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corps d'armée; qu'un des capitaines de la Fronde, le marquis de Noirmoutier, marchait à la tête des troupes étrangères. Parmi les députés, il y avait un homme d'un grand courage, Molé, un homme d'une rare intelligence, de Mesmes: celui-ci poussa l'autre à une résolution hardie; c'est-à-dire à outre-passer leurs pouvoirs, à transgresser l'ordre qu'ils avaient reçu de surseoir à la conférence, et à signer la paix. L'énergique ascendant de Molé, et peut-être aussi les séductions individuelles des délégués de la cour, entraînèrent le reste des députés, bien qu'il y eût parmi eux d'ardents frondeurs : Mazarin avait compris qu'il fallait rendre la paix acceptable et avait obtenu de la reine les concessions les plus nécessaires; au moment où la paix semblait désespérée, la paix fut signée le 11 mars'.

Les principales conditions étaient que l'accommodement serait promulgué sous forme de déclaration royale dans un lit de justice à Saint-Germain; que le parlement, durant le reste de l'année, ne tiendrait point d'assemblée générale; que les déclarations de mai, de juillet et d'octobre 1648 seraient fidèlement exécutées, si ce n'est que le roi, pendant la présente année et la suivante, pourrait emprunter au denier douze (8 1/3 p. 0/0), les deniers nécessaires aux besoins de l'état. Les arrêts du parlement, d'une part, les arrêts du conseil, de l'autre, rendus depuis le 6 janvier dernier, seraient annulés, les troupes parisiennes licenciées; les royales renvoyées en leurs garnisons; la Bastille et l'Arsenal restitués au roi. Le député de l'archiduc serait renvoyé de Paris sans réponse. Tous les particuliers et communautés ayant pris part aux mouvements seraient maintenus dans leurs biens, offices et priviléges, moyennant leur adhésion au traité sous bref délai. Il y aurait décharge générale pour toutes levées de deniers, de soldats, etc. Le roi reviendrait à Paris aussitôt que possible. Les semestres des parlements de Rouen et d'Aix seraient supprimés. Le roi appellerait quelques-uns de ses officiers du parlement aux négociations de paix qui se feraient avec l'Espagne 2.

Mazarin apposa sur le traité sa signature au-dessous de celles

1. Sur toute cette négociation, V. le Procès-Verbal de la conférence de Ruel, à la suite du Journal du Parlement, et ce journal, sur les séances du parlement, p. 193-377. 2. Journal du Parlement, p. 378 et suiv.

d'Orléans et de Condé tous les actes postérieurs au 6 janvier étant annulés, y compris l'arrêt contre Mazarin, les parlementaires n'avaient plus rien à dire de valable contre l'intervention du cardinal.

Ce n'était pas tout que de signer la paix : il fallait la faire recevoir dans Paris; il fallait traverser victorieusement une inévitable tempête qui eût fait reculer tout autre que Molé. La nouvelle que le Mazarin avait souscrit le traité, qu'il demeurait ministre, saisit de fureur, non pas seulement la multitude, mais les frondeurs du parlement. Quand le premier président reparut au Palais, le 13 mars, et voulut lire les articles de Ruel, de violentes clameurs étouffèrent sa voix les enquêtes refusèrent d'entendre un traité nul d'avance; les généraux se plaignirent qu'on eût signé sans les avertir.« Vous avez été invités à la conférence,» répliqua Molé, a et vous n'avez pas envoyé de députés! - On n'a pas consulté le parlement! L'avez-vous consulté, quand vous avez traité avec l'archiduc? »

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Et Molé dénonça le pacte secret dont le parlement n'avait point eu connaissance. Il se fit un grand mouvement dans l'assemblée : les généraux baissèrent le ton; la chance tournait dans le parlement.

Mais, au dehors, l'ouragan se déchaînait de plus en plus : la foule irritée agitait des poignards et des piques, poussait mille cris de mort contre « la grande barbe », surnom populaire de Mathieu Molé, et menaçait de forcer les portes de la grand'chambre. Un des présidents essaya de la haranguer et de rappeler le « respect que doit le peuple aux officiers du roi. Qu'est-ce à dire ? » s'écria un avocat chef d'émeute; « les rois ont fait les parlements: le peuple a fait les rois; il est donc autant à considérer que les uns et les autres'.

Molé, toujours impassible, ne désempara point: la séance continua; les généraux acceptèrent les propositions d'un des députés, à savoir que la députation retournerait à Ruel, afin de faire comprendre les intérêts des généraux dans la déclaration royale

1. Sainte-Aulaire, Histoire de la Fronde, 2o édit., t. I, p. 257. de Motteville, p. 263.

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et de tâcher d'obtenir un nouvel acte où ne figurât point la signature du cardinal. Le parlement sortit, garanti et couvert, en quelque sorte, par les généraux et surtout par le coadjuteur, qui fit de louables et d'heureux efforts pour sauver de toute violence le premier président. Le courroux populaire s'évapora en clameurs parmi lesquelles on entendit retentir le cri de république'!

La question avait été décidée par cette orageuse journée : le sur lendemain, on lut au parlement le traité qu'il avait refusé d'entendre; il l'accepta, sauf à négocier la réforme de certains articles, en traitant des intérêts des généraux et de tous les corps et les particuliers engagés dans le parti.

C'était un grand bien pour la Franee, mais ce n'était point une victoire pour la cour que cette acceptation conditionnelle; les articles que le parlement voulait changer étaient les plus importants, et la cour, en ouvrant les passages aussitôt après la signature du traité, s'était mise dans l'impossibilité de refuser. Par bonheur, les prétentions individuelles que manifestèrent les généraux et, à leur exemple, les moindres petits marquis à la suite de la Fronde, furent tellement extravagantes, que les parlementaires les soutinrent à peine pour la forme : c'étaient des places, des gouvernements, des domaines, des honneurs, de l'argent; le duc de La Trémoille demandait tout simplement le Roussillon, comme descendant de la maison d'Aragon par les femmes ; c'était le royaume à partager; on se fût cru au temps de la Guerre du Bien Public. Le coadjuteur seul avait eu le bon goût et la dignité de se tenir à l'écart de cette cohue. L'effet produit par la longue liste de ces cupidités seigneuriales, que le premier président eut la malice de publier au plus vite, fut pis qu'odieux: il fut profondément ridicule. Les généraux le sentirent et tâchèrent de se réhabiliter dans l'opinion, en dépêchant un gentilhomme à SaintGermain pour déclarer que, si Mazarin se retirait, ils renonceraient à tout avantage personnel (28 mars). Ils invitèrent bruyamment le parlement à s'unir à eux pour réclamer, une dernière fois, le renvoi du cardinal. La demande fut présentée (29 mars): la réponse était prévue; Mazarin resta; mais le parlement obtint

1. Mém. de Retz, p. 141.

ce qu'il voulait la cour consentit à la suppression des deux articles concernant le lit de justice et la suspension des assemblées du parlement durant le reste de l'année, les députés promettant qu'en fait, on ne s'assemblerait pas; la faculté accordée au gouvernement d'emprunter fut limitée à 24 millions en deux ans. Les généraux et leurs lieutenants n'eurent pas si complétement gain de cause: la cour accorda quelque argent, mais point de provinces ni de villes fortes. Il fallut bien se contenter: rompre sur les intérêts privés, c'eût été se perdre avec ignominie. Tout fut conclu le 30 mars à Saint-Germain; la déclaration royale fut enregistrée au parlement le 1er avril; la paix fut publiée, le 2, dans Paris, et la capitale, par la levée des corps de garde bourgeois, eut repris complétement sa physionomie ordinaire le 8'.

1. Procès-verbal de la Seconde Conférence tenue à Saint-Germain, à la suite du Journal du Parlement. Journal du Parlement, p. 390–427. — Mém. de Retz, p. 154-159.

LA FRONDE ET L'ESPAGNE.

LIVRE LXXVII

MAZARIN (SUITE)

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Suite de la guerre contre l'Espagne; perte d'Ypres. Troubles dans les provinces. La cour se raccommode avec les frondeurs et se brouille avec le prince de Condé. Arrestation de Condé. Insurrection nobiliaire en faveur de Condé. La NOUVELLE FRONDE. Les nouveaux frondeurs appellent les Espagnols. La Picardie et la Champagne entamées, pendant que la cour assiége Bordeaux insurgé. Échec des rebelles et des Espagnols à Rethel. Les anciens et les nouveaux frondeurs se réunissent contre Mazarin. Condé remis en liberté. Mazarin obligé de quitter la France. Rupture entre les deux Frondes. La Vieille Fronde s'unit de nouveau à la reine contre Condé. Majorité de Louis XIV. Condé recommence la guerre civile et s'allie à l'Espagne. Mazarin rentre en France les armes à la main. Le duc d'Orléans s'unit à Condé. Le parlement de Paris met à prix la tête de Mazarin, sans s'unir aux princes. Turenne et Condé en présence. Combat de Bléneau. Siége d'Étampes. Anarchie à Paris. Le parlement réduit à l'impuissance. Bataille du faubourg Saint-Antoine. Massacre de l'Hôtel de Ville. Mazarin quitte de nouveau la France. Réaction dans Paris contre les princes. Paris rappelle le roi et la reine mère. Le parlement et le duc d'Orléans se soumettent. Condé se fait général espagnol. Retour définitif de Mazarin. - Perte de Gravelines et de Dunkerque par l'intervention de l'Angleterre en faveur de l'Espagne. Perte de la Catalogne. Perte de Casal. L'Ormée, gouvernement démocratique à Bordeaux. Soumission de la Guyenne. FIN DE La Fronde.

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La paix de Ruel avait arrêté la France sur le penchant de l'abime, mais sans ramener ni le pays, ni le gouvernement, à une situation satisfaisante: la guerre civile laissait les choses au même point où elle les avait prises, c'est-à-dire, à la déclaration du 24 octobre, qui ôtait au pouvoir les ressources de l'arbitraire sans les remplacer par d'autres, car la banqueroute n'est pas de ces ressources qui se puissent renouveler tous les ans. La reine et le ministre, d'une part, n'avaient pas réussi à dompter Paris et le parlement, de l'autre, restaient sous la main de l'impérieux allié dont ils n'avaient accepté la protection que dans l'espoir d'un plein

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