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trant sa poitrine au docteur Antomarchi.* Celui-ci lui présenta un flacon d'alcali. "Eh! non, ce n'est pas faiblesse, s'écria Napoléon, c'est la force qui m'étouffe; c'est la vie qui me tue... Puis, s'élançant à une fenêtre et regardant le ciel. ".... Dix-sept mars, dit-il, à pareil jour, il y a six ans (il était à Auxerre, venant de l'île d'Elbe), il y avait des nuages au ciel. Ah! je serais guéri si je voyais ces nuages." Puis il saisit la main du docteur, et, l'appuyant sur son estomac : "C'est un couteau de boucher qu'ils m'ont mis là, et ils ont brisé la lame dans la plaie."

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Les derniers jours de Napoléon furent aussi grands que les plus glorieuses époques de sa vie. Trop certain de sa mort, il souriait de pitié, ou plutôt de compassion, à ceux qui cherchaient à combattre en lui cette idée. "Pouvez-vous joindre cela?" dit-il à M. Munckhouse, officier anglais, après avoir coupé en deux le cordon de la sonnette de son lit. .... Aucun remède ne peut me guérir. Mais ma mort sera un baume salutaire pour nos ennemis. J'aurais désiré de revoir ma femme et mon fils. Mais que la volonté de Dieu soit faite!" Puis, avec une attitude digne de Socrate, il ajouta: "Il n'y a rien de terrible dans la mort. Elle a été la compagne de mon oreiller pendant ces trois semaines, et à présent elle est sur le point de s'emparer de moi pour jamais." Un autre jour il dit: "Les monstres me font-ils assez souffrir! Encore s'ils m'avaient fait fusiller, j'aurais eu la mort d'un soldat. . . . J'ai fait plus d'ingrats qu'Auguste; que ne suis-je comme lui en situation de leur pardonner!...." La nouvelle maison destinée à Napoléon venait d'être terminée. "Elle me servira de tombeau," dit-il, et, en effet, on dut en prendre les pierres pour bâtir le caveau où il repose. NORVINS.

NAPOLÉON BONAPARTE.-(CRITIQUES.)

Napoléon Bonaparte, le héros des temps modernes, héros dans le sens antique du mot, héros à la façon de ces personnages épiques, demi-dieux de la terre, qui la remplissent de leurs exploits, laissent un souvenir ineffaçable dans la mémoire des hommes, prennent place dans toutes les traditions des peuples, grandissent de siècle en siècle, grâce aux actions surhumaines dont la fable grossit leur histoire, et finissent par laisser l'érudit

* Son médecin; c'est ce docteur qui, après la mort de Napoléon, a pris l'empreinte de sa figure et l'a rapportée en France.

incertain si ces Hercule, ces Sésostris, ces Romulus, dont le nom et les monuments sont partout, ont jamais vécu. Qu'un jour la civilisation disparût de notre vieux continent; qu'il restât des poésies, des chroniques, des médailles, des ruines; qu'à travers les ravages du temps, l'historien lût le même nom inscrit sur la pierre de l'Escurial,* sur le marbre du Capitole, sur le granit des Pyramides; qu'il le retrouvât dans les débris de Schoenbrunn, de Potsdam,‡ du Kremlin,§ comme sous le sable des déserts, ajouterait-il foi aux témoignages qui feraient de ce nom celui d'un seul conquérant, d'un même potentat, d'un monarque grand entre les législateurs aussi bien qu'entre les guerriers? Comment croire a cet empire du monde, avec un point de départ si lointain, à ce complet changement de la face de l'univers sous la main d'un seul homme, à ces nations, à ces dynasties faites ou défaites en dix ans? comment croire surtout à ces victoires sans nombre, à ces conquètes sans terme, avee toutes les créations des arts, les routes ouvertes, les temples restaurés, les ponts construits, les musées fondés, avec Anvers creusé et les Alpes aplanies? Que dire de ces autres créations plus grandes, les institutions, les codes, une législation entière, qui embrasse à la fois la vie civile et politique des peuples, au lendemain d'une révolution dévorante, à travers les invasions et les guerres plus dévorantes peut-être ? Conciliez avec tant

de puissance ces catastrophes soudaines; avec tant de génie, sa chute immense; avec tant de gloire, l'abandon du genre humain; et avec cet abandon, les terreurs des rois, l'Europe liguée

* L'Escurial est un célèbre et magnifique monastère de l'Espagne, à sept lieues de Madrid. Cet édifice est en même temps une retraite, où vivent deux cents religieux, et une maison royale où les souverains d'Espagne séjournent de temps à autre.

Schoenbrunn (belle source), palais impérial, à une demi-lieue de Vienne, où, en 1805 et en 1809, Napoléon établit son quartier général.

Potsdam, ville des Etats prussiens, à six lieues sud-ouest de Berlin. On y remarque un superbe palais royal. Dans une des églises de cette ville est le tombeau de Frédéric II, que visita Napoléon. A un quart de lieue est le célèbre palais de Sans-Souci, retraite favorite du grand roi

§ Le Kremlin est, à Moscou, l'ancien palais des czars. Avant de quitter cette ville, incendiée en 1812 par les ordres du gouverneur Rostopchin, Napoléon fit sauter le Kremlin; mais ce désastre fut bientôt réparé; et la ville reconstruite est aujourd'hui plus belle et plus florissante que jamais. Voyez page 57 et 61.

vires.

Le port d'Anvers est si vaste, qu'il peut contenir aisément mille naPendant l'occupation des Français, depuis 1794 jusqu'en 1814, ce port a été considérablement amélioré.

La route du Simplon, pratiquée au travers des Alpes lépontiennes, est un chef-d'œuvre de l'audace humaine; elle a quatorze lieues de longueur, et a coûté six années de travaux. Voyez page 124.

pour se défendre d'un homme, l'Océan même préposé à sa garde, parce qu'un de ses pas pouvait encore ébranler le monde ! cet exil sur un écueil solitaire en face du géant Adamastor,* cette agonie de Prométhée, tiennent de la mythologie plus que de l'histoire. L'histoire, comment fera-t-elle pour expliquer la mort de Napoléon, impuissante et ignorée comme sa naissance, lorsque, longtemps après, il reste à son nom assez d'empire pour prêter de la force à qui l'honore, et affermir le roi qui va à la tête de tout le peuple rendre gloire à sa statue relevée ? Les partis mêmes qui l'ont combattu, se disputant l'héritage de sa mémoire comme un trophée, comme une arme, comme un bouclier, sembleront une imitation des chefs de la Grèce se disputant les armes d'Achille. Tout est homérique, tout est prodigieux dans cette grande vie, pour qui contemple son cours, depuis l'île où fut son berceau jusqu'à celle où gît son sépulcre, astre éclatant et terrible qui, pour remplir l'Orient et l'Occident, se lève du sein des mers et retourne s'y abîmer !!! SALVANDY.

Des bords du Nil un homme avait reparu, déjà célèbre par de grands succès dans les combats, illustré par les revers d'une expédition lointaine et merveilleuse; habile à tromper comme à vaincre, et jetant sur son retour fugitif tout l'éclat d'une heureuse témérité. Sa jeunesse et son audace semblaient lui donner de l'avenir. Ce luxe militaire de l'Orient, qu'il remenait avec lui comme un trophée, ces drapeaux déchirés et vainqueurs, ces soldats qui avaient subjugué l'Italie et triomphé sur le Thabor et au pied des pyramides; tout cette gloire de la France, qu'il appelait sa gloire, répandait autour de son nom un prestige trop dangereux chez un peuple si confiant et si brave. Il avait rencontré, il avait saisi le plus heureux prétexte pour le

* Le géant Adamastor, génie des tempêtes, est une création du Camoëns, dans son poëme de la Lusiade.

+ Prométhée, suivant la fable, ayant dérobé le feu du ciel pour animer un homme formé du limon de la terre, fut condamné par Jupiter à être attaché sur un rocher du Caucase, où un vautour devait lui dévorer le foie. "Sans doute, dit M. Bouillet, cet homme, formé par Prométhée, n'était qu'une statue qu'il sut faire avec de l'argile; il fut le premier qui enseigna aux hommes la statuaire. Prométhée, étant de la famille des Titans, eut part à la persécution que Jupiter leur fit éprouver; il fut obligé de se retirer dans la Scythie, où est le mont Caucase, et d'où il n'osa sortir durant le règne de Jupiter. Le chagrin de mener une vie misérable, dans un pays sauvage, est représenté par le vautour. Prométhée établit des forges dans la Scythie; de là le feu dérobé du ciel, etc." Depuis le 15 décembre 1840, le cercueil de Napoléon est à Paris.

Son ardente ac

pouvoir absolu, de longs désordres à réparer. tivité embrassait tout pour tout envahir. Génie corrupteur, il avait cependant rétabli les autels; funeste génie, élevé par la guerre et devant tomber par la guerre, il avait pénétré d'un coup d'œil l'importance du rôle de législateur; il s'en était rapidement emparé dans l'intervalle de deux victoires; et dès lors, au bruit des armes il allait exhausser son despotisme sur les bases de la société qu'il avait raffermies. On n'apercevait encore que le retour de l'ordre et l'espérance de la paix. Les maux de l'ambition, l'onéreuse tyrannie d'une guerre éternelle, le mépris calculé du sang français, la suppression de tous les droits publics se développèrent plus lentement, comme de fatales conséquences qu'enfermait l'usurpation, mais qu'elle n'avait pas d'abord annoncées.

VILLEMAIN.

Avec ses passions et malgré ses erreurs, Napoléon est, à tout prendre, le plus grand homme de guerre des temps modernes. Il a porté dans les combats un courage stoïque, une ténacité profondément calculée, un esprit fécond en inspirations soudaines, qui déconcertaient par des ressources inespérées les plans de l'ennemi. Qu'on se garde d'attribuer une longue suite de succès à la puissance organique des masses qu'il a mises en mouvement. L'oeil le plus exercé aurait peine à y découvrir autre chose que des éléments de désordre. Qu'on ne dise pas non plus qu'il fut capitaine heureux parce qu'il était monarque puissant. De toutes ses campagnes, les plus mémorables sont la campagne de l'Adige, où, général de la veille, commandant une armée peu nombreuse, et, dans le commencement, mal ordonnée, mal outillée, il se plaça de prime-abord plus haut que Turenne, et à côté de Frédéric; et la campagne de France en 1814, où, réduit à une poignée de soldats harassés, il combattait à un contre dix.

Napoléon possédait à un degré éminent les facultés du métier des armes tempérant et robuste, veillant et dormant à volonté, paraissant à l'improviste où on l'attendait le moins, il ne dédaignait pas les détails auxquels se rattachent parfois des résultats importants. Souvent la main qui venait de tracer des règles pour le gouvernement de plusieurs millions d'hommes, rectifiait l'état de situation inexact d'un régiment, ou écrivait d'où l'on devait tirer deux cents conscrits, et dans quel magasin on prendrait leurs souliers. Interlocuteur patient et facile, il interrogeait à fond; il savait écouter, talent rare chez les grands de la terre. Il a porté dans les combats un courage froid et impassible; jamais esprit plus profondément méditatif ne fut

plus fécond en illuminations rapides et soudaines. En devenant empercur, il ne cessa pas d'être soldat. Si, avec le progrès de l'âge, son activité diminua, c'est que les forces physiques étaient moindres.

Dans les jeux mêlés de calcul et de hasard, on court toujours des risques d'autant plus grands, qu'on veut obtenir de plus grands avantages. C'est là précisément ce qui rend si funeste aux nations la trompeuse science des conquérants. Napoléon, quoique naturellement aventureux, ne manquait ni de suite, ni de méthode, et n'usait ni ses soldats, ni ses trésors là où suffisait l'autorité de son nom. Ce qu'il pouvait obtenir par les négociations ou par la feinte, il ne le demandait pas à la force des armes. L'épée tirée du fourreau ne fut ensanglantée que lorsqu'il était impossible d'arriver au but par une manoeuvre. Toujours prêt à combattre, habituellement il choisissait l'occasion et le terrain. Il a donné quarante batailles pour huit ou dix qu'il a reçues. D'autres généraux l'ont égalé dans l'art de disposer les troupes sur le terrain. Quelques-uns ont donné une bataille aussi bien que lui. On en citerait plusieurs qui l'ont mieux reçue. Il les a surpassés tous dans la manière de diriger une campagne offensive. Les guerres d'Espagne et de Russie ne prouvent rien contre son génie. Ce n'est pas avec les règles de Montécuculli et de Turenne manoeuvrant sur la Renchen qu'il faut juger de telles entreprises. Les uns guerroyaient pour avoir tel ou tel quartier d'hiver; l'autre, pour conquérir le monde. Il lui fallait souvent non pas seulement gagner une bataille, mais la gagner de telle façon qu'elle épouvantât l'Europe et amenât des résultats gigantesques. Ainsi les vues politiques intervenaient sans cesse dans la génie stratégique, et pour l'apprécier tout entier, il ne faut pas se renfermer dans les limites de l'art de la guerre. Cet art ne se compose pas seulement de détails techniques, il a aussi sa philosophie. Pour trouver dans cette région élevée un rival à Napoléon, il faudrait remonter aux temps où les institutions féodales n'avaient pas encore rompu l'unité des nations antiques. Les seuls fondateurs de religion ont exercé sur leurs sectaires une autorité comparable à celle qui le rendit maître absolu de son armée. Cette puissance morale lui est devenue funeste pour avoir voulu s'en prévaloir, même contre l'ascendant de la force matérielle, et parce qu'elle l'a entraîné à mépriser des règles positives dont la longue violation ne reste pas impunie.

LE GÉNÉRAL FOY.

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