Images de page
PDF
ePub

autre que Vienne ne fonctionna sérieusement. Quand Ravennius, successeur de saint Hilaire à Arles, obtint de nouveau pour son siège la dignité de métropole en faisant sonner très haut les souvenirs de la primatie, le rattachement des sièges de Provence ne souffrit aucune difficulté (450). Mais il fallut partager avec Vienne, qui garda dans sa dépendance Grenoble, Genève, Valence, et, en dehors de la province, la Tarantaise. Vers 480, le ressort métropolitain d'Arles subit différentes amputations de fait. Les limites changeantes entre les royaumes burgonde et wisigoth favorisaient Vienne qui s'annexa les évêchés situés au nord de la Durance plus Embrun. Quand, en 523, les Burgondes durent payer aux Ostrogoths de Provence le prix de leurs secours contre les Francs et leur céder leurs villes méridionales, on vit rentrer dans le ressort d'Arles les évêques de Trois-Châteaux, Vaison, Orange, Cavaillon, Carpentras, Apt, Gap, Sisteron, Embrun, qui n'en avaient. d'ailleurs jamais été détachés en droit; mais Viviers et Die restèrent désormais rattachés à la métropole de Vienne qui s'adjoignit encore l'évêché de Maurienne, vers 575, et probablement les sièges d'Aoste et de Sion.

[blocks in formation]

Il y a déjà longtemps que presque tous les critiques sont d'accord, pour regarder comme apocryphe l'édit d'Antonin, qu'Eusèbe nous a conservé, dans son Histoire Ecclésiastique (IV, XIII). A ceux qui voulaient soutenir l'authenticité de ce document, la tâche incombait, d'abord de reconstituer en partie un texte rendu très suspect par des interpolations manifestes, et celle de montrer que l'édit ne contredit pas les résultats désormais acquis sur les rapports de l'Eglise et de l'Empire Romain au second siècle. M. Harnack a cherché à accomplir ce double travail.

1. Ad. HARNACK, Das Edikt des Antoninus Pius (Texte und Untersuchungen, XII, 4); Leipzig, Hinrichs, 1895, 64 pp. in-8.

Il s'est appliqué d'abord à reconstituer le texte authentique sous les remaniements que nous possédons. Ces remaniements sont très nombreux. De là, pour les classer, un embarras dont on n'était pas sorti jusqu'ici. On avait bien vu que Zonaras, Nicéphore, Rufin, etc., dépendent d'Eusèbe, ce qui permettait de les négliger; mais on admettait que le manuscrit grec 450 de la Bibliothèque Nationale et Eusèbe nous donnent deux textes à peu près de même valeur, et indépendants l'un de l'autre.

Cette opinion est à rejeter, d'après M. Harnack. Nous pouvons presque voir à l'œuvre l'auteur de la recension du manuscrit de Paris. Il a certainement sous les yeux l'histoire d'Eusèbe. Bien plus, nous sommes assurés qu'il l'a ouverte au livre IV, chapitre Ix, pour remplacer dans la première apologie de saint Justin, le texte original latin du rescrit d'Hadrien à Minucius Fundanus, par la traduction grecque d'Eusèbe. Comment admettre par suite qu'il n'a pas tourné le feuillet et lu le chapitre treizième du même livre, qui contient précisément l'édit d'Antonin 2?

Tout fait donc croire que le manuscrit de Paris donne un remaniement du texte d'Eusèbe. Un arrangeur peu scrupuleux serait rendu responsable des différences qui existent entre les deux rédactions, et celle de l'Histoire Ecclésiastique ferait seule autorité.

Oui, mais c'est supposer que l'auteur de la recension du manuscrit de Paris ne connaissait l'édit que par Eusèbe. Or peut-être le lisait-il aussi dans une recension appartenant à une autre famille de manuscrits. De là, sans doute, dans les variantes de son texte, des traces d'une rédaction indépendante d'Eusèbe. Il n'est pas permis de les négliger. On ne voit pas bien, répond M. Harnack, un faussaire collectionnant divers manuscrits, dont l'existence d'ailleurs serait à prouver pour reconstituer exactement des leçons insignifiantes d'un document dont il s'appliquait sans scrupule à falsifier le fond même. L'étude attentive des variantes du manuscrit de Paris ne permet pas d'ailleurs d'y reconnaître de trace authentique d'une recension différente d'Eusebe; toutes s'expliquent fort bien, ou par les préoccupations subjectives du faussaire, ou par les fautes de transcription qui se remarquent d'ordinaire, dans les ouvrages qui ont été plusieurs fois recopiés 3 : le recueil, transcrit en 1364 dans le ms. 450, n'a pu être constitué bien avant l'an 1000. Tout au plus peut-on dire que, si un second texte a été utilisé

1. Ce manuscrit contient : 1° l'Apologie de saint Justin; 2° l'Édit d'Antonin; 3° la lettre de Marc-Aurèle sur le miracle de la légion fulminante.

2. Il n'est pas certain que le même copiste ait fait les changements de texte dans les œuvres de saint Justin, et transcrit à la suite l'édit d'Antonin: mais c'est bien probable.

3. M. Grützmacher a pourtant signalé la var. pottavou d'Eusèbe (totoútous ms. de Paris) qui est une altération évidente remontant à l'auteur lui-même, puisqu'elle est déjà dans Rufin et dans les traductions syriaque et arménienne (Th. Literaturzig, 1896, 136): comment la copie ne présente-t-elle pas aussi une altération qui était dans l'original ?

pour le manuscrit de Paris, il ne différait d'Eusèbe que dans la mesure même où il était plus mauvais.

Ainsi fondé à ne tenir compte que de la recension d'Eusèbe, M. Harnack aborde le travail de la reconstitution de l'édit primitif.

L'ensemble du document traditionnel laisse une impression assez trouble. C'est que les parties interpolées et les parties authentiques sont simplement juxtaposées et non fondues. De là, plus de chances de retrouver la première rédaction. Relisons donc la traduction de Jean de Valois en enfermant entre crochets les passages suspects. « Equidem scio diis ipsis curæ esse, ne hujusmodi homines lateant. Multo enim magis illis convenit punire eos qui colere ipsos recusant quam vobis. Qui eorum, adversus quos tumultuamini, sententiam ac propositum amplius confirmatis, dum eos accusatis tanquam atheos. Illis autem longe optabilius fuerit, ut in jus vocati mortem oppetere videantur pro privato deo, quam ut incolumes remaneant. [Ita victores evadunt, animas suas potius projicientes, quam ut ea facere quae vos jubetis, in animum suum inducant.] Ceterum de terræmotibus qui vel facti sunt vel etiamnum fiunt, non absurdum videtur vos commonere, qui et animos abjicitis quoties hujusmodi casus contingunt, [et vestra cum illorum institutis comparatis. Atqui illi quidem majorem tunc fiduciam in Deo collocant. Vos vero] per omne illud tempus quo præ imperitia labi mihi videmini, deos negligitis: et tum alios deos insuper habetis, tum cultum immortalis illius, [et Christianos qui illum venerantur,] expellitis, et [ad mortem usque] infestius perurgetis. Porro de his hominibus plurimi provinciarum rectores divo patri nostro antea scripserunt. Quibus ille rescripsit, ejusmodi homines nulla molestia afficiendos esse, nisi forte contra statum imperii Romani aliquid moliri viderentur. Sed et multi ad me de illis retulerunt: quibus ego patris mei constitutionem secutus respondi. Quod si quis adhuc pergit cuiquam illorum negotium facessere ex eo quod atheus sit, delatus quidem crimine absolvatur, tametsi constet eum reipsa ejusmodi hominem esse. Delator autem ipse pœnas luat. » On voit de suite que les doutes de M. Harnack ne portent que sur la partie centrale du document. Le commencement et la fin lui paraissent devoir être conservés.

La première partie a un air d'authenticité qui frappe dès l'abord. L'édit répond à une consultation. Vraisemblablement la réponse impériale était en latin; nous en avons la traduction quasi-officielle, assez imparfaite d'ailleurs. Certaines particularités de style étonnent et semblent substituées servilement à une tournure latine. Le fond des idées est bien romain. On connaît le mot de Tibère dans Tacite << deorum injurias diis curæ esse. » Il est reproduit presque textuellement. La phrase qui termine ce premier fragment est surtout caractéristique: « Ils aimeraient bien mieux paraître en donnant ostensiblement leur vie pour leur Dieu que de vivre. » Cette pensée a été bien souvent exprimée. Pline le Jeune, Épictète, Marc-Aurèle (XI, 3) regardent l'enthousiasme des chrétiens allant au martyre commme ostentation pure ou

fanatisme. L'expression « pro privato deo » est bien dédaigneuse et marque nettement le crime des chrétiens : « privatim nemo habessit Deos. » L'athéisme des chrétiens n'était que mépris des autres dieux, par attachement immodéré à un seul,

En somme, aucun chrétien ne pouvait parler de la sorte, et un faussaire, s'il s'était exercé sur ces quelques phrases, en aurait soigneusement atténué l'accent tout païen. Ainsi a fait l'auteur du manuscrit de Paris, d'une façon instructive pour nous. Ses corrections nombreuses et caractéristiques prouvent qu'il ne s'y est pas trompé : cette appréciation des chrétiens vient bien d'un paien, bien plus, d'un homme d'état païen et d'un empereur.

Le second fragment considéré comme authentique par M. Harnack contient la conclusion et le dispositif de l'édit. Interdiction y est faite de poursuivre les chrétiens pour athéisme. Bien que le fond des choses motive ici les critiques les plus sérieuses, M. Harnack accepte intégralement le texte d'Eusèbe, qui lui paraît très homogène, se réservant de répondre ensuite aux difficultés historiques qu'il soulève.

Les interpolations ont été glissées dans le milieu de l'édit : « [Ita victores evadunt, animas suas potius projicientes, quam ut ea facere quæ vos jubetis, in animum suum inducant.] Ceterum de terræ motibus qui vel facti sunt vel etiamnum fiunt, non absurdum videtur vos commonere, qui et animos abjicitis quoties hujusmodi casus contingunt et vestra cum illorum institutis comparatis. Atqui illi quidem majorem tunc fiduciam in Deo collocant. Vos vero] per omne illud tempus quo præ imperitia labi mihi videmini, deos neglegitis et tum alios deos insuper habetis, tum cultum immortalis illius, [et Christianos qui illum venerantur] expellitis, et [ad mortem usque] infestius perurgetis. »>

:

La première phrase est doublement suspecte et comme trop favorable aux chrétiens pour avoir été écrite par un empereur du second siècle, et comme par trop contraire à l'imperatoria brevitas.

Le texte primitif est évidemment surchargé. La phrase précédente contenait une appréciation toute paienne du martyre. Pour en atténuer le mauvais effet, rien de mieux, semblait-il, que d'y opposer l'idée toute chrétienne du triomphe des martyrs. De là une redite qui fait seulement remarquer combien les deux points de vue sont différents. Elle est à supprimer tout entière.

Nul doute que les phrases suivantes aient été remaniées. Jusqu'ici personne ne pouvait leur trouver un sens satisfaisant. On voit bien qu'elles contiennent pêle-mêle des éléments d'origine très diverse, mais comment faire le départ des uns et des autres et retrouver le canevas primitif? L'Empereur voyait avec ennui les agitations d'Asie. A ces gens qui se réclamaient d'un prétexte religieux pour troubler le repos public, il fait la réponse qu'ils méritent il les renvoie à leurs sacrifices. Quelle bonne occasion pour un amateur de faux documents de compléter le blâme infligé aux paiens par un éloge des chrétiens!

Un parallèle était indiqué. Il est amené aussi maladroitement que pos

sible : l'idée en est attribuée aux païens eux-mêmes. C'est que la forme de la phrase grecque ne laissait pas le choix du raccordement. Les particules de liaison que l'auteur ajoute, loin de le rendre plus naturel ne font que mettre en lumière l'incohérence des deux idées qu'elles rapprochent. Chose curieuse, c'est ce parallèle commencé par les païens qui va tourner à leur condamnation, et justifier le refus de l'empereur. La confusion est complète.

Le procédé du faussaire ainsi découvert, la tâche du critique est singulièrement facilitée. Une idée directrice impose les suppressions. D'abord, l'idée même du parallèle : « Et vestra cum illorum institutis comparatis, » puis, les parties trop manifestement favorables aux chrétiens : « Atqui illi quidem majorem tunc fiduciam in Deo collocant »>, ou destinées à créer un semblant d'opposition entre les idées « vos vero». Ce qui suit paraît bien authentique : le blâme de l'empereur : <«< per omne illud tempus quo præ imperitia labi mihi videmini, deos negligitis » : » et surtout la phrase toute paienne : « et tum alios deos insuper habetis, tum cultum immortalis illius ». Mais la fin de la phrase est suspecte « et christianos qui illum venerantur. » Elle tient étroitement au parallèle. C'en est même l'idée principale. « Ad mortem usque » a été ajouté pour plus de clarté. On arrive ainsi à dégager la phrase primitive. «Ceterum de terræ motibus qui vel facti sunt, vel etiamnum fiunt, non absurdum videtur vos commonere, qui et animos abjicitis quoties hujusmodi casus contingunt per omne illud tempus quo præ imperitia labi mihi videmini, deos neglegitis et tum alios deos insuper habetis, tum cultum immortalis illius... expellitis et infestius perurgetis. » La fin est à compléter. « Immortalis illius » appartient au texte primitif. Le faussaire n'a pas choisi cette expression insolite pour désigner Dieu : il a cherché à l'utiliser. Immortalis était donc adjectif. Quel nom qualifiait-il? Pas de doute: Jupiter Capitolin, dont l'assemblée des provinces était chargée de surveiller le culte. Nous avons là une formule consacrée : « immortalis illius Jovis ». Pour compléter le texte, il n'y a plus qu'à donner un régime aux verbes « expellitis et infestius perurgetis ». Ce sont évidemment les chrétiens : « ejusmodi homines ». Comme cette fin de phrase est opposée au reste, mettons Les mots à suppléer sont donc « Jovis, ejusmodi vero homines ». Il faut les placer dans le texte après « immortalis illius ». Chemin faisant, des indices décisifs montrent que la voie suivie est vraiment la bonne, et la reconstitution du texte se trouve achevée suivant une méthode aussi rigoureuse qu'élégante.

vero ».

[ocr errors]

Il semble que l'authenticité d'un document qui sort ainsi rajeuni d'un examen critique si pénétrant, ne puisse plus être décidée au pied levé. Vraisemblablement, une pièce apocryphe n'eût pas résisté à pareille épreuve. Les corrections proposées par M. Harnack sont si simples, la falsification du texte telle qu'il la présente paraît si plausible, des rapprochements si heureux viennent justifier les expressions maintenues, que voir en tout cela une reconstitution artificielle parait bien

« PrécédentContinuer »