Images de page
PDF
ePub

d'avoir un jour le plan de la ville, rue par rue, et maison par maison.

Il paraît que dans l'éruption du Vésuve, qui combla la ville. d'Herculanum, les habitants eurent le temps d'échapper au danger, et de sauver la plupart de leurs effets. Voilà ce qui fait qu'on n'a point trouvé de bijoux en or, et qu'on n'y a découvert que de petits vases en argent. Ceux de bronze sont en très grand nombre, et en général d'un contour agréable et d'un travail excellent. Les ornements y sont diversifiés en cent façons différentes, mais toujours avec sagesse; tantôt ce sont des feuillages inscrustés en argent, qui circulent sur le bord ou au cou du vase, tantôt ce sont de jolies petites figures entrelacées qui tiennent lieu d'anses; la plupart sont en forme d'aiguières, d'écuelles ou de soucoupes.

Toutes les différentes classes de monuments déterrés à Herculanum feraient la matière de plusieurs articles; mais nous ne nous arrêterons ici qu'aux manuscrits, comme à l'objet le plus essentiel. Pour en avoir d'abord une juste idée, il faut concevoir une bande de papier plus ou moins longue, et large d'environ un pied. On distribuait sur la longueur de cette bande plusieurs colonnes d'écriture, séparées entre elles et allant de droite à gauche. On la roulait ensuite, mais de façon qu'en ouvrant le manuscrit, on avait sous les yeux la première colonne ou page de l'ouvrage, et que la dernière se trouvait dans l'intérieur du rouleau.

On fut longtemps sans connaître le moyen de dérouler les manuscrits d'Herculanum. Des essais nombreux et divers furent tentés, et beaucoup de ces monuments furent anéantis. Enfin, il se présenta un moine industrieux et patient qui trouva un moyen de dérouler entièrement les manuscrits. Il cherche le bord extérieur du manuscrit, il y attache plusieurs fils de soie qu'il roule autour d'autant de chevilles engagées dans un petit châssis; il tourne ces chevilles avec précaution, et le manuscrit se déplie imperceptiblement. On ne doit pas compter sur les premières couches du papier, elles sont déchirées ou pourries. Il faut parvenir à une certaine profondeur et rencontrer la partie du manuscrit qui n'est que calcinée. Quand on a déroulé quelques colonnes, on les coupe et on les colle sur la toile; il faut plusieurs mois pour en déplier un seul.*

BARTHÉLEMY.

* A l'aide de ce procédé, on est parvenu à dérouler quatre manuscrits grecs, un traité d'Epicure, un livre de morale, un poème sur la musique et un traité de rhétorique; quant aux autres manuscrits, les uns, aussitôt exposés à l'air, tombèrent comme des toiles d'araignées, les autres sont un pur charbon.

RUINES DES CÔTES DE NAPLES.

Ces temples du plaisir par la mort habités,
Ces portiques, ces bains prolongés sous les ondes,
Ont vu Néron, caché sous leurs voûtes profondes,
Condamner Agrippine au sein des voluptés.

Au bruit des flots roulant sous cette voûte humide,
Il veillait, agité d'un espoir parricide;

Il lançait à Narcisse un regard stupéfait,
Quand, muet d'épouvante et tremblant de colère,
Il apprit que ces flots, instruments du forfait,
Se soulevant d'horreur, lui rejetaient sa mère.

Tout est mort; c'est la mort qu'ici vous respirez.
Quand Rome s'endormit, de débauche abattue,
Elle laissa dans l'air ce poison qui vous tue;
Il infecte les lieux qu'il a déshonorés.
Telle, après les banquets de ces maîtres du monde,
S'élevait autour d'eux une vapeur immonde
Qui pesait sur leurs sens, ternissait les couleurs
Des fastueux tissus où reposaient leurs têtes,
Et fanait à leurs pieds, sur les marbres en pleurs,
Les roses dont Pestum avait jonché les fêtes.

Virgile pressentait que dans ces champs déserts
La mort viendrait s'asseoir au milieu des décombres,
Alors qu'il les choisit pour y placer les ombres,
Le Styx aux noirs replis, l'Averne et les enfers.
Contemplez ce pêcheur; voyez, voyez nos guides;
Interrogez les traits de ces pâtres livides;

Ne croyez-vous pas voir des spectres sans tombeaux,
Qui, laissés par Caron sur le fatal rivage,

Tendent vers vous la main, écartent leurs lambeaux,
Pour mendier le prix de leur dernier passage?

CASIMIR DELAVIGNE.

IMPROVISATION DE CORINNE DANS LA CAMPAGNE DE NAPLES.

La nature, la poésie et l'histoire rivalisent ici de grandeur: ici l'on peut embrasser d'un coup d'œil tous les temps et tous les prodiges.

J'aperçois le lac d'Averne, volcan éteint, dont les ondes inspiraient jadis la terreur; l'Achéron, le Phlégéton, qu'une flamme

souterraine fait bouillonner, sont les fleuves de cet enfer visité par Enée.

Le feu, cette vie dévorante qui crée le monde et le consume, épouvantait d'autant plus que ses lois étaient moins connues. La nature jadis ne révélait ses secrets qu'à la poésie.

La ville de Cumes, l'antre de la Sibylle, le temple d'Apollon étaient sur cette hauteur. Voici le temple où fut cueilli le rameau d'or. La terre de l'Enéide vous entoure; et les fictions consacrées par le génie sont devenues des souvenirs dont on cherche encore les traces.

Un triton a plongé dans ses flots le Troyen téméraire qui osa défier les divinités de la mer par ses chants;* ces rochers creux et sonores sont tels que Virgile les a décrits. L'imagination est fidèle, quand elle est toute-puissante. Le génie de l'homme est créateur quand il sent la nature, imitateur quand il croit l'in

venter.

Au milieu de ces masses terribles, vieux témoins de la création, l'on voit une montagne nouvelle que le volcan a fait naître. Ici la terre est orageuse comme la mer, et ne rentre pas, comme elle, paisiblement dans ses bornes. Le lourd élément, soulevé par les tremblements de l'abîme, creuse des vallées, élève des monts, et ses vagues pétrifiées attestent les tempêtes qui déchirent son sein.

Si vous frappez sur ce sol, la voûte souterraine retentit. On dirait que le monde habité n'est plus qu'une surface prête à s'entr'ouvrir. La campagne de Naples est l'image des passions humaines sulfureuse et féconde, ses dangers et ses plaisirs semblent naître de ces volcans enflammés qui donnent à l'air tant de charmes, et font gronder la foudre sous nos pas.

Pline étudiait la nature pour mieux admirer l'Italie; il vantait son pays comme la plus belle des contrées, quand il ne pouvait plus l'honorer à d'autres titres. Cherchant la science, comme un guerrier les conquêtes, il partit de ce promontoire mêmet pour observer le Vésuve à travers les flammes, et ces flammes l'ont consumé.

O souvenir, noble puissance, ton empire est dans ces lieux! De siècle en siècle, bizarre destinée! l'homme se plaint de ce qu'il a perdu. L'on dirait que les temps écoulés sont tous dépositaires, à leur tour, d'un bonheur qui n'est plus, et, tandis que la pensée s'enorgueillit de ses progrès, s'élance dans l'avenir, notre âme semble regretter une ancienne patrie dont le passé la rapproche.

Les Romains, dont nous envions la splendeur, n'enviaient-ils

* Enéide, VI. 158.

Le cap de Misène.

pas la simplicité mâle de leurs ancêtres? Jadis ils méprisaient cette contrée voluptueuse, et ses délices ne domptèrent que leurs ennemis. Voyez dans le lointain Capoue,* elle a vaincu le guerrier dont l'âme inflexible résista plus longtemps à Rome que l'univers.

Les Romains, à leur tour, habitèrent ces lieux: quand la force de l'âme servait seulement à mieux sentir la honte et la douleur, ils s'amollirent sans remords. A Bayes, on les a vus conquérir sur la mer un rivage pour leurs palais. Les monts furent creusés pour en arracher des colonnes, et les maîtres du monde, esclaves à leur tour, asservirent la nature pour se consoler d'être asservis.

Cicéron a perdu la vie près du promontoire de Gaëte qui s'offre à nos regards. Les triumvirs, sans respect pour la postérité, la dépouillèrent des pensées que ce grand homme aurait conçues. Le crime des triumvirs dure encore; c'est contre nous encore que leur forfait est commis.

Cicéron succomba sous le poignard des tyrans. Scipion, plus malheureux, fut banni par son pays encore libre. Il termina ses jours non loin de cette rive; et les ruines de son tombeau sont appelées la Tour de la Patrie. Touchante illusion au souvenir dont sa grande âme fut occupée!

Marius s'est réfugié dans ces marais de Minturnes, près de la demeure de Scipion. Ainsi, dans tous les temps, les nations ont persécuté leurs grands hommes; mais ils sont consolés par l'apothéose, et le ciel, où les Romains croyaient commander encore, reçoit parmi ses étoiles Romulus, Numa, César; astres nouveaux, qui confondent à nos regards les rayons de la gloire et la lumière céleste.

Ce n'est pas assez des malheurs, la trace de tous les crimes est ici. Voyez, à l'extrémité du golfe, l'île de Caprée, où la vieillesse a désarmé Tibère, où cette âme à la fois cruelle et voluptueuse, violente et fatiguée, s'ennuya même du crime, et voulut se plonger dans les plaisirs les plus bas, comme si la tyrannie ne l'avait pas encore assez dégradée.

Le tombeau d'Agrippine est sur ces bords, en face de l'île de Caprée; il ne fut élevé qu'après la mort de Néron; l'assassin de sa mère proscrivit aussi ses cendres. Il habita longtemps à Bayes,§ au milieu des souvenirs de son forfait. Quels monstres

* Capoue, ville célèbre par ses délices funestes à l'armée d'Annibal. Horace, Od. II. 15, 18.

Caprée, île de la Mediterranée, en vue du golfe de Naples, où Tibère s'était retiré pendant les dernières années de sa vie. C'est de ce séjour qu'il envoyait à Rome ses ordres sanguinaires.

§ On menait à Bayes une vie tellement dissolue, que ce fût un reproche

le hasard rassemble sous nos yeux! dent.

Tibère et Néron se regar

Les îles que les volcans ont fait sortir de la mer servirent, presque en naissant, aux crimes du vieux monde; les malheureux relégués sur les rochers solitaires, au milieu des flots, contemplaient de loin leur patrie, tâchaient de respirer ses parfums dans les airs, et quelquefois, après un long exil, un arrêt de mort leur apprenait que leurs ennemis du moins ne les avaient pas

oubliés.

O terre! toute baignée de sang et de larmes, tu n'as jamais cessé de produire des fruits et des fleurs! Es-tu donc sans pitié pour l'homme? et sa poussière retourne-t-elle dans ton sein maternel sans le faire tressaillir?

MME. DE STAEL.

RÉCIT D'UN VOYAGEUR EN CALABRE.

Un jour je voyageais en Calabre. C'est un pays de méchantes gens, qui, je crois, n'aiment personne, et en veulent surtout aux Français. De vous dire pourquoi, cela serait long; suffit qu'ils nous haïssent à mort, et qu'on passe fort mal son temps lorsqu'on tombe entre leurs mains. J'avais pour compagnon un jeune homme d'une figure... ma foi, comme ce monsieur que nous vêmes au Rincy; vous en souvenez-vous? et mieux encore peut-être. Je ne dis pas cela pour vous intéresser, mais parce que c'est la vérité. Dans ces montagnes, les chemins sont des précipices, nos chevaux marchaient avec beaucoup de peine; mon camarade allant devant, un sentier qui lui parut plus praticable et plus court nous égara. Ce fut ma faute, devais-je me fier à une tête de vingt ans? Nous cherchâmes, tant qu'il fit jour, notre chemin à travers ces bois; mais plus nous cherchions, plus nous nous perdions, et il était nuit noire quand nous arrivâmes près d'une maison fort noire. Nous y entrâmes, non sans soupçon, mais comment faire? Là, nous trouvons toute une famille de charbonniers à table, où du premier mot on nous invita. Mon jeune homme ne se fit pas prier: nous voilà mangeant et buvant, lui du moins, car pour moi j'examinais le lieu et la mine de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien mines de charbonniers; mais la maison, vous l'eussiez prise pour un arsenal. Ce n'étaient que fusils, pistolets, sabres, couteaux, coutelas. Tout me déplut, et je vis bien que je déplaisais aussi.

à faire à Cicéron d'y avoir une maison de campagne et que Sénèque, en voyageant, craignit d'y dormir une nuit.

« PrécédentContinuer »