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mais tirés sans une maison voisine de Trévise, où nous fûmes reçus et régalés d'une fumée qui nous fit pleurer; on y brûlait du bois vert chargé de feuilles mouillées.

De là, nous fimes en voiture et en poste vingt-quatre milles, afin de gîter dans une ville dont le nom ne saurait se dire en vers (Equotutium, à vingt et un milles de Bénévent), mais qu'il est aisé de faire connaître autrement. On y achète l'eau, le pain y est très beau, si beau, que le voyageur qui connaît la route en prend avec lui pour le lendemain, car à Canose il est pierreux; les nymphes des fontaines n'y sont pas plus riches. Le lendemain nous arrivâmes à Rubi,* fort las, car nous faisions de longues traites, et la pluie avait gâté les chemins. Le jour suivant le temps fut plus beau, mais le chemin plus mauvais encore jusqu'à Bari. Gnatie,† petite ville bâtie dans la colère des nymphes, nous amusa; on voulut nous persuader que l'encens s'y brûlait sur l'autel sans feu. Qu'on le fasse accroire au juif Apella, pour moi je ne le crois pas. Je crois que les dieux vivent en repos, et que si la nature fait quelques merveilles, ils ne se donnent point la peine d'y mettre la main du haut du ciel. Enfin nous arrivâmes à Brindes; là finissait le voyage, là finira ma narration. Traduit du Latin,§ HORACE, Sat. 5, liv. 1.

* Aujourd'hui Ruvo, à 23 milles de Canose.

Anasso, à 37 milles de Bari, sur les côtes de la Pouille.

On reconnaît la doctrine d'Epicure, dont Horace était un sectateur. Le LATIN a été produit par la fusion des idiomes des Osques, des autres peuplades latines et des Grecs d'Italie. Cette langue, concise et énergique, se rapproche du sanscrit plus que le grec, et peut-être considérée comme le chainon unissant entre elles les langues indo-européennes. Sa fixation definitive n'a guère en lieu qu'au commencement de l'ère chrétienne; son époque la plus brillante a été le siècle d'Auguste. Le plus ancien monument de l'ancienne langue latine est une chanson des frères Arvales (anciens prêtres du temps de Romulus), laquelle se voit encore à St-Pierre de Rome, gravée sur une pierre, découverte en 1778. Viennent ensuite quelques fragments des lois de Numa, que Festus nous a conservés. On trouve dans Varron quelques mots tirés des chants des prêtres saliens que cet écrivain ne comprenait plus. Suivent les Lois des douze tables (450 avant J. C.) et l'inscription du tombeau de Scipion (Barbatus) qui doit remonter à l'an 460. Ce sont les deux plus anciens monuments de la langue latine proprement dite.

Ce n'est qu'environ deux siècles avant l'ère vulgaire que le peuple romain naquit véritablement aux lettres, et il conserva longtemps des traces de sa première rusticité. A la cour d'Auguste, Horace s'en plaignait encore :—

Manserunt, hodièque manent vestigia ruris.

Un distique de Licinius, cité par Aulu-Gelle fournit une date fixe sur l'origine de la littérature latine:

"Pendant la seconde guerre Punique, la Muse, dans sa course ailée, s'est abattue sur la nation rude et belliqueuse de Romulus'

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Lors de l'invasion des barbares au cinquième siècle; la langue latine parlée,

LE PEUPLE EN ITALIE.

L'Italie, où la littérature grecque venait d'être transportée par les soins de Boccace et de la république florentine, était le pays de l'Europe le plus propre à faire revivre l'ancienne Grèce. La nature elle-même s'est plu à doter ces deux magnifiques contrées de dons à peu près semblables. Elle a multiplié, dans l'une et dans l'autre, les sites pittoresques; elle y a entassé des rochers majestueux, creuse des vallons riants et ménagé des eascades refraichissantes; elle a orné, comme pour un jour de fête. leurs campagnes de la plus riche végétation; et tandis qu'elle a enrichi à l'envi l'Italie et la Grèce par les prodiges de sa puissance, elle a donne aussi aux hommes qui les habitent des qui était deja depuis longtemps en décadence, se transforma en un idiome bâtard où chacun des peuples conquérants apporta son contingent, et qui est connu sous le nom de Basse latinite. Il fut la langue savante, administrative et ecclesiastique jusqu'au milieu du quatorzième siècle. Lors du mouvement intellectuel qui eut heu dans les deux siècles suivants, on essaya, surtout en Italie, de faire revivre le latin antique dans toute sa pureté. Ce fut une tentative inutile. Pourtant on pourrait former depuis le siècle d'Auguste une liste non interrompue de prosateurs français, hollandais, madeus, ete, qui ont ecrit en latin. De plus, jusqu'au dernier siècle le latin a ete la langue scientifique de l'Europe, et même aujourd'hui elle est encore usitée, mais avec des destinations speciales. C'est la langue liturgique de Tegase catholique.

Quant au caractere grammatical, la langue latine dépend de la grammaire grecque, mais avec moins de perfection: car elle n'a ni duel, ni artide. Elle est pauvre en participes; elle use moins largement de la faculté de composition des mots; elle est moins claire et moins harmonieuse que le gree, mais elle excelle surtout par la pleine liberté de sa construction qui semble procéder des moeurs romaines.

Au lieu de se soumettre au sort comme les autres peuples, les Romains se tracerent même des l'origine une destinée dont l'accomplissement était la conquête de l'univers. Portant jusque dans leur langage cette irrésistible puissance de la volonté, ils formerent une langue qui, au lieu d'obéir à la pensée, comme les autres, pliait la pensée à son propre génie.

Ainsi la construction latine, loin d'être analytique et de se conformer à l'ordre rationnel, qui établit une succession immuable du sujet au complément, puis au verbe, puis aux régimes, etc., etc., suivant la conception physiologique, ne reconnut d'autre loi que l'instinct de celui qui parle.

Sobres dans le discours comme dans la conduite, ils n'employaient que les mots nécessaires, en commençant par les plus expressifs, et en établis sant entre eux, dans la phrase, les contacts qui existaient dans la réalité, à savoir, les sujets et leurs régimes ensemble, puis le verbe jeté à la fin, quelquefois supprimé lorsque le rapprochement des sujets et des régimes, et la nature des désinences avaient dú suffire à exprimer l'espèce de leurs

De plus, recherchant par-dessus tout la promptitude et la force, nt que les choses parussent se passer et non pas être décrites, par rec, dont le génie harmonieux cherchait de préférence à lle; de sorte que si la langue grecque est la plus musicale, est assurément la plus énergique.

qualités semblables, si du moins l'on peut reconnaître le caractère primitif d'un peuple, lorsqu'il a déjà été altéré par les gouvernements divers. Les qualités communes aux peuples de l'Italie et de la Grèce, les qualités permanentes, dont le germe s'est maintenu sous tous les gouvernements et se retrouve encore, sont une imagination vive et brillante, une sensibilité rapidement excitée et rapidement étouffée; enfin le goût inné de tous les arts, avec des organes propres à apprécier ce qui est beau dans tous les genres, et à le reproduire. Dans les fêtes du peuple de la campagne, on démêlerait des hommes en tout semblables à ceux dont les applaudissements animaient de génie de Phidias, de Michel-Ange ou de Raphaël. Ils ornent leurs chapeaux de fleurs odoriférantes; leur manteau est drapé d'une manière pittoresque, comme celui des statues antiques; leur langage est figuré et plein de feu; leurs traits expriment toutes leurs passions, et en effet ils sont susceptibles de l'amour le plus impétueux, de la colère la plus bouillante. Aucune fête ne leur paraît complète si les facultés morales n'y ont eu quelque part, si l'église où ils se réunissent n'est ornée avec goût et d'une manière pittoresque, si une musique harmonieuse n'élève leur âme vers les cieux. Leurs divertissements portent le même caractère lorsque, sur leur salaire, ils ont dérobé à leurs besoins une pénible épargne, ils ne la consacrent point à se procurer des boissons enivrantes ou des plaisirs crapuleux, mais ils la portent, comme un tribut, aux théâtres, aux poëtes improvisateurs, aux conteurs d'histoires qui éveillent leur imagination et nourrissent leur esprit. L'Italie est le seul pays où le bouvier et le vigneron, le laboureur et le berger remplissent, avec leurs femmes et leurs enfants, les salles de spectacle; c'est le seul où ils puissent comprendre les tragédiens qui leur représentent les héros des temps passés, et des fables poétiques, dont le souvenir ne leur est point absolument étranger.

SISMONDI.

LES NAPOLITAINS.

Le peuple napolitain, à quelques égards, n'est point du tout civilisé; mais il n'est point vulgaire à la manière des autres peuples sa grossièreté même frappe l'imagination. La rive africaine, qui borde la mer de l'autre côté, se fait déjà presque sentir, et il y a je ne sais quoi de numide* dans les cris sauvages

* Les Numides, peuples du nord de l'Afrique, étaient nomades, quoique vivant sous un gouvernement monarchique. C'étaient les peuples les moins civilisés de l'Afrique septentrionale, et conséquemment ceux dont le langage était le plus rude, le plus sauvage.

qu'on entend de toutes parts. Ces visages bruns, ces vêtements formés de quelques morceaux d'étoffe rouge ou violette, dont la couleur foncée attire les regards, ces lambeaux d'habillements que ce peuple artiste drape encore avec art, donnent quelque chose de pittoresque à la populace, tandis qu'ailleurs l'on ne peut voir en elle que les misères de la civilisation. Un certain goût pour la parure et les décorations se trouve souvent à Naples à côté du manque absolu des choses nécessaires ou commodes. Les boutiques sont ornées agréablement avec des fleurs et des fruits; quelques-unes ont un air de fête qui ne tient ni à l'abondance, ni à la félicité publique, mais seulement à la vivacité de l'imagination: on veut réjouir les yeux avant tout. La douceur du climat permet aux ouvriers en tout genre de travailler dans la rue. Les tailleurs y font des habits, les traiteurs leurs repas, et les occupations de la maison, se passant ainsi au dehors multiplient le mouvement de mille manières. Les chants, les danses, des jeux bruyants, accompagnent assez bien tout ce spectacle, et il n'y a point de pays où l'on sente plus clairement la différence de l'amusement au bonheur. Enfin, on sort de l'interieur de la ville pour arriver sur les quais, d'où l'on voit et la mer et le Vésuve, et l'on oublie alors tout ce que l'on sait des hommes. MME. DE STAEL.

LA DERNIÈRE ÉRUPTION DU VÉSUVE.*

Naples est une heureuse ville, que le plaisir n'abandonne jamais. En dépit du carnaval et des fêtes officielles, un peu de monotonie allait s'emparer d'elle: le Vésuve semble être sorti de son repos tout exprès pour la distraire. Nous avons eu une des plus belles éruptions dont on ait souvenir. Depuis douze ou quatorze jours, la montagne était en travail, annonçant, par ses grondemens et ses déchiremens intérieurs, qu'elle allait accoucher d'autre chose que d'une souris. Le 6 mars, on vit s'élever du cratère des tourbillons de fumée et de vapeur, traversés par momens de langues de feu, que suivaient d'effroyables détonations souterraines; et le matin du 7, la lave parut et commença à descendre vers Torre dell'Annunziata, en sept ou huit ruisseaux. Le soir de ce jour, nous montâmes à l'Hermitage, et de là, avec des guides et des torches, nous montâmes jusqu'au cône, d'où l'on voyait parfaitement le courant de feu, à la lueur blanche, qui

* Mars, 1850.

aspirait la lave du fond du cratère, et la précipitait dans la direction de Pompéi et du Bosco-Reale. Dans la nuit du 8, les rugissemens du cratère, entremêlés de sourds gémissemens, privèrent de sommeil une bonne partie de la population de Naples; et pendant toute la journée suivante, des masses de fumée, de laves et de vapeur, des pierres énormes et des scories, furent vomies sans interruption. Le soir, on fit annoncer qu'un train spécial quitterait Naples à six heures, pour Torre dell'Annunziata, et reviendrait à onze heures. Quatre cents personnes en profitèrent, et un fort parti d'Inglesi,* sur des mules et des ânes, accompagnés de guides avec des torches, monta vers le BoscoReale, qui est à cinq milles de Torre dell'Annunziata, et auquel on parvient par d'étroits sentiers. Il n'y avait aucun sujet d'appréhension, parce que le gouvernement avait envoyé des troupes d'infanterie et de cavalerie pour protéger les propriétés et les personnes et maintenir le bon ordre. La vue qui frappa nos yeux en arrivant en face du Bosco-Reale, était pleine de grandeur. Le torrent de lave présentait à ce moment un front d'un mille et demi de large, et s'avançait lentement, mais sans s'arrêter, en droite ligne, et dévorant tout ce qu'il trouvait sur son passage. Nous avions rencontré sur la route des bandes de pauvres paysans, emportant lits, chaises, tables, batterie de cuisine et tous les objets qu'ils avaient pu sauver du torrent dévastateur; les femmes et les enfans assourdissaient l'air de leurs gémissemens, de leurs cris et de leurs appels au bon saint Janvier. Tous ces malheureux se trouvaient désormais sans abri et sans res

sources.

A neuf heures du soir, la lave avait dévoré la moitié du bois et avait pris complète possession de tout le reste. De temps à autre, un massif de 300 ou 400 jeunes arbres prenait feu à la fois et jetait une vive flamme qui illuminait le pays sur un espace de plusieurs milles. Quelquefois un vieux houx, un chêne vénérable opposaient, par leur masse énorme, une résistance momentanée mais bientôt ils faisaient explosion avec une forte détonation, étaient lancés à douze ou quatorze pieds en l'air et brûlaient comme de la paille en retombant. Lorsque la lave, après chaque temps d'arrêt, se précipitait en avant, les gros arbres offraient le spectacle merveilleux de mille petits jets de flamme s'élançant de tous les noeuds des petites branches. provenait de ce que les racines et le tronc s'étaient trouvés toutà-coup en contact avec la lave sans que l'arbre eût été préalablement grillé avant de prendre feu. Dans ce cas, les arbres

Cela

* (Anglais.) C'est le nom qu'en Italie le peuple donné à tout étranger. + Patron de Naples.

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