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mités, et répand ordinairement la terreur; l'inondation du fleuve d'Egypte est au contraire la source de tous les biens, et, lorsqu'il déborde, des bénédictions se font entendre sur ses rives ; ses eaux bienfaisantes, sans recevoir aucun tribut du pays qu'il parcourt, suffisent à tous les besoins des campagnes et des cités, abreuvent tous les animaux, toutes les plantes, remplissent un grand nombre de canaux dont plusieurs ressemblent à des rivières, et se partagent en deux branches principales, qui vont se jeter à la mer. Non-seulement les eaux du fleuve répandent la fécondité, mais le sol même qu'elles fertilisent est leur ouvrage. Vous connaissez la vénération des anciens Egyptiens pour le Nil, qu'ils regardaient comme une émanation divine de Knouphis à la tunique bleue et à la tête de bélier; ils avaient dans leur croyance religieuse un Nil terrestre et un Nil céleste, comme nous autres chrétiens nous avons une Jérusalem de la terre et une Jérusalem du ciel; le culte du fleuve divin n'existe plus, mais ses bienfaits nous restent; et les peuples reconnaissants l'appellent encore le bon Nil, nom qu'on a toujours donné à la Providence.

Quelle est l'origine de ce fleuve miraculeux? C'est une question qu'on fait en vain depuis trois ou quatre mille ans. Cette ignorance des sources du Nil a donné lieu à beaucoup de fables pleines de poésie; car tel est l'esprit de l'homme, qu'il veut toujours tout savoir, et que, pour lui, il n'y a rien de plus poétique que ce qu'il ne sait pas. De toutes les espérances qu'on avait données au monde savant, de toutes les convictions qui s'étaient formées, il ne reste aujourd'hui qu'une opinion vague et confuse qui place les sources du Nil dans le Gébel el Kamar, ou les montagnes de la Lune, à plus de huit cents lieues des embouchures du fleuve.

Cependant les recherches n'ont point été abandonnées; on s'occupe maintenant de nouvelles tentatives; je dois vous dire que, pour mon compte, j'attends fort paisiblement les résultats de ces grandes entreprises: si les nouveaux efforts des voyageurs sont couronnés d'un plein succès, je jouirai de la découverte, et j'applaudirai de tout mon cœur à ceux qui l'auront faite. Si on ne découvre rien de ce qu'on a vainement cherché jusqu'à présent, l'ignorance où nous resterons aura aussi ses charmes; car le Nil, avec ses sources toujours mytérieuses, ressemblera encore pour nous à la Divinité, qui ne se manifeste que par ses bienfaits, et ne cessera point de nous rappeler le temps où il était dieu.

MICHAUD.

MOÏSE SAUVÉ DES EAUX.

"Mes sœurs, l'onde est plus fraîche aux premiers feux du jour, Venez; le moissonneur repose en son séjour;

La rive est solitaire encore;

Memphis élève à peine un murmure confus,

Et nos chastes plaisirs, sous ces bosquets touffus,
N'ont d'autre témoin que l'aurore.

"Au palais de mon père on voit briller les arts;

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Mais ces bords pleins de fleurs charment plus mes regards
Qu'un bassin d'or et de porphyre;

Ces chants aériens sont mes concerts chéris;
Je préfère aux parfums qu'on brûle en nos lambris
Le souffle embaumé du zéphyre.

"Venez; l'onde est si calme et le ciel est si pur!
Laissez sur ces buissons flotter les plis d'azur
De vos ceintures transparentes;
Détachez ma couronne et ces voiles jaloux ;
Car je veux aujourd'hui folâtrer avec vous
Au sein des vagues murmurantes.

"Hâtons-nous... Mais, parmi les brouillards du matin,
Que vois-je? Regardez à l'horizon lointain.
Ne craignez rien, filles timides;

C'est sans doute, par l'onde entraîné vers les mers,
Le tronc d'un vieux palmier qui, du fond des déserts,
Vient visiter les pyramides.

"Que dis-je ? Si j'en crois mes regards indécis,
C'est la barque d'Hermès ou la conque d'Isis
Que pousse une brise légère...

Mais non; c'est un esquif, où, dans un doux repos,
J'aperçois un enfant qui dort au sein des flots,
Comme on dort au sein de sa mère.

"Il sommeille, et de loin, à voir son lit flottant,
On croirait voir voguer sur le fleuve inconstant
Le nid d'une blanche colombe.

Dans sa couche enfantine, il erre au gré du vent;
L'eau le balance, il dort, et le gouffre mouvant
Semble le bercer dans sa tombe.

"Il s'éveille; accourez, ô vierges de Memphis!
Il crie... Ah! quelle mère a pu livrer son fils
Au caprice des flots mobiles?

Il tend les bras ; les eaux grondent de toute part.
Hélas! contre la mort il n'a d'autre rempart
Qu'un berceau de roseaux fragiles.

"Sauvons-le... C'est peut-être un enfant d'Israël.
Mon père les proscrit: mon père est bien cruel
De proscrire ainsi l'innocence !

Faible enfant! Ses malheurs ont ému mon amour;
Je veux être sa mère; il me devra le jour,
S'il ne me doit pas la naissance.”

-Ainsi parlait Iphis, l'espoir d'un roi puissant,
Alors qu'au bord du Nil son cortége innocent
Suivait sa course vagabonde;

Et ces jeunes beautés, qu'elle effaçait encor,
Quand la fille des rois quittait ses voiles d'or,
Croyaient voir la fille de l'onde.

Sous ses pieds délicats, déjà le flot frémit.
Tremblante, la pitié, vers l'enfant qui gémit,
La guide en sa marche craintive;

Elle a saisi l'esquif! Fière de ce doux poids,
L'orgueil de son beau front, pour la première fois,
Se mêle à la pudeur naïve.

Bientôt, divisant l'onde et brisant les roseaux,
Elle apporte à pas lents l'enfant sauvé des eaux
Sur le bord de l'arène humide;

Et ses sœurs, tour à tour, au front du nouveau-né,
Offrant leur doux sourire à son œil étonné,

Déposaient un baiser timide.

Accours, toi qui, de loin, dans un doute cruel,
Suivais des yeux ton fils, sur qui veillait le ciel.
Viens ici comme une étrangère ;

Ne crains rien; en pressant Moise en tes bras
Tes pleurs et tes transports ne te trahiront pas ;
Car Iphis n'est pas encor mère.

Alors, tandis qu'heureuse et d'un pas triomphant,
La vierge, orgueil d'un trône, amenait l'humble enfant
Baigné des larmes maternelles,

On entendait en choeur, dans les cieux étoilés,
Des anges, devant Dieu de leurs ailes voilés,
Chanter les hymnes éternelles.

"Ne gémis plus, Jacob, sur la terre d'exil;

Ne mele plus tes pleurs aux flots impurs du Nil;
Le Jourdain va t'ouvrir ses rives ;

Le jour enfin approche où, vers les champs promis,
Gessen verra s'enfuir, malgré leurs ennemis,

Les tribus si longtemps captives.

"Sous les traits d'un enfant délaissé sur les flots,
C'est l'élu du Sina, c'est le roi des fléaux,
Qu'une vierge sauve de l'onde.

Mortels, vous dont l'orgueil méconnaît l'Éternel,
Fléchissez un berceau va sauver Israël ;
Un berceau doit sauver le monde."

VICTOR HUGO.

EXTRAIT D'UN VOYAGE DANS LE DÉSERT.

PAR ALEXANDRE DUMAS.

Le Kaire. Préparatifs de Voyage.

Notre premier soin, en arrivant, fut de faire demander un tailleur; notre aubergiste nous en procura un aussitôt: c'était un Turc pur sang. Il nous fit choisir des étoffes, puis, tirant de la poche de son pantalon un fil auquel pendait un plomb, il suspendit ce plomb de manière à ce qu'il se trouvât au niveau d mon coude-pied, appuya le fil sur mon épaule, lut le degré qui était marqué sur le fil, en fit autant à chacun de nous et sortit: la mesure était prise.

de

Le lendemain, à l'heure dite, notre marchand d'habits arriva. C'est encore à cette exactitude que je fus forcé, comme sur beaucoup d'autres choses, de reconnaître la supériorité du tailleur turc sur le tailleur français. Quelques compatriotes, attirés par la curiosité de l'opération, étaient venus pour assister à notre métamorphose. Le tailleur avait amené avec lui un barbier, entre les mains ou plutôt entre les jambes duquel il nous fallut passer avant d'arriver à lui. La cérémonie commença par moi; M. Taylor,* qui avait à traiter de sa mission, s'était rendu chez le consul, et nous avait laissés aux soins de notre toilette.

Le barbier se plaça sur une chaise et me fit asseoir à terre. Puis, il tira de sa ceinture un petit instrument de fer que je reconnus pour un rasoir en le lui voyant frotter sur la paume de la

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* Compagnon de voyage de Dumas.

main. L'idée que cette espèce de scie allait me courir sur la tête me fit dresser les cheveux, mais presque aussitôt je me trouvai le front pris entre les genoux de mon adversaire, comme dans un étau, et je compris que ce qu'il y avait de mieux à faire était de ne pas bouger. En effet, je sentis courir successivement sur toutes les parties de mon crâne ce petit morceau de fer si méprisé, avec une douceur, une adresse et un velouté qui m'allèrent à l'âme. Au bout de cinq minutes, le barbier desserra les jambes, je relevai le front, j'entendis toute le monde rire; je me regardai dans une glace, j'étais complétement rasé, et sur tout le crâne il ne me restait de ma chevelure que cette charmante teinte bleuâtre qui décore le menton à la suite des barbes bien faites. J'étais stupéfait de cette promptitude; puis je ne m'étais jamais vu ainsi, et j'avais quelque peine à me reconnaître. Alors je passai entre les mains du tailleur, qui commença par mettre sur ma tête rase une calotte blanche, sur cette calotte blanche un tarbouch rouge, et sur le tarbouch un châle roulé, qui me transformait presque en vrai croyant. On me passa ensuite ma robe et mon abbaye; la taille, comme la tête, fut serrée avec un châle, et dans ce châle, auquel je suspendis fièrement un sabre, je passai un poignard, des crayons, du papier et de la mie de pain. Dans cet accoutrement, qui ne me faisait pas un pli sur le corps, mon tailleur m'assura que je pouvais me présenter partout. Je n'en fis aucun doute; aussi attendis-je avec la plus grande impatience, et comme un acteur qui va entrer en scène, que le travestissement de compagnons fût opéré. Il leur fallut, à leur tour, subir sous mes yeux l'opération que j'avais subie sous les leurs; et décidément, ce n'était point encore moi qui avais la plus drôle de tête. Enfin, la toilette achevée, nous descendîmes l'escalier, nous franchîmes le seuil de la porte et nous débutâmes.

En

J'étais assez embarrassé de ma personne: mon front était alourdi par mon turban; les plis de ma robe et de mon manteau embarrassaient ma marche; mes babouches et mes pieds, encore mal habitués l'un à l'autre, éprouvaient de fréquentes solutions de continuité. Mohammed* marchait sur nos flancs, marquant le pas avec les mots: Doucement, doucement. fin, lorsque la pétulance française fut un peu calmée, qu'un peu plus de lenteur cadencée nous eut permis d'observer le balancement du corps nécessaire pour donner la grâce arabe à notre allure, tout alla pour le mieux. En somme, ce costume, parfaitement approprié au climat, est infiniment plus commode que le nôtre, en ce qu'il ne serre que la taille et laisse toutes les

* Jeune Nubien, domestique de Dumas.

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