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Juif aussi docte qu'usurier, à enlever le profil de tel Frère quêteur, catholique ou nestorien, selon les couvents où il fréquente. Simples délassements littéraires, mais qui ne sont pas sans prix pour nous; c'est le sourire aimable du savant qui se repose et dont les gaietés les plus ingénues ont encore le mérite de nous faire

Paris.

penser 1.

(A suivre).

1. L. C., I, 2; II, 17; III, 1.

HENRI MARGIVAL.

UN NOUVEAU LIVRE D'HÉNOCH

<< Hénoch marcha avec Dieu, et il disparut, parce que Dieu le ravit » (Gen. vi, 24). L'Écriture ne dit pas que ce patriarche ait écrit le moindre livre. Mais la notice mystérieuse qui lui est consacrée dans la Genèse sollicita l'imagination des faiseurs d'apocryphes qui florissaient au sein du judaïsme depuis le 11° siècle avant notre ère. Puisque le pieux patriarche avait été enlevé au ciel, il avait vu de près le fonctionnement de l'univers, il avait conversé avec les anges, il s'était approché du trône de Dieu, il avait connu les secrets de l'Éternel. Sans doute, pour faire profiter les hommes de ses lumières, il fallait qu'il revînt sur la terre et laissât par écrit ses révélations à la postérité. Mais cela n'était pas difficile à supposer. Hénoch a été pour toute une école d'écrivains juifs le grand révélateur, c'est-à-dire le nom prestigieux sous le couvert duquel ces écrivains ont voulu faire passer leur propre conception de l'univers, leurs vues sur le passé et l'avenir de la religion et de l'humanité. La tradition chrétienne a connu ces livres ; l'apôtre saint Jude cite Hénoch dans son Épître (Jud., 14-15); un assez grand nombre d'anciens auteurs ecclésiastiques ont fait de même. Puis les œuvres d'Hénoch tombèrent en oubli dans l'Église grecque aussi bien

que dans l'Église latine. Mais un livre d'Hénoch s'était conservé dans la Bible éthiopienne. Rapporté en Angleterre par J. Bruce, en 1773, il n'a été publié qu'en ce siècle-ci par Laurence (1838), puis par Dillmann (1851).

Tout dernièrement, M. U. Bouriant retrouvait le commencement du même livre en grec, avec des fragments de l'Évangile et de l'Apocalypse (apocryphes) de Pierre (Mémoires de la mission archéologique française au Caire; Paris, 1892). Ce livre d'Hénoch est celui qui a fourni la citation de saint Jude et la plupart de celles qu'on trouve dans les écrivains ecclésiastiques. C'est plutôt une compilation qu'un livre. Le contenu tient à la fois de l'encyclopédie, du prône et de l'apocalypse'. Cependant on n'y retrouvait pas toutes les citations faites par les anciens sous le nom d'Hénoch. Une découverte récente vient de combler cette lacune, au moins en partie et provisoirement. Avec le livre éthiopien d'Hénoch, nous possédons maintenant le livre slave des « Secrets d'Hénoch ».

I

Une version slave du livre d'Hénoch avait été signalée en 1892 par une revue allemande (Jahrbücher für protestant. Theologie, pp. 127-158), comme représentant le même ouvrage que la version éthiopienne publiée par Laurence et Dillmann. Cette indication piqua tout naturellement la curiosité de l'éminent orientaliste qui a traduit en anglais le livre éthiopien, M. Charles. Il eut à cœur de faire vérifier le fait par un slavisant, M. Morfill. La version slave était bien une version, et une version d'Hénoch, mais le livre traduit différait totalement de l'Hénoch éthiopien. M. Charles et M. Morfill s'associèrent pour tirer parti de la découverte et en faire profiter le monde savant. Le livre slave d'Hénoch est conservé dans cinq manuscrits qui appartiennent à deux recensions,

1. Voir CHARLES, The Book of Enoch, Oxford, 1893, ou l'analyse donnée par l'auteur du présent article dans l'Enseignement biblique, 1893, no 10 et 11, chronique.

l'une plus développée, qui est le vrai texte de la version, l'autre plus courte, qui est un abrégé de la première. M. Morfill a préparé pour M. Charles une traduction anglaise du meilleur manuscrit de la recension principale, du meilleur manuscrit de la recension secondaire, et d'un texte slave établi par le Prof. Sokolov sur les cinq manuscrits actuellement connus. M. Charles a fixé, d'après ces trois traductions anglaises, le texte du livre qu'il a édité, en marquant les variantes. Il y a joint une introduction substantielle et des notes savantes. On comptera désormais un livre de plus dans le recueil des apocryphes de l'Ancien Testament.

« Le livre des secrets d'Hénoch », publié par MM. Morfill et Charles (The Book of the Secrets of Enoch; Oxford, Clarendon Press, 1896), a dû être composé primitivement en grec. La version slave a été faite sur un texte grec, et une bonne partie, sinon la totalité du livre original, a été écrite en cette langue. Le nom du premier homme y est pourvu d'une étymologie qui n'a pu être conçue qu'en grec. Adam, nous dit l'auteur (c. xxx, 13), a été nommé d'après les quatre points cardinaux: est, ouest, nord et sud, c'est-à-dire que le nom est censé fourni par les premières lettres des mots grecs : ἀνατολή, δύσις, ἄρκτος, μεσημέ Bpía. La même étymologie artificielle se rencontre dans les Oracles sibyllins (III, 24-26) et dans le traité. De montibus Sina et Sion, conservé parmi les œuvres de saint Cyprien. Le traité latin parait bien dépendre d'Hénoch, car il ne reproduit pas seulement l'étymologie avec les noms grecs, mais il mentionne aussi les quatre étoiles qu'Hénoch rattache aux quatre points cardinaux, et il déclare avoir trouvé ces données dans les Écritures1.

1. Invenimus in scripturis per singulos cardines orbis terrae esse a conditore mundi quattuor stellas constitutas in singulis cardinibus; prima stella orientalis dicitur anatole, etc. (S. Cyprien, éd. HARTEL, III,

Notre livre d'Hénoch est, jusqu'à présent, la seule Écriture où l'on trouve ces singularités. Quant aux Oracles sibyllins, on ne saurait dire s'ils dépendent d'Hénoch, ou si Hénoch dépend d'eux. Hénoch suit la chronologie des Septante, d'après laquelle ce patriarche a cent soixantecinq ans lorsqu'il engendre Methusélah. Il fait un emploi fréquent du livre de l'Ecclésiastique, et, à ce qu'il semble, d'après la version

grecque.

Cependant M. Charles croit que certaines parties ont été d'abord écrites en hébreu. L'unique raison alléguée en faveur de cette hypothèse est que le livre est cité dans les Testaments des douze patriarches, et que, cet apocryphe ayant été composé en hébreu, on conçoit difficilement qu'on y ait utilisé un livre grec. Mais l'argument est d'autant moins concluant qu'on peut contester l'opinion de M. Charles touchant la langue originale des Testaments. Pourquoi l'auteur, qui emploie les Évangiles, les Actes, les Épîtres de saint Paul, n'aurait-il pu employer de même le livre d'Hénoch en grec ? Et si l'on veut qu'il y ait eu aussi deux éditions des Testaments, l'une juive et l'autre judéo-chrétienne, qu'est-ce qui prouve que les citations d'Hénoch appartiennent à la première? Le livre d'Hénoch, ainsi qu'on le verra plus loin, ne manque pas d'unité. Il n'est donc pas nécessaire de lui supposer un double fond. Les particularités doctrinales. qu'on y remarque portent à croire qu'il a été composé en Égypte ; or, en Égypte, on traduisait en grec les ouvrages hébreux afin de pouvoir les lire, mais on n'en composait pas de nouveaux (cf. Eccli., prol.).

La date du livre ne peut être déterminée que par approximation. L'auteur ayant connu non seulement l'Ecclésiastique dans la version grecque, mais encore l'ancien livre d'Hénoch dont on possède la version éthiopienne, n'a pu vivre longtemps avant le commencement de l'ère chrétienne. Comme, d'autre part, il suppose le temple existant,

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