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en nous demandant si nous ne nous arrêtions pas à Pompéi et en nous offrant de nous en faire les honneurs. Nous le remerciâmes de sa proposition obligeante, mais comme il entrait dans nos projets de prendre notre guide à l'endroit même, nous l'invitâmes à aller offrir ses services à d'autres qu'à nous. Il nous demanda alors de permettre qu'il restât où il était jusqu'à Torre del Greco. La demande était trop peu ambitieuse pour que nous la lui refusassions. Le gamin demeura sur son brancard. Seulement, arrivé à Torre del Greco, il nous dit qu'en y réfléchissant bien c'était à Torre dell'Annunziata qu'il avait affaire, et qu'avec notre permission il ne nous quitterait que là. Nous eussions perdu tout le mérite de notre bonne action en ne la poursuivant pas jusqu'au bout. La permission fut étendue jusqu'à Torre dell'Annunziata.

A Torre del Greco nous nous arrêtâmes, comme la chose était convenue, pour déjeuner et pour changer de cheval: nous déjeunâmes d'abord tant bien que mal; le lacrima-christi ayant fait compensation à l'huile épouvantable avec laquelle tout ce qu'on nous servit était assaisonné; puis nous appelâmes notre cocher, qui se rendit à notre invitation de l'air le plus dégagé du monde. Nous ne doutions donc pas que nous ne pussions nous remettre immédiatement en route, lorsqu'il nous annonça, toujours avec son même air riant, qu'il ne savait pas comment cela se faisait, mais qu'il n'avait pas trouvé à Torre del Greco le relai sur lequel il avait cru pouvoir compter. Il est vrai, s'il fallait l'en croire, que cela n'importait en rien, et que le cheval ne se serait pas plutôt reposé une heure, que nous répartirions plus vite que nous n'étions venus. Au reste, l'accident, nous assurait-il, était des plus heureux, puisqu'il nous offrait une occasion de visiter Torre del Greco, une des villes, à son avis, les plus curieuses du royaume de Naples.

Nous nous serions fâchés que cela n'aurait avancé à rien. D'ailleurs, il faut le dire, il n'y a pas de peuple à l'endroit duquel la colère soit plus difficile qu'à l'endroit du peuple de Naples. Il est si grimacier, si gesticuleur, si grotesque, qu'autant vaut chercher dispute à Polichinelle. Au lieu de gronder notre cocher, nous lui abandonnâmes donc le reste de notre fiasco de lacryma-christi, puis nous passâmes à l'écurie, où nous fimes donner devant nous double ration d'avoine au cheval; enfin, pour suivre le conseil que nous venions de recevoir, nous nous mimes en quête des curiosités de Torre del Greco.

En revenant à l'hôtel, nous retrouvâmes notre calessino attelé. Le pauvre cheval avait eu un repos de deux heures et double ration d'avoine; mais sa charge s'était augmentée de deux lazzaroni et d'un second gamin,

Nous vîmes qu'il était inutile de protester contre l'envahissement, et nous résolûmes au contraire de le laisser aller sans aucunement nous y opposer. En arrivant à Torre dell'Annunziata, nous étions au complet, et rien ne nous manquait pour soutenir la concurrence avec les nationaux, pas même la nourrice et la paysanne. Au reste, soit habitude, soit l'effet de la double ration d'avoine, la charge toujours croissante n'avait point empêché notre cheval d'aller toujours au galop.

ALEXANDRE DUMAS.

POMPÉIA.*

A Rome, on ne trouve guère que les débris des monument publics, et ces monuments ne retracent que l'histoire politique des siècles écoulés; mais à Pompéia c'est la vie privée des anciens qui s'offre à vous telle qu'elle était. Le volcan qui a couvert cette ville de cendres, l'a préservée des outrages du temps. Jamais des édifices exposés à l'air ne se seraient ainsi maintenus, et ce souvenir enfoui s'est retrouvé tout entier. Les peintures, les bronzes étaient encore dans leur beauté première, et tout ce qui peut servir aux usages domestiques est conservé d'une manière effrayante. Les amphores sont encore prépa

* Pompéia, une des riches cités de la Campanie, détruite en 79, lors de la première éruption du Vésuve, et retrouvée en 1755.

Dans une maison que l'on n'hésite pas à désigner comme une école de chirurgie ou un amphithéâtre d'anatomie on a trouvé des instruments de chirurgie, au nombre de plus de quarante; la plupart sont semblables aux notres; d'autres ont une forme différente, pour des usages que peut-être nous ne connaissons pas. Puis vient la douane, ou la maison du vérificateur des poids et mesures, reconnaissable à la quantité de poids de toute grandeur qu'elle renferme; puis la manufacture de savon, où l'on a trouvé des tas de chaux qui servaient à sa composition, et cinq cuves oblongues, d'un enduit très dur, et où l'on mettait refroidir la matière; puis le marchand d'huile avec ses rayons chargés de vases, et la boutique du forgeron. La quantité de fer découverte dans cet endroit, et particulièrement des roues, des axes de roues, des instruments en fer, tels que tenailles et marteaux, ne saurait laisser de doute sur la destination de cette boutique. Elle n'occupait qu'une chambre du devant de l'habitation, qui était composée de plusieurs pour différents usages; à droite on aperçoit les vestiges d'un appartement de bain, et à gauche une cave, reconnaissable à la quantité de bouteilles à long col, qui y étaient déposées. Au fond de l'entrée de la maison, on voit un four public; il y avait une quantité de vases d'argile propres à contenir l'eau, et quatre moulins à grains. Les anciens portaient le grain au four, et là ils avaient la commodité de trouver le moulin nécessaire pour le broyer, les pétrins pour le préparer, et le four pour le cuire. Dans une autre boulangerie on a trouvé un pain conservé, avec l'indication de la substance dont il était composé, sans doute par suite d'une prescription de la police de Pompéi.

rées pour le festin du jour suivant; la farine qui allait être pétrie est encore là. Les restes d'une femme sont encore ornés des parures qu'elle portait dans le jour de fête que le volcan a troublé, et ses bras desséchés ne remplissent plus le bracelet de pierreries qui les entoure encore. On ne peut voir nulle part une image aussi frappante de l'interruption subite de la vie. Le sillon des roues est visiblement marqué sur les pavés dans les rues, et les pierres qui bordent les puits portent la trace des cordes qui les ont creusées peu à peu. On voit encore sur les murs d'un corps-de-garde les caractères mal formés, les figures grossièrement esquissées que les soldats traçaient pour passer le temps, tandis que ce temps avançait pour les engloutir.

Quand on se place au milieu du carrefour des rues, d'où l'on voit de tous côtés la ville qui subsiste encore presqu'en entier, il semble qu'on attende quelqu'un, que le maître soit prêt à venir; et l'apparence même de la vie qu'offre ce séjour fait sentir plus tristement son éternel silence. C'est avec des morceaux de lave pétrifiée que sont bâties la plupart de ces maisons qui ont été ensevelies par d'autres laves. Ainsi, ruines sur ruines, et tombeaux sur tombeaux. Cette histoire du monde où les époques se comptent de débris en débris, cette vie humaine dont la trace se suit à la lueur des volcans qui l'ont consumée, remplit le cœur d'une profonde mélancolie. Qu'il y a longtemps que l'homme existe! Qu'il y a long-temps qu'il vit, qu'il souffre et qu'il périt! Où peut-on retrouver ses sentiments et ses pensées? L'air qu'on respire dans ces ruines en est-il encore empreint, ou sont-elles pour jamais déposées dans le ciel où règne l'immortalité? Quelques feuilles brûlées des

Remarquez qu'en tête de la plupart des boutiques se trouvait, avec le nom du propriétaire, une enseigne en peinture; elles ont généralement été recueillies et transportées à Portici. On y voit des fabricants de chaudrons et d'autres ustensiles de cuisine, dans toutes les postures qu'exige leur fabrication; la boutique du savetier et du cordonnier y est représentée; l'atelier du potier, les auberges, les cafés et les cabarets avec leurs buveurs y sont reproduits d'après nature; enfin, on y voit l'enseigne du maître d'école: il donne le fouet à un drôle qui n'a pas su décliner un nom. Il y a aussi une enseigne de pharmacien, où sont représentés trois habitués de la maison; l'un agite avec une cuiller une liqueur placée dans un vase sur le feu; deux autres se fatiguent autour d'un alambic d'une forme toute particulière, pour extraire de l'huile d'amande, dont on voit déjà une partie recueillie par extrait. Du reste, il y a aussi à Pompéia une boutique d'apothicaire, où l'on a trouvé des vases avec des préparations chimiques séchées, des pilules et des alambics en quantité. Des découvertes analogues ont été faites dans la maison d'un marchand de couleurs, dont les échantillons, soumis à l'épreuve de la chimie, ont donné des résultats intéressants pour l'histoire des procédés de peinture chez les anciens.

manuscrits qui ont été trouvés à Herculanum et à Pompéia, et que l'on essaie de dérouler à Portici, sont tout ce qui nous reste pour interpréter les malheureuses victimes que le volcan, la foudre de la terre, a dévorées. Mais, en passant près de ces cendres que l'art parvient à ranimer, on tremble de respirer, de peur qu'un souffle n'enlève cette poussière où de nobles idées sont peut-être encore empreintes.

Les édifices publics, dans cette ville même de Pompéia, qui était une des moins grandes de l'Italie, sont encore assez beaux. Le luxe des anciens avait presque toujours pour but un objet d'intérêt public. Leurs maisons particulières sont très-petites,* et l'on n'y voit point la recherche de la magnificence, mais un goût vif pour les beaux-arts s'y fait remarquer. Presque tout l'intérieur était orné de peintures les plus agréables, et de pavés de mosaïque artistement travaillés. Il y a beaucoup de ces pavés sur lesquels on trouve écrit: Salve (salut). Ce mot est placé sur le seuil de la porte. Ce n'était pas sûrement une simple politesse que ce salut, mais une invocation à l'hospitalité. Les chambres sont singulièrement étroites, peu éclairées, n'ayant jamais de fenêtres sur la rue, et donnant presques toutes sur un portique qui est dans l'intérieur de la maison, ainsi que la cour de marbre qu'il entoure. Au milieu de cette cour est une citerne simplement décorée. Il est évident, par ce genre d'habitation, que les anciens vivaient presque toujours en plein air, et que c'était ainsi qu'ils recevaient leurs amis. Rien ne donne

son.

* Les maisons des citoyens de toutes les classes se ressemblent généralement, grandes et petites; en voici la disposition la plus ordinaire: en entrant est l'atrium, espèce de vestibule entouré de petites chambres bien décorées; au fond, un petit jardin ou cour intérieure, prenant aussi le nom d'impluvium, parce qu'elle recevait l'eau pour le bain; cette enceinte est également entourée de chambres où habitaient les maîtres de la maiA gauche de l'atrium, il y a un passage conduisant à des portiques enfermant un autre petit jardin avec un vivier, et au fond le triclinium, salle à manger. Le gynaeceum, ou l'appartement des femmes avec son exèdre, se compose d'une suite d'appartements tout à fait reculés, décorés de peintures, de colonnes, de portiques, avec un troisième jardin entouré de colonnes à l'extrémité de l'habitation. Toutes les chambres donnent sur la cour ou sur les péristyles; elles sont petites, isolées, et ne communiquent point entre elles; beaucoup n'ont pas de croisées, et ne reçoivent le jour que par la porte ou par une ouverture au plafond. Dans les maisons de trois étages, le dernier donne ordinairement sur la rue. Des deux côtés de la porte d'entrée, il y avait généralement une boutique avec des étaux sur la rue, et au-dessus de ces boutiques un appartement, appelé le canaculum, qui était le lieu d'habitation de l'ouvrier ou du petit marchand auquel elle était louée; cette circonstance, jointe à celle des chambres des étages supérieurs, lesquelles ouvraient aussi sur la rue, donnait aux rues des villes romaines un aspect analogue à celles de nos villes, par rapport à la façade des maisons.

une idée plus douce et plus voluptueuse de l'existence, que ce climat, qui unit intimement l'homme avec la nature. Il semble que le caractère des entretiens et de la société doit être tout autre avec de telles habitudes, que dans les pays où la rigueur du froid force à se renfermer dans les maisons. On comprena mieux les dialogues de Platon, en voyant ces portiques sous lesquels les anciens se promenaient la moitié du jour. Ils étaient sans cesse animés par le spectacle d'un beau ciel : l'ordre social, tel qu'ils le concevaient, n'était point l'aride combinaison du calcul et de la force, mais un heureux ensemble d'institutions qui excitaient les facultés, développaient l'âme, et donnaient à l'homme pour but le perfectionnement de lui-même et de ses semblables. MME DE STAEL.

HERCULANUM.*
*

Les fouilles d'Herculanum se font actuellement à près de quatre-vingts pieds de profondeur. On y descend par un escalier pratiqué dans la lave. Ces souterrains ressemblent à des carrières, les passages en sont exhaussés et faciles. On est occupé depuis longtemps à fouiller un palais immense, où l'on a déjà trouvé plusieurs statues et différents monuments. Les murs étaient de briques, chargées de pierres, et la plupart des appartements se trouvaient pavés en marbre. Quand on fouille un appartement, on enlève les peintures et les mosaïques dont il était orné, et on le remplit ensuite de décombres. Les fouilles paraissent d'ailleurs bien conduites. Lorsqu'on s'est assuré du sol de la ville, on suit un mur dans sa direction et dans ses sinuosités, on pénêtre dans les ouvertures; on mine tout, mais en même temps on dessine tout, de manière qu'on pourra se flatter

* Herculanum, la plus riche des cités de la Campanie, comme Pompéia, détruite en 79; mais différemment de celle-ci, qui est couverte de cendres, Herculanum est ensevelie sous une couche de lave épaisse de quatre-vingts pieds. On conçoit que les fouilles soient très difficiles à une telle profondeur; on n'a découvert encore que les grands édifices, un magnifique théâtre et le forum ou tribunal, bâtiment rectangulaire, orné de péristyles et de statues équestres. Les rues d'Herculanum sont tirées au cordeau, pavées de lave et garnies de trottoirs. Il y a autour un gradin d'un pied de haut où l'on pense que se tenaient les esclaves; la plupart des murs sont peints à la fresque et représentent des cercles, des losanges, des colonnes, des guirlandes, des oiseaux; les fenêtres étaient fermées avec des volets la nuit, et ouvertes le jour; un verre très épais s'est trouvé à un petit nombre de maisons. Cette ville a été retrouvée en 1713.

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