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SECOND FRENCH READER.

TRAVERSÉE DE L'OCÉAN.

"Auprès du gouvernail je suis monté m'asseoir,
Hélas! non sans tourner un ceil involontaire
Vers le bord décroissant sous le soleil du soir."
P. LEBRUN.

Il est difficile aux personnes qui n'ont jamais navigué de se faire une idée des sentimens qu'on éprouve, lorsque du bord d'un vaisseau on n'aperçoit de toutes parts que la face sérieuse de l'abîme. Il y a dans la vie périlleuse du marin une indépendance qui tient de l'absence de la terre; on laisse sur le rivage les passions des hommes; entre le monde que l'on quitte et celui que l'on cherche, on n'a pour amour et pour patrie que l'élément sur lequel on est porté; plus de devoirs à remplir, plus de visites à rendre, plus de journaux, plus de politique. La langue même des matelots n'est pas la langue ordinaire : c'est une langue telle que la parlent l'Océan et le ciel, le calme et la tempête. Vous habitez un univers d'eau parmi des créatures dont le vêtement, les goûts, les manières, le visage, ne ressemblent point aux peuples autochthones: elles ont la rudesse du loup marin et la légèreté de l'oiseau; on ne voit point sur leur front les soucis de la société ; les rides qui le traversent ressemblent aux plissures de la voile diminuée, et sont moins creusées par l'âge que par la bise, ainsi que dans les flots. La peau de ces créatures, imprégnée de sel, est rouge et rigide, comme la surface de l'écueil battu de la lame.

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Les matelots se passionnent pour leur navire: ils pleurent de regret en le quittant, de tendresse en le retrouvant. Ils ne peuvent rester dans leur famille; après avoir juré cent fois qu'ils ne s'exposeront plus à la mer, il leur est impossible de s'en

passer.

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