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Il ne voit que la nuit, n'entend que le silence,
Et le silence ajoute encore à sa terreur.
Alors, de son destin sentant toute l'horreur,
Son cœur tumultueux roule de rêve en rêve;
Il se lève, il retombe, et soudain se relève;
Se traine quelquefois sur de vieux ossements,
De la mort qu'il veut fuir horribles monuments!
Quand tout à coup son pied trouve un léger obstacle,
Il y porte la main. O surprise! ô miracle!

Il sent, il reconnait le fil qu'il a perdu :
Et de joie et d'espoir il tressaille éperdu.
Ce fil libérateur, il le baise, il l'adore,

Il s'en assure, il craint qu'il ne s'échappe encore;
Il veut le suivre, il veut revoir l'éclat du jour :
Je ne sais quel instinct l'arrête en ce séjour ;
A l'abri du danger, son âme encor tremblante
Veut jouir de ces lieux et de son épouvante.
A leur aspect lugubre, il éprouve en son cœur
Un plaisir agité d'un reste de terreur ;
Enfin, tenant en main son conducteur fidèle,
Il part, il vole aux lieux où la clarté l'appelle.
Dieu! quel ravissement quand il revoit les cieux
Qu'il croyait pour jamais éclipsés à ses yeux !
Avec quel doux transport il promène sa vue
Sur leur majestueuse et brillante étendue!
La cité, le hameau, la verdure, les bois,
Semblent s'offrir à lui pour la première fois;
Et, rempli d'une joie inconnue et profonde,
Son cœur croit assister au premier jour du monde.

DELILLE

LA CAMPAGNE DE ROME.

Je ne sais si les voyageurs ont donné une idée bien juste de la campagne de Rome. Figurez-vous quelque chose de la désolation de Tyr et de Babylone, dont parle l'Ecriture; un silence et une solitude aussi vastes que le bruit et le tumulte des hommes qui se pressaient jadis sur ce sol. Vous apercevez çà et là quelques bouts de voies romaines, dans des lieux où il ne passe plus personne; quelques traces desséchées des torrents de l'hiver, qui, vues de loin, ont elles-mêmes l'air de grands chemins battus et fréquentés, et qui ne sont que le lit désert d'une onde orageuse qui s'est écoulée comme le peuple romain. A peine découvrez-vous quelques arbres; mais vous voyez partout des

forêts

ruines d'aqueducs et de tombeaux, qui semblent être les fo
et les plantes indigènes d'une terre composée de la poussière des
morts et des débris des empires. Souvent, dans une grande
plaine, j'ai cru voir de riches moissons; je m'en approchais, et
ce n'était que des herbes flétries qui avaient trompé mon œil :
quelquefois, sous ces moissons stériles, vous distinguez les tra-
ces d'une ancienne culture. Point, d'oiseaux, point de laboureurs,
point de mouvements champêtres, point de mugissements de
troupeaux, point de villages. Un petit nombre de fermes déla-
brées se montrent sur la nudité des champs : les fenêtres et les
portes en sont fermées; il n'en sort ni fumée, ni bruit, ni habi-
tants; une espèce de sauvage, presque nu, pâle et miné par la
fièvre, garde seulement ces tristes chaumières, comme ces spec-
tres qui, dans nos histoires gothiques, défendent l'entrée des châ-
teaux abandonnés. Enfin l'on dirait qu'aucune nation n'a osé
succéder aux maîtres du monde, dans leur terre natale, et que
vous voyez ces champs tels que les a laissés le soc de Cincinna-
tus, ou la dernière charrue romaine.

C'est du milieu de ce terrain inculte que domine et qu'attriste encore un monument appelé par la voix populaire le Tombeau de Néron, que s'élève la grande ombre de la ville éternelle. Déchue de sa puissance terrestre, elle semble, dans son orgueil, avoir voulu s'isoler elle s'est séparée des autres cités de la terre; et, comme une reine tombée du trône, elle a noblement caché ses malheurs dans la solitude.

Il serait impossible de peindre ce qu'on éprouve lorsque Rome paraît tout à coup au milieu de ces royaumes vides, et qu'elle a l'air de se lever pour vous de la tombe où elle était couchée. La multitude des souvenirs, l'abondance des sentiments, vous oppressent, et votre âme est bouleversée à l'aspect de cette Rome, qui a recueilli deux fois la succession du monde, comme héritière de Saturne et de Jacob.

Cependant ces campagnes ont une inconcevable grandeur. L'aspect d'un champ de blé ou d'un coteau de vigne ne donnerait pas à votre âme d'aussi fortes émotions que la vue de cette terre dont la culture moderne n'a pas rajeuni le sol, et qui est pour ainsi dire demeurée antique comme les ruines qui la cou

vrent.

Rien n'est beau comme les lignes de l'horizon romain, comme la douce inclinaison des plans et les contours suaves et fuyants des montagnes qui le terminent. Souvent les vallées y prennent la forme d'une arène, d'un cirque, d'un hippodrome; les coteaux y sont taillés en terrasses, comme si la main puissante des Romains avait remué toute cette terre. Une vapeur particulière, répandue dans les lointains, arrondit les objets et fait disparaître

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ce qu'ils pourraient avoir de trop dur ou de trop heurté dans leurs formes. Les ombres n'y sont jamais lourdes et noires; il n'y a pas de masses si obscures dans les rochers et les feuillages où il ne s'insinue toujours un peu de lumière. Une teinte singulièrement harmonieuse marie la terre, le ciel, les eaux ; toutes les surfaces, au moyen d'une gradation insensible de couleurs, s'unissent par leurs extrémités, sans qu'on puisse déterminer le point où une nuance finit et où l'autre commence. Vous avez sans doute admiré, dans les paysages de Claude Lorrain, cette lumière qui semble idéale et plus belle que nature? Eh bien! c'est la lumière de Rome.

Je ne me lassais point de voir à la villa Borghèse le soleil se coucher sur les cyprès du mont Marius et sur les pins de la villa Pamphili. Les sommets des montagnes de la Sabine apparaissent alors de lapis-lazuli et d'or pâle, tandis que leur base et leurs flancs sont noyés dans une vapeur d'une teinte violette ou purpurine. Quelquefois de beaux nuages, comme des chars légers, portés sur le vent du soir avec une grâce inimitable, font comprendre l'apparition des habitants de l'Olympe sous ce ciel mythologique : quelquefois l'antique Rome semble avoir étendu dans l'Occident toute la pourpre de ses consuls et de ses Césars sous les derniers pas du dieu du jour. Cette riche décoration ne disparaît pas aussi vite que dans nos climats: lorsque vous croyez que les teintes vont s'effacer, elles se raniment tout à coup sur un autre point de l'horizon; un crépuscule semble succéder à un crépuscule, et la magie du couchant se prolonge. Il est vrai qu'à cette heure du repos des campagnes, l'air ne retentit plus de chants bucoliques: les bergers n'y sont plus; mais on voit encore les grandes victimes du Clytumne, des bœufs blancs ou des troupeaux de cavales demisauvages, descendre seuls au bord du Tibre et venir s'abreuver dans ses eaux. Vous vous croiriez transporté au temps des vieux Sabins, ou au siècle de l'Arcadien Évandre, alors que le Tibre s'appelait encore Albula, et que le pieux Enée remonta ses ondes inconnues.

CHATEAUBRIAND.

LES TOURISTES EN ITALIE.

Italie, Italie!

Si riche et si dorée, oh! comme ils t'ont salie!
Les pieds des nations ont battu tes chemins;
Leur contact a limé tes vieux angles romains,
Les faux dilettanti s'érigeant en artistes,
Les mylords ennuyés et les rimeurs touristes,

Les petits lords Byron fondent de toutes parts,
Sur ton cadavre à terre, ô mère des Césars!
Ils s'en vont mesurant la colonne et l'arcade;
L'un se pâme au rocher, et l'autre à la cascade;
Ce sont à chaque pas des admirations,
Des yeux levés en l'air et des contorsions;
Au moindre bloc informe et dévoré de mousse,
Au moindre pan de mur où le lentisque pousse,
On pleure d'aise, on tombe en des ravissemens
A faire de pitié rire tes monumens.

L'un avec son lorgnon collant le nez aux fresques,
Tâche de trouver beaux tes dannés gigantesques,
O pauvre Michel-Ange! et cherche en son cahier,
Pour savoir si c'est là qu'il doit s'extasier;
L'autre, plus amateur de ruines antiques,
Ne rêve que frontons, corniches et portiques,
Baise chaque pavé de la Via-Lata,

Ne croit qu'en Jupiter et jure par Vesta.
De mots italiens fardant leurs rimes blêmes,
Ceux-ci vont arrangeant leur voyage en poëmes,
Et sur de grands tableaux font de petits sonnets;
Artistes et dandys, roturiers, baronnets,

Chacun te tire aux dents, belle Italie antique,
Afin de ramporter un pan de ta tunique!

THEOPHILE GAUTIER.

VOYAGE DE ROME À BRINDES.

*

Je partis de Rome avec le rhéteur Héliodore, le plus habile des Grecs d'aujourd'hui, et nous arrivâmes le soir dans la petite ville d'Aricie. De là nous vinmes au marché d'Appius, endroit rempli de bataliers et de cabaretiers fripons. Nous fimes cette traite en deux jours; des voyageurs plus lestes que nous la font La voie Appienne n'est pas désagréable, même quand on va lentement. Il fallut en cet endroit me condamner à faire diète, parce que l'eau était fort mauvaise; j'attendis, non sans quelque dépit, que mes compagnons eussent soupé.

en un.

La nuit commençait à étendre ses ombres sur la terre, et à

* Je n'ai pu m'empêcher de donner ici la traduction d'une satire d'Horace. Le poète y raconte le voyage qu'il fit de Rome à Brindes, l'an de Rome 717. Ce voyage embrasse toute l'étendue de l'Italie méridionale; il est un des morceaux les plus curieux qui nous soient restés de l'antiquité.

semer le ciel d'étoiles, lorsque les valets et les bateliers s'entreprennent de paroles. Aborde ici! Non! C'en est assez, maraud, en veux-tu recevoir trois cents? On fait payer, on attèle la mule; une heure se passe. Les cousins, les grenouilles du canal empêchent de fermer l'œil. Le matelot ivre chante; le voyageur lui répond sur le même ton; enfin on s'endort. Le muletier s'endormant aussi, attache la corde du bateau à une pierre, lâche sa mule dans les prés, s'étend sur le dos, et ronfle à son aise. Il était grand jour quand nous nous aperçûmes que la barque n'allait plus. Un de nous, qui avait le sang chaud, s'élance hors de la barque, arrache un saule et réveille à grands coups et le mulet et le muletier. Il était onze heures lorsque nous arrivâmes à Féronie. Nous nous lavons la bouche et les mains dans la fontaine consacrée à la nymphe; nous déjeûnons, après quoi nous fûmes traînés pendant trois milles, avec une lenteur mortelle, jusqu'à Anxur,* qui est perché sur ces rochers blancs qui apparaissent de si loin. Nous laissâmes volontiers Fondit et son préteur impertinent, jadis greffier; il nous fit rire, avec sa robe de pourpre qu'il étalait, et son laticlave, et la cassolette que nous savions qu'il faisait porter devant lui. Nous restâmes un jour pour nous délasser dans la ville des Mamurras, où Capiton et Murena nous donnèrent, l'un à souper, l'autre à coucher. Que le lendemain fut agréable! Nous trouvâmes à Sinuesse Plotius, Varius et Virgile, les plus belles âmes qui furent jamais, et à qui personne n'est plus attaché que moi. Quels transports, quels embrassements! Est-il rien de comparable au plaisir de revoir de vrais amis! De là nous nous arrêtâmes dans cette petite métairie qui est proche du pont de Campanie. On nous y fournit le bois et le sel qui sont dus. Nous voilà à Capoue; Mécène va jouer à la paume; Virgile et moi, nous allons dormir; car la paume ne convient ni aux maux d'yeux, ni aux maux d'estomac. Nous fûmes ensuite reçus dans la riche métairie de Coccéius, qui est au-dessus des hôtelleries de Caudium....

Ensuite nous vinmes à Bénévent, où notre hôte empressé manqua de brûler sa maison, en voulant faire rôtir des grives étiques. La flamme se développant dans sa vieille cuisine, commençait déjà à gagner le toit. Vous eussiez vu alors les convives affamés et les valets tremblants enlever les plats et éteindre le feu. Nous aperçûmes les hautes montagnes de la Pouille, toujours battues par les aquilons; nous ne nous en fussions ja

Aujourd'hui Terracine.

On y trouve des antiquités, parmi lesquelles il faut compter la voie Appienne, qui en forme la rue principale, et dont le pavé s'est conservé intact, ainsi qu'une partie des anciennes murailles.

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