, et on lui donne ainsi le goût méprisable du persifflage; il s'accoutume à s'entretenir avec des valets, à caqueter avec des femmes de chambre : toutes choses qui rétrécissent le moral à un point qu'on ne sauroit dire.

L'éducation domestique seroit insuffisante même quand on commenceroit par faire l'éducation de toute la maison, maîtres et valets; aussi tous ceux qui ont écrit sur l'éducation, veulent qu'on élève les enfans à la campagne, et exigent la perfection dans tout ce qui les entoure, et dans tous ceux qui contribuent à leur éducation; ils supposent qu'un père n'a aucune profession sociale à exercer, ni une mère aucun devoir de bienséance à remplir; ils supposent que les parens auront une fortune assez considérable pour choisir les personnes qui entoureront les enfans, payer ceux qui les instruiront, et fournir à la dépense des divers objets relatifs aux connoissances humaines qui entrent dans le plan de l'éducation sociale, et qu'on trouve dans les établissemens publics; ils supposent enfin ce qui ne peut se trouver que chez un petit nombre d'individus, et ils proposent par conséquent ce qui ne convient

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L'éducation sociale doit-elle être une éducation particulière pour chaque profession sociale? Non, il ne s'agit pas de former des gens d'église, des militaires, des magistrats, mais des hommes qui puissent devenir militaires, magistrats, etc. Il n'y a qu'un seul enfant, dans la société, qui doive être élevé dans sa profession, et pour sa profession, parce qu'il ne peut pas en exercer d'autre, et qu'aucun autre ne peut l'exercer pour lui. C'est l'enfantRoi.

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