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monuments qui puiffent fervir de pièce de comparaifon; ainfi l'on ne peut donner que des conjectures. Cependant l'opinion qui admet la blancheur de Marie eft la plus fuivie.

L'Eglife, à la vérité, applique à la Vierge ces paroles de l'Amante des Cantiques: Nigra fum, je fuis noire. Mais on aurait tort de les prendre à la lettre elles doivent être entendues dans le fens myftique qu'on leur a toujours donné.

Il en eft de même de ces anciennes

images de la Vierge, qui attirent en certains lieux la vénération des Fidèles. Quoiqu'elles foient toutes extraordinairement brunes, & même noires, on ne peut en conclure que réellement la Vierge avait cette couleur.

Sans entrer fur cet article dans aueun détail, je me contenterai d'obferver que la plupart de ces ftatues font de bois, & qu'en vieilliffant le bois devient naturellement três-brun. Quant à celles qui font de pierre, cette couleur n'eft pas particulière aux ftatues de la Vierge, elle eft commune à un grand nombre d'anciennes ftatues de Saints. Il y a même entre toutes, cette différence, que dans les unes la chair

& les draperies font noires, tandis que dans d'autres les draperies ont conservé la couleur de la pierre : la noirceur ne s'étend que fur la chai. Cette diverfité de couleur vient, fans doute, de quelque vernis dont on aura enduit ces ftatues, foit foit pour les embellir, foit pour les conferver. Ici on n'a verni que le visage & les mains, là on a verni la ftatue toute entiere; infenfiblement ce vernis a bruni & a coloré les ftatues. Telle eft vraiffemblablement la cause de la noirceur de la plupart de nos anciennes images. Telle eft la caufe de la différence qui fe trouve fouvent entre la carnation & les draperies; ainfi l'antiquité de ces images & leur couleur ne peuvent fervir à démontrer qu'on ait cru que la Vierge était noire, & encore moins qu'elle l'était en effet.

Pour que la Vierge eût été noire, il faudrait qu'elle fût née de quelque Ethyopien; or rien n'autorife ce fentiment. La Vierge était Juive: fon père & fa mère étaient de la même nation; elle defcendait d'une famille Juive: en un mot, tout concourt à écarter l'idée que fait naître une figure noire & bazanée. D'ailleurs, la Vierge était originaire de la Palestine ces climats,

quoiqu'affez chauds, ne le font pas au point de changer le teint. Les habitants de la Palestine font blancs: de forte que tout fe réunit en faveur de la blancheur de Marie. Cette opinion, comine la plus probable, eft celle qu'on fuit communément. Les paroles de l'Epoufe des Cantiques font allégoriques, la noirceur des anciennes images eft accidentelle. Ces paroles & cette noirceur ne peuvent rien décider fur cette queftion.

En même temps que l'Epoufe des Cantiques dit qu'elle eft noire, elle annonce qu'elle est belle: Nigra fum, fed formofa, Je fuis noire, mais je fuis belle..... L'Eglife applique auffi ces paroles à la Vierge : fon intention est encore de prendre ces expreffions dans le fens myftique. Il faut dire la même chofe de toutes les expreffions pareilles qui fe trouvent dans les paffages qu'on applique ordinairement à la Vierge. C'eft de la beauté de l'ame, & non de celle du corps, que l'Eglife entend parler.

Une belle ame devrait toujours accompagner un beau corps. La Vierge a-t-elle réuni ce double avantage? C'eft fur quoi le filence des Auteurs contemporains femble empêcher qu'on

ne prononce. Cependant fi l'on s'en rapporte à la tradition & à la croyance générale, on doit décerner à la Vierge le prix de la beauté. La plupart des SS. Peres n'ont point balancé de croire que cette Mère d'un Dieu fut comblée de toutes les grâces extérieures qui pouvaient la faire aimer. S. Bonaventure l'appelle même la plus belle des fem mes. Univerfas enim, s'écrie-t-il, fe minas vincis pulchritudine carnis : fuperas Angelos & Archangelos excellentia fanctitatis.

L'opinion de la beauté de Marie n'a pas feulement fait des progrês parmi les I héologiens, elle a tellement échauf fé l'imagination des Peintres, que s'il était permis de comparer le profane au facré, on pourrait dire que les Mo dernes ont furpaffé tout ce que l'antiquité a pu concevoir de plus parfait; jamais on n'a peint Vénus fi belle, qu'on a représenté Marie.

Cet enthousiasme des Peintres pour la beauté de la Vierge, m'oblige à faire une obfervation générale fur leurs ta→ bleaux. Soir que ces Meffieurs repré→ fentent Marie ou quelque Sainte, ils fe font un devoir de lui prêter tout ce qui peut conftituer une jolie femme.

J'applaudis volontiers à leurs efforts. Une tête gracieufe intéreffe plus qu'une figure ignoble ou défagréable; mais je leur reprocherai de donner fouvent trop d'effet à la beauté. Ce n'est pas pour faire illufion aux fens, pour exciter les paffions, qu'on expofe les tableaux dans les Eglifes; une Sainte, une Vierge doit infpirer du refpect & non de l'amour.

Il est une beauté de fentiment que les Peintres femblent avoir négligée pour courir après la beauté de la nature. On pourrait cependant dire que l'une eft l'ame & l'autre le corps. La première mérite feule d'entrer dans les peintures facrées, elle n'eft autre chofe que l'expreffion de ces vertus douces, honêtes & paifibles qui devraient faire l'ornement & la gloire de toutes les femmes. Jean Fréfole, Dominicain, paffe pour un des Peintres qui ont le mieux faifi cette beauté de fentiment. Il donnait à fes figures un fi beau caractère fur-tout à la Vierge, que Michel Ange, ayant vu de lui une Annonciation, ne put s'empêcher de dire

qu'il fallait que Fréfole eût vu dans » le Ciel même la beauté de Marie, » pour avoir pu l'exprimer fi parfaite

ment ».

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