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voyage dans le désert, j'ai changé régulièrement de nez tous les

soirs.

Au bout de trois heures de marche, un point blanc apparut à l'horizon. Bientôt, en approchant, nous reconnûmes une tour carrée, aux environs de laquelle on eût cru voir se dérouler un immense serpent, dont l'oeil avait peine à suivre les replis. Cette tour, c'était la maison d'un cheik, située à trois lieues de Suez. C'est à cette maison que s'arrête momentanément la caravane de la Mecque, afin de se séparer des voyageurs qui vont simplement à Suez. Les pèlerins continuent leur route vers l'orient, les voyageurs inclinent au sud, et rencontrent bientôt le premier bras de la mer Rouge, tandis que les autres ont encore dix ou douze jours de marche avant de découvrir le second, dont ils côtoient la rive orientale jusqu'à la ville sainte. Quant aux replis du serpent enroulés autour de cette maison, c'étaient les innombrables âniers qui venaient y prendre de l'eau pour les besoins de la ville; assise sur les bords de la mer Rouge, elle n'a que des puits et des fontaines amères. A peine eúmes-nous ce renseignement, que l'espoir de l'eau fraiche nous stimula. Nous mimes nos dromadaires au galop, et en moins d'une heure nous eûmes franchi les trois ou quatre lieues qui nous séparaient de la fontaine désirée. Arrivés là, le chef du khan remplit nos outres moyennant une faible rétribution. Quant à nous, nous bûmes à même à la fontaine. L'eau était légèrement saumâtre; mais nous étions trop altérés pour nous arrêter à une semblable bagatelle.

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Nous avions laissé à notre droite et de l'autre côté d'une petite chaîne de montagnes que nous avions, pendant ces deux jours, aperçue à l'horizon méridional, le chemin qu'avaient pris les Israélites fugitifs, lorsque, conduits par Moïse, guidés par la colonne de feu et emportant avec eux les os de Joseph, ainsi que Joseph le leur avait recommandé en mourant, ils quittèrent Rhamesses, traversèrent le Mokkatan, et allèrent camper à Étham, à l'extrémité de la solitude. Ce fut dans cette ville que le Seigneur parla encore à Moïse, et lui dit : Dites aux enfans d'Israël qu'ils retournent et qu'ils campent devant Phihahiroth, qui est entre Magdad et la mer, en face de Beelsephon. Vous camperez vis-à-vis de ce lieu, qui est au bord de la mer."

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Les Israélites descendirent donc vers l'occident, et ils vinrent à l'endroit où nous étions, attirés probablement par les mêmes sources où nous nous désaltérions à cette heure. Ce fut de là qu'ils aperçurent l'armée de Pharaon, qui venait derrière eux, et que, saisis d'une grande crainte, ils dirent à Moïse:

"Peut-être n'y avait-il pas de sépulcres en Égypte; c'est pour cela que vous nous avez amenés ici, afin que nous mourions

dans la solitude. Quel dessein aviez-vous quand vous nous avez fait sortir d'Égypte ?

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N'était-ce pas là ce que nous vous disions étant encore en Égypte ? Retirez-vous de nous, afin que nous servions les Egyptiens, car il valait beaucoup mieux que nous fussions leurs esclaves que de venir mourir dans le désert."

Moïse répondit au peuple: "Ne craignez point; demeurez fermes, et considérez les merveilles que le Seigneur va faire aujourd'hui, car ces Egyptiens que vous voyez devant vous vont disparaître, et vous ne les verrez plus jamais."

Le Seigneur dit alors à Moïse: "Pourquoi criez-vous vers moi? Dites aux enfants d'Israël qu'ils marchent.”

En effet, les Hébreux se mirent en route, et se dirigèrent droit vers ce point de la mer Rouge où est aujourd'hui Suez. La marche est de trois heures à peu près, quoique nous mîmes moins de temps à faire la route; car nos chameaux, laissant le chemin qui conduit à la Mecque, prirent le galop vers le midi, et, à partir de la tour du cheik, n'abandonnèrent plus cette allure jusqu'au moment où nous fûmes arrivés. A mesure que nous avançions le ciel prenait une teinte d'argent; à droite s'élevait la chaîne de montagnes qui borde le rivage occidental de la mer Rouge; à gauche, le désert continuait de s'étendre, et entre les montagnes et le désert, se détachant sur l'eau de la mer, grandissaient les murailles blanches de Suez, dont quelques rares madenehs détruisaient la monotonie en s'élevant au-dessus de leurs créneaux. De l'autre côté de la ville est le port, dans lequel mouillent les barques qui viennent de Thor, et les navires aux formes bizarres qui, se hasardant jusqu'au détroit de Babel-Mandel, en reviennent après avoir touché à Moka.

Arrivés à quelque distance du rivage, nous fîmes dresser notre tente près de Suez; puis nous courûmes au bord de la mer. C'est à cet endroit que le Seigneur dit à Moïse:

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Elevez votre verge, étendez la main sur les eaux, et les divisez, afin que les enfans d'Israël marchent à sec au milieu de la mer.

“J'endurcirai le cœur des Egyptiens, afin qu'ils vous poursuivent, et je serai glorifié dans Pharaon, dans toute son armée, dans ses chariots et dans sa cavalerie.

"Alors l'ange de Dieu, qui marchait devant le camp des Israélites, alla derrière eux, et en même temps la colonne de nuit, quittant la tête du peuple.

"Se mit aussi derrière, entre le camp des Egyptiens et le camp d'Israël; et la nuée était ténébreuse d'une part, et, de l'autre, elle éclairait les ténèbres, de sorte que les deux armées ne purent s'approcher pendant tout le temps de la nuit.

"Moïse ayant étendu la main sur la mer, le Seigneur l'entr'ouvrit en faisant souffler un vent violent et brûlant pendant toute la nuit, et il en dessécha le fond, et l'eau fut divisée en deux.

"Les enfants d'Israël marchèrent à sec au milieu de la mer, ayant l'eau à droite et à gauche qui leur servait comme d'un

mur.

"Et les Egyptiens, marchant après eux, se mirent à les poursuivre au milieu de la mer avec toute la cavalerie de Pharaon, ses chariots et ses chevaux.

"Et lorsque les Israélites furent arrivés sur l'autre bord, le Seigneur dit à Moïse :-Etendez la main sur la mer, afin que les eaux retournent sur les Egyptiens, sur leurs chariots et leur cavalerie.

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'Moise étendit donc la main sur la mer, et dès la pointe du jour elle retourna au même lieu où elle était auparavant. Ainsi, lorsque les Egyptiens s'enfuyaient, les eaux vinrent audevant d'eux, et le Seigneur les enveloppa au milieu des flots.

"Les eaux étant retournées de la sorte, couvrirent les chariots et la cavalerie de toute l'armée de Pharaon, qui était entrée dans la mer en poursuivant Israël, et il n'en échappa point un seul."

Au moment où nous arrivâmes au bord de la mer, les eaux étaient hautes. On la traverse alors, si l'on est pressé, au moyen d'un bateau, Comme rien ne nous pressait, et que nous désirions, d'ailleurs, passer la mer à la manière des Israélites, nous résolumes d'attendre le reflux, et de faire pendant cet intervalle une petite visite à la ville de Suez.

Nous nous avançâmes en conséquence vers les portes, et après avoir exhibé nos tékerifs,* nous nous rendimes chez le gouverneur turc, qui, voyant nos recommandations, nous reçut admirablement bien. Mais ce qui nous toucha le plus dans son accueil, ce fut la promptitude et l'affabilité avec laquelle il nous fit donner à chacun une gargoulette pleine d'eau douce et fraîche. Nous la dégustâmes à l'instant sans façon en buvant à même, et en lui exprimant, pendant que nous l'avalions, notre reconnaissance par des signes de la main. Il nous invita à venir le voir à notre retour; nous le lui promîmes avec empressement puis, craignant de nous attarder, nous primes congé de lui.

En sortant de chez le gouverneur, Béchara, qui nous accompagnait, s'arrêta devant une maison, et nous la montra du doigt en répétant deux fois Bounabardo! Bounabardo! Nous nous arrêtâmes, car nous savions que ce nom était celui que les

* Passe-ports.

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Arabes donnent à Bonaparte; et comme nous nous rappelions qu'il était venu à Suez, nous pensâmes que cette maison renfermait quelque souvenir historique. En effet, c'était dans cette maison qu'il avait logé; nous y entrâmes et demandâmes à parler au maître; c'était un Grec, agent de la compagnie des Indes pour l'Angleterre, nomata aussitôt de l'objet de notre nommé Comanouli, qui, nous reconnaissant pour Français, se

visite et nous fit les honneurs de chez lui avec la plus grande complaisance. La chambre où a logé Bonaparte est une des plus simples de toute la maison; un divan règne à l'entour, et les croisées s'ouvrent sur le port; au reste, aucun souvenir matériel du général en chef de l'armée d'Égypte ne la recommande

à la curiosité des visiteurs.

Ce fut le 26 décembre 1798 que Bonaparte arriva à Suez; il employa la journée du 27 à visiter la ville et le port; puis, le 28, il se résolut à passer la mer Rouge pour aller aux fontaines de Moïse; à huit heures du matin, la marée s'étant retirée, il traversa le lit de la mer, et se trouva en Asie.

Pendant que Bonaparte était assis auprès des sources, il y reçut la visite de quelques chefs arabes de Thor et des environs qui venaient le remercier de la protection qu'il accordait à leur commerce avec l'Egypte; mais bientôt il remonta à cheval pour visiter les ruines d'un grand acquéduc construit pendant la guerre des Portugais contre les Vénitiens; cette guerre eut lieu après la découverte du passage du cap de Bonne-Espérance, événement qui ruinait le commerce de ces derniers. Nous trouvâmes bientôt l'aquéduc à la gauche du chemin que nous suivions; il était destiné à conduire l'eau des sources dans des citernes creusées sur le rivage de la mer, et devait servir d'aiguade aux bâtimens qui naviguent sur la mer Rouge.

Cette visite faite, Bonaparte songea à revenir à Suez; la nuit était obscure lorsqu'il revint sur le bord de la mer. L'heure de la marée arrivait, et l'on proposa de camper sur la plage et d'y passer la nuit; mais Bonaparte ne voulut rien entendre: il appela le guide à lui, et lui ordonna de marcher devant. Le guide, troublé par cet ordre émané directement d'un homme que les Arabes regardaient comme un prophète, se trompa de descente, et le trajet fut allongé d'un quart d'heure à peu près. On était à peine à moitié chemin, que les premières vagues du flux vinrent mouiller les jambes des chevaux; on connaissait la rapidité avec laquelle l'eau monte; l'obscurité empêchait de mesurer l'espace qui restait à parcourir; le général Caffarelli, que sa jambe de bois empêchait de se tenir solidement à cheval, appela à son aide. Ce cri fut regardé comme un cri de détresse, le désordre se mit à l'instant dans la petite caravane; chacun

LES PYRAMIDES.

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Un

s'enfuit de son côté, lançant son cheval dans la direction où il Cependant l'eau croyait trouver la terre; Bonaparte seul continua tranquillement de suivre l'Arabe qui marchait devant lui. montait son cheval s'effraya, et refusa de marcher en avant; la position était terrible: le moindre retard était la mort. guide de l'escorte, d'une taille élevée et d'une force herculéenne, sauta dans la mer, prit le général sur ses épaules, et, s'attachant à la queue du cheval de l'Arabe, emporta Bonaparte comme un enfant; au bout d'un instant il avait de l'eau jusqu'au-dessous des aisselles, et commençait à perdre pied; la mer croissait avec une effrayante rapidité; cinq minutes encore, et les destinées du monde changeaient par la mort d'un seul homme. Tout à coup l'Arabe jeta un cri; il touchait le rivage; le guide, épuisé, tomba sur ses genoux; son général sauvé, les forces lui manquaient.

La caravane rentra à Suez sans avoir perdu un seul homme; le cheval seul de Bonaparte se noya.

LES PYRAMIDES.

L'époque de la construction de la plupart des pyramides n'est pas connue; mais celle de la grande est si évidente qu'on Hérodote l'attribue à Chéops, n'eût jamais dû la contester. avec un détail de circonstances qui prouve que ses auteurs Or, ce Chéops, dans sa liste, la meilleure étaient bien instruits. de toutes, se trouve le second roi après Protée, qui fut contemporain de la guerre de Troie, et il en résulte, par l'ordre des faits, que sa pyramide fut construite vers les années 140 et 160 de la fondation du temple de Salomon, c'est-à-dire 850 ans avant J. C.

La main du temps, et plus encore celle des hommes, qui ont ravagé tous les monuments de l'antiquité, n'ont rien pu jusqu'ici contre les pyramides. La solidité de leur construction et l'énormité de leur masse les ont garanties de toute atteinte, et semblent leur assurer une durée éternelle. Les voyageurs en parlent tous avec enthousiasme, et cet enthousiasme n'est point exagéré. On commence à voir ces montagnes factices dix lieues avant d'y arriver. Elles semblent s'éloigner à mesure qu'on s'en approche; on en est encore à une lieue, et déjà elles dominent tellement sur la tête qu'on croit être à leur pied; enfin l'on y touche, et rien ne peut exprimer la variété des sensations qu'on y éprouve. La hauteur de leur sommet, la rapidité de leur pente, l'ampleur de leur surface, le poids de leur assiette, la

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